Type de document

Expertisesrevues

Année de publication

2017

Langue

Français

Résumé

Les troubles musculosquelettiques (TMS) constituent une des principales causes d’incapacité au travail. Au cours des dernières décennies, plusieurs programmes de réadaptation au travail ont été démontrés efficaces. Cependant, le niveau de mise en œuvre de ceux-ci reste encore peu élevé. Une raison pouvant expliquer ce faible niveau d’implantation est le fait que ces programmes sont complexes et doivent prendre en compte des contextes sociaux, culturels et légaux très variés. Par conséquent, il n’est pas toujours clair quelles composantes des programmes sont efficaces (phénomène de la boîte noire) et quelles sont les théories sous-jacentes utilisées. Ainsi, il existe un besoin réel de mieux comprendre ce qui fonctionne dans ces programmes, pour qui, dans quels contextes, pourquoi et comment. Les trois objectifs spécifiques de cette étude étaient : 1) expliquer quels sont les éléments de contexte et les composantes de ces programmes qui fonctionnent, pour qui et dans quelles circonstances; 2) définir les théories sous-jacentes aux programmes de réadaptation au travail; et 3) proposer des recommandations pragmatiques pouvant être utilisées par les différents acteurs impliqués dans les programmes de réadaptation de travail.

Une revue réaliste portant sur un ensemble de programmes de réadaptation au travail incluant une intervention en milieu de travail a été réalisée. Selon cette méthode, les programmes se caractérisent par trois éléments principaux : le contexte (C), qui représente les caractéristiques des conditions dans lesquelles les programmes sont mis en place et les composantes de ces derniers; les mécanismes (M), qui décrivent ce qui fait en sorte qu’un programme parvient à atteindre ses résultats; et les résultats (O, pour outcomes), soit les effets prévus et imprévus d’un programme, résultant de l’interaction de différents mécanismes, dans différents contextes.

Les études originales retenues pour cette étude (n=8) consistaient en des essais contrôlés inclus dans une revue systématique (van Oostrom et coll., 2009) et sa mise à jour récente (van Vilsteren et coll., 2015). Les articles donnant des informations complémentaires sur les études originales retenues ont complété le corpus (n=16). Au total, 24 articles ont été analysés en profondeur. Une cinquantaine de configurations ont été élaborées afin de cerner les associations probables entre les contextes, mécanismes et résultats. Le logiciel d’analyse qualitative Atlas.ti a été utilisé. Une recherche de demi-régularités, à partir des configurations C-M-O élaborées, a permis de faire ressortir des convergences. Enfin, un sondage web portant sur la clarté, la pertinence, l’utilité, l’exhaustivité et la faisabilité de recommandations découlant des résultats a été réalisé auprès de 31 utilisateurs potentiels.

En ce qui concerne l’objectif 1, cinq macrocomposantes d’intervention et leurs composantes spécifiques ont été dégagées pour divers types de travailleurs (manuels ou sédentaires), sans égard au site du TMS (dos ou membre supérieur) et aux diverses phases du TMS (aiguë, subaiguë ou chronique). Il s’agit de : 1) l’évaluation (p. ex. : évaluation globale initiale tenant compte de différentes dimensions de l’individu, inclusion d’un questionnement sur la situation de travail), 2) la temporalité (intervention en milieu de travail s’amorçant rapidement, suite au début de la réadaptation), 3) la diversité des acteurs (p. ex. : mobilisation d’acteurs provenant de différents systèmes, participation d’un acteur externe à l’entreprise pour rapprocher les intérêts), 4) le partage d’informations (p. ex. : coordination intersectorielle par un responsable des communications et des actions en lien avec la gestion du dossier du travailleur, entente générale des acteurs impliqués) et 5) les accommodements (p. ex. : adoption d’une approche de résolution de problèmes, participation du supérieur à la mise en œuvre de solutions). Certains éléments de contexte apparaissent néanmoins déterminants pour que ces composantes produisent des effets positifs : des compétences en analyse de l’activité de travail chez un professionnel proche de l’équipe clinique ou intégré à celle-ci, des incitations pour les entreprises à collaborer à une intervention précoce en milieu de travail ainsi qu’un responsable de la coordination intersectorielle qui interagit fréquemment et efficacement avec l’ensemble des parties concernées connecté.

En ce qui concerne l’objectif 2, six grands groupes de mécanismes, abordant des dimensions psychoaffectives, cognitives et identitaires, ont été définis. Il s’agit de : 1) la rassurance du travailleur, 2) la satisfaction du travailleur, 3) la préservation de l’identité de travailleur, 4) la cohérence entre les besoins du travailleur et les interventions, 5) la proactivité et la mobilisation des acteurs et 6) la perception, par les acteurs de l’environnement, d’une pression sur eux. Les effets proximaux, qui sont les mécanismes se situant le plus près de l’objectif de retour au travail, ont également été regroupés selon leurs affinités en huit grands groupes et concernent des dimensions similaires. Il importe de savoir que tous ces groupes de mécanismes et d’effets proximaux sont dits transversaux, c’est-à-dire qu’ils se déploient dans plus d’une macrocomposante à la fois. En ce qui concerne l’objectif 3, les recommandations proposées ont majoritairement été jugées claires, pertinentes, utiles et exhaustives par les participants. Par contre, toutes, à l’exception de celles rattachées à la macrocomposante de l’évaluation, ont été jugées difficiles à mettre en œuvre dans les milieux de pratique.

Pris séparément, les résultats de cette étude sont corroborés par de nombreux écrits scientifiques. Cependant, cette étude est originale en ce qu’elle énonce que ce qui fonctionne repose nécessairement sur une action intersectorielle entre des intervenants de différents secteurs (santé, milieux de travail, assurance), finement coordonnée et nécessitant une forme de leadership partagé entre les acteurs pour atteindre l’objectif de retour au travail. Dans cette perspective, un travail supplémentaire doit être fait pour mieux cerner les conditions permettant le déploiement optimal de cette action intersectorielle. De plus, nos résultats révèlent une imbrication des mécanismes. Ils sont plus intimement associés à l’intervention réalisée en milieu de travail qu’à celle réalisée en clinique. Ainsi, ces mécanismes s’inscrivent résolument dans la perspective où l’expérimentation, par le travailleur, de diverses situations dans son milieu de travail, s’avère primordiale et va influencer directement ses représentations et, par conséquent, ses actions. Ces résultats concordent avec le modèle d’autorégulation de Leventhal et coll. (1980, 2013) et les travaux de Coutu et coll. (2007, 2010, 2011) et s’éloignent d’un modèle purement médical de prise en charge des TMS. Cependant, il demeure impossible d’avancer que, pour produire l’effet désiré, toutes les composantes d’intervention dans certains contextes doivent être présentes simultanément, ni que tous les mécanismes doivent être à l’œuvre de façon concomitante. Toutefois, le retour au travail ne peut être conçu comme un produit d’une mécanique linéaire. Il doit plutôt être conçu comme le résultat de processus dynamiques mobilisant des boucles de rétroaction et des interactions multiples. Cette idée d’« effet d’entraînement » montre l’interdépendance et la synergie des composantes d’intervention et des mécanismes dans certains contextes.

Trois pistes de recherche s’imposent pour le futur : 1) la bonification des composantes d’intervention qui fonctionnent avec leurs éléments de contexte spécifiques, en poursuivant avec la même méthode mais en élargissant les critères d’admissibilité à plus d’un type de devis; 2) l’approfondissement des mécanismes à partir de travaux en psychologie, en sociologie et en anthropologie; 3) l’expérimentation et l’évaluation des composantes d’intervention qui fonctionnent, tout en tenant compte d’éléments de contexte, auprès d’une autre population de travailleurs (p. ex. : celle ayant des troubles mentaux communs). En conclusion - et bien que cela semble poser des défis importants - il est essentiel de reconnaître l’interdépendance des différents secteurs mobilisés par le retour au travail et leurs influences réciproques et, si nécessaire, d’orchestrer leur mobilisation. Cette constatation confirme le caractère éminemment complexe, dynamique et social de toute démarche visant à favoriser le retour au travail des travailleurs ayant un TMS.

Abstract

Musculoskeletal disorders (MSDs) are one of the main causes of work disability. Several types of work rehabilitation programs have proven effective in recent decades, yet their level of implementation remains low. One possible explanation is that these programs are complex and have to account for highly varied social, cultural, and legal contexts. Thus it is not always clear which components of the programs are effective (black box phenomenon) or what the underlying theories are. There is a real need to better understand what works in these programs, for whom, in what contexts, why, and how. This study therefore had three specific objectives: (1) to explain which contextual aspects and which program components work, for whom, and under what circumstances; (2) to define the theories underlying work rehabilitation programs; and (3) to put forward pragmatic recommendations for use by the various stakeholders involved in these programs.

A realist review was conducted of a number of work rehabilitation programs that included a workplace intervention. Using this method, three main elements were found to characterize the programs: context (C), which refers to the characteristics of the program implementation conditions and the program components; mechanisms (M), which describe what allows a program to achieve its outcomes; and outcomes (O), which are the effects – both expected and unexpected – of a program, resulting from the interaction among different mechanisms in different contexts.

The original studies retained for this research (n=8) consisted of the controlled trials included in a systematic review (van Oostrom et al., 2009) and its recent update (van Vilsteren et al., 2015). Articles providing complementary information on these studies completed the corpus (n=16). A total of 24 articles were analyzed in depth. Some 50 configurations were developed in an effort to pinpoint the probable associations between contexts, mechanisms, and outcomes. Atlas.ti qualitative analysis software was used. Based on the CMO configurations developed, a search for demi-regularities brought points of convergence to light. Lastly, a Web-based survey on the clarity, pertinence, usefulness, exhaustiveness, and feasibility of the recommendations generated by the study results was administered to 31 potential users.

Regarding Objective 1, five macro components of interventions as well as the specific components of each macro component were identified for various types of workers (manual or sedentary), regardless of the site (back or upper extremity) or the phase of their MSD (acute, sub-acute, or chronic). These five components were: (1) assessment (e.g. overall assessment, taking into account the various dimensions of the individual and including questions about the work situation), (2) timeframe (workplace intervention beginning quickly, following the start of rehabilitation), (3) stakeholder diversity (e.g. active involvement of stakeholders from different systems, participation of an actor from outside the organization to try to bring the varying interests together), (4) information sharing (e.g. intersectoral coordination by a person responsible for communications and actions pertaining to management of worker records, general agreement among the stakeholders involved), and (5) accommodations (e.g. adoption of a problem-solving approach, direct supervisor’s participation in solution implementation). However, certain contextual aspects appear crucial if these components are to produce positive outcomes: the work activity analysis skills needed by a professional close to or integrated into the clinical team, incentives to induce organizations to collaborate in an early workplace-based intervention, and an intersectoral coordinator who actively cultivates and maintains close, frequent, and effective relationships with all parties concerned.

Regarding Objective 2, six main groups of mechanisms encompassing psychoaffective, cognitive, and identity-related dimensions were identified. These were: (1) reassurance of the worker, (2) worker satisfaction, (3) preservation of the worker’s identity, (4) coherence between the worker’s needs and the interventions, (5) the proactive behaviour and active involvement of the stakeholders, and (6) the workplace stakeholders’ perception of the pressure exerted on them. The proximal effects, namely, the mechanisms closest to the return-to-work objective, were also divided into eight large groups based on their affinities; they too concerned similar dimensions. It is important to understand that all these groups of mechanisms and proximal effects were transversal, i.e. they were deployed in more than one macro component at a time.

Regarding Objective 3, the participants considered most of the proposed recommendations to be clear, pertinent, useful, and exhaustive. However, they regarded all the recommendations, except for those associated with the macro component of assessment, as difficult to implement in practice settings.

Taken separately, the results of this study are corroborated by numerous scientific articles. However, our study is original in its assertion that what works necessarily requires intersectoral action among professionals and practitioners from different sectors (healthcare, workplace, insurance). This action must be closely coordinated and requires leadership that is shared by stakeholders in order to achieve the return-to-work objective. From this perspective, additional research is needed to identify more clearly the conditions allowing optimal deployment of such intersectoral action. Our results further reveal an interweaving of the mechanisms and are associated more closely with interventions carried out in a workplace than a clinical setting. These mechanisms therefore concur perfectly with the perspective that regards workers’ experimentation with a variety of situations in their workplace as crucial and as having a direct influence on their representations, and ultimately, on their actions. These results are consistent with the self-regulation model of Leventhal et al. (1980, 2013) and the work of Coutu et al. (2007, 2010, 2011), while veering away from the strictly medical model of MSD case management. Even so, it remains impossible to assert that, to produce the desired outcome, all components of the intervention must be present simultaneously in certain contexts or that all the mechanisms must be in play concurrently. Nor can the return to work be seen simply as the product of a linear process. It must instead be seen as the result of dynamic processes generating feedback loops and numerous interactions. This ripple effect concept illustrates the interdependence and synergy between the intervention components and mechanisms in certain contexts.

Three possible avenues emerge for future research: (1) enhancement of the intervention components that work, along with their specific contextual aspects, by continuing to use the same method but broadening the inclusion criteria to more than one type of study design; (2) further investigation of the mechanisms at play, based on work done in psychology, sociology, and anthropology; (3) experimentation with and assessment of intervention components that work, while taking contextual aspects into account, among a different worker population such as that with common mental disorders. In conclusion - and despite the seemingly major challenges it poses - it is essential to recognize the interdependence of the various sectors involved in the return to work and their reciprocal influences, and if necessary, to orchestrate their involvement. This finding confirms the eminently complex, dynamic, and social nature of all interventions aimed at promoting the return to work of workers with an MSD.

ISBN

9782896319039

Mots-clés

Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Réadaptation professionnelle, Vocational rehabilitation, Maintien en emploi, Job maintenance, Étude de cas, Case study, Évaluation des programmes, Program evaluation, Québec

Numéro de projet IRSST

2012-0008

Numéro de publication IRSST

R-942

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