Type de document

Expertisesrevues

Année de publication

2019

Langue

Anglais

Résumé

Mise en contexte et objectif

La formation en manutention fait l’objet de nombreuses demandes de la part des milieux de travail. Or, malgré leur abondante diffusion, ces formations voient leur efficacité remise en cause par cinq méta-analyses publiées entre 2007 et 2014. La consultation de ces revues de la littérature ne permet pas de comprendre les raisons pour lesquelles il en est ainsi puisque les formations recensées – et dont on tente d’évaluer l’efficacité – n’y sont pas décrites, ou alors elles ne le sont que sommairement. Le fait de disposer de plus d’informations sur les caractéristiques des formations en manutention permettrait certainement de mieux expliquer leur manque d’efficacité rapportée, et ainsi pouvoir proposer des voies d’amélioration. C’est le but que se sont fixé les auteurs de cette étude.

Méthodologie

Soixante-dix-sept articles tirés des cinq méta-analyses recensées ont été analysés à l’aide de 86 variables. Les grandes caractéristiques des formations ont d’abord été décrites en fonction des trois lieux où elles sont offertes : en entreprise, en laboratoire et en établissement de formation. Puisqu’elles sont les plus courantes (51 sur 77), les formations en entreprise ont fait l’objet d’une description plus détaillée. Des regroupements ont ensuite été créés à partir de la sélection de quatre critères de qualité d’une formation, soutenus par un cadre théorique : des contenus adaptés au contexte, de l’engagement moteur, de la pratique contextualisée et des transformation(s) de la situation de travail en complément à la formation. L’existence d’un lien entre les formations qui incluent ces critères et leur efficacité a été vérifiée. Enfin, l’hypothèse d’un possible biais des méta-analyses lié aux critères de sélection des formations a été formulée.

Principaux résultats

La formation en manutention utilise des dispositifs variés dans des contextes qui le sont tout autant : elle est une mosaïque hétérogène. Or, cette hétérogénéité contraste avec l’étonnante uniformité des contenus, majoritairement axés sur la connaissance et l’adoption de la technique sécuritaire de manutention dite « dos droit-genoux fléchis ». Ce contenu standardisé s’inscrit dans une logique de formation où l’apprenant et ses comportements sont au centre des intentions pédagogiques. Peu de cas est fait des interactions de cette personne avec son environnement dynamique de travail et des exigences de régulation que cela impose. Pour la grande majorité d’entre eux, les contenus de formation sont prédéterminés et exportables d’un milieu de manutention à un autre, et ce, en dépit du fait de la variabilité des réalités de ces contextes.

Des quatre critères de qualité retenus, seuls ceux relatifs aux transformations concomitantes à la formation et – dans une moindre mesure, au contenu de formation adapté au contexte – permettent des améliorations en termes d’efficacité. Dix pour cent des études respectent tous les critères de qualité retenus. Malgré le nombre impressionnant d’études consacrées à la formation en manutention et à son évaluation, les méta-analyses n'orientent leurs conclusions que sur un nombre limité de ces études – puisqu’elles accordent un poids supérieur à celles jugées comme étant de qualité méthodologique élevée – ce qui représente environ une formation sur 10. Les résultats montrent que ces devis d’évaluation de qualité supérieure se prononcent sur l’efficacité de formations considérées simples à évaluer, peu complexes et généralement de moindre qualité, ce qui peut avoir un effet sur les conclusions formulées dans les méta-analyses. De plus, les résultats sur l’efficacité – tels que rapportés par les auteurs des études – laissent entrevoir un portrait plus optimiste que les conclusions formulées par les auteurs des méta-analyses.

Éléments de discussion

Les limites des formations actuelles en manutention font l’objet de discussions et des explications potentielles sont avancées à l’égard de leur inefficacité rapportée. Une insistance particulière est mise sur le fait que ce n’est pas la pertinence d’offrir de la formation qui doit être questionnée, mais bien un type de formation axée uniquement sur la connaissance et l’adoption de techniques de manutention sécuritaires. Ces dernières sont soumises à un certain nombre de critiques, mais des arguments qui leur sont favorables sont aussi exposés : elles ne sont pas à écarter, mais ne devraient plus être au centre des apprentissages. Enfin, des recommandations concrètes sont proposées pour bonifier les programmes de formation offerts en manutention.

Le paradoxe entre la qualité de la démarche d’évaluation et la qualité des formations soumises à cette évaluation est aussi discuté. Une argumentation est présentée sur la nécessité de développer des méthodologies d’évaluation appropriées pour juger de l’efficacité de formations considérées d’un plus haut niveau de complexité, une marque de leur qualité. Finalement, les limites de cette étude de même qu’une conclusion sont présentées.

Idées clefs à retenir

  • Dans une forte majorité de cas, former en manutention est à l’heure actuelle synonyme d’apprendre les rudiments de la technique sécuritaire dite « dos droit – genoux fléchis ». Peu d’options alternatives sont offertes;
  • L’efficacité de cette approche est questionnée. Ce jugement – émis par les auteurs des méta-analyses – s’appuie surtout sur un échantillon limité d’études dont le devis d’évaluation est jugé de qualité élevée, c’est-à-dire environ une formation sur 10;
  • En comparaison, les études rapportent des effets positifs des formations dans plus de 50 % des cas, ce qui contraste avec les conclusions des méta-analyses. La technique sécuritaire apparaît donc offrir un certain potentiel pour la prévention;
  • Il existe un risque que l’échantillon d’études qu’utilisent les méta-analyses comporte un biais de sélection. En effet, nos résultats montrent que les études utilisant un devis d’évaluation de qualité supérieure se prononcent sur l’efficacité de formations considérées de moindre qualité, puisqu’elles sont plus « simples » à évaluer;
  • Cette situation est le reflet des limites des devis d’évaluation d’inspiration biomédicale – ceux considérés de meilleure qualité – appliqués à des démarches de formation plus complexes en contexte réel, pourtant un gage de qualité supérieure;
  • La formation à la manutention devrait être revisitée pour conserver sa pertinence dans un programme global de prévention. La technique sécuritaire ne devrait plus être le savoir dominant et devrait être complétée par d’autres savoirs spécifiques aux contextes dans lesquels les manutentionnaires en formation oeuvrent. Comme préalable à la formation, ces contextes devraient faire l’objet d’analyses pour mieux les comprendre;
  • Une approche par compétences, et non l’apprentissage de techniques prédéterminées, est prônée. Les manutentionnaires doivent pouvoir s’adapter à des contextes changeants et réguler les fréquents impondérables et aléas auxquels ils font face.

Abstract

Background and objective

Training in manual material handling has been the subject of many requests in various workplaces. However, according to five meta-analyses published between 2007 and 2014, the training given to manual material handlers is of questionable value, despite being widely disseminated. A reading of these analyses does not reveal why this is so, because the training programs inventoried and evaluated were described very briefly or not at all. Having more information about handling training programs would make it easier to explain the reported lack of effectiveness and, subsequently, propose avenues for improvement. This was the objective pursued by the authors of the present study.

Methodology

Seventy-seven papers covered by the five meta-analyses were analyzed using 86 variables. The training programs were first categorized according to where they took place, i.e., in the workplace, in a laboratory or in a training institution. Workplace programs were described in greater detail since they were the most numerous (51 out of 77). Categories were created based on four quality criteria supported by a theoretical framework: content adapted to context, motor engagement, contextualized practice, and workplace ergonomic transformations to complement the training. The existence of a relationship between a program’s effectiveness and the extent to which it met these criteria was verified. Lastly, a hypothesis was formulated that the meta-analyses might contain a bias related to the program selection criteria.

Principal results

Training programs for manual handlers differ greatly in form, using a wide variety of measures in a broad range of contexts. The content, on the other hand, is surprisingly uniform, with a consistent emphasis on learning and adopting a safe handling technique known as “straight back, bent knees.” This standardized content is part of a training approach that focuses on the learners and their behaviours, paying little attention to the individual learner’s interaction with a changing work environment and the efforts of self-regulation this requires. In most programs, training content is predetermined and exportable from one workplace to the next, despite the differences in actual working conditions.

Of the four quality criteria accepted, only those related to transformations made concurrently to training and, to a lesser extent, training content adapted to the context, yielded improvements in terms of effectiveness. Ten percent of the studies met all the quality criteria. Despite the impressive number of studies devoted to the evaluation of handler training, the meta-analyses based their conclusions on a small number of them, assigning greater weight to those deemed to be of higher methodological quality, i.e., about one training program in ten. The results show that these higher-quality evaluation designs assessed the effectiveness of programs considered to be easy to evaluate, relatively simple, and generally of lower quality, which may have impacted the conclusions of the meta-analyses. In addition, the results regarding effectiveness, as reported by the studies' authors, paint a more optimistic picture than the conclusions reached by the authors of the meta-analyses.

Discussion

The limitations of existing training programs are discussed and possible explanations are provided as to why they are reportedly so ineffective. It is important to emphasize that what should be questioned is not the relevance of offering training programs, but rather the type of training that is focused solely on learning and adopting safe handling techniques. These types of programs have been criticized, but arguments in their favour have also been provided. The techniques themselves should not be rejected, but should no longer constitute the focus of training. Lastly, concrete recommendations are offered to improve material handling training programs.

The contradiction between the quality of the evaluation approach and the quality of the programs evaluated under this approach is also discussed. Arguments are presented about the need to develop appropriate evaluation methods to assess the effectiveness of programs considered to be more complex and hence of higher quality. Lastly, the limitations of this study and a conclusion are presented.

Highlights

  • Currently, a large majority of handling training programs consist in teaching a basic technique known as “straight back, bent knees.” Few alternatives are presented.
  • The effectiveness of this approach is questionable, say the authors of the meta-analyses, basing their opinion on a limited number of studies whose evaluation designs were deemed to be of high quality, that is, about one in ten training programs.
  • By comparison, the studies report positive effects from more than half the training programs examined, which contradicts the conclusions of the meta-analyses. The “straight back, bent knees” technique therefore does seem to play a certain role in accident prevention.
  • There is a risk that the meta-analyses were biased in their selection of the study samples. Indeed, our results show that the studies using a higher-quality evaluation design expressed opinions on the effectiveness of programs deemed to be of lower quality, since they were “simpler” to evaluate.
  • This situation reflects the limitations of evaluation designs borrowed from biomedicine (i.e., those considered to be of higher quality) when applied to more complex training given under real conditions, which is nonetheless an indication of higher quality.
  • Handling training should be re-examined if it is to remain relevant in a comprehensive prevention program. The content should no longer focus mainly on safe techniques, but should be rounded out with other skills specific to the handler’s job context. This context should be analyzed and understood prior to the training.
  • A skills-based approach rather than the learning of predetermined techniques is advocated. Handlers must be able to adapt to frequent and unpredictable changes in the demands of the job.

ISBN

9782897970574

Mots-clés

Manutention manuelle, Manual handling, Évaluation de la formation, Training evaluation, Formation à la prévention, Safety and health training, Programme de formation, Training program, Soulèvement des charges, Manual lifting, Port des charges, Load carriage, Québec

Numéro de projet IRSST

2014-0036

Numéro de publication IRSST

R-1050

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