Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2018
Langue
Français
Résumé
L’industrie ferroviaire canadienne fait régulièrement face à des incidents critiques (IC) associés à des collisions avec des personnes ou des véhicules. Ces incidents peuvent occasionner des blessures graves, ou des décès, parmi les victimes, mais aussi des problèmes de santé mentale chez les ingénieurs et conducteurs opérant les locomotives. Chaque année, environ 20 personnes décèdent lors de collisions avec un train au Québec et une centaine au Canada. À ces incidents mortels s’ajoute un nombre inconnu d’incidents lors desquels des personnes ont été blessées ou des dégâts matériels ont été constatés. La plupart des ingénieurs et conducteurs de train seront exposés au moins une fois dans leur carrière à ce type d’évènement. Ils sont à la fois témoins, victimes, parties prenantes et souvent premiers répondants lorsqu’un tel incident critique se produit.
Une proportion importante des ingénieurs et conducteurs de locomotive retrouvent rapidement un niveau de fonctionnement personnel et professionnel satisfaisant et garde très peu de séquelles aux plans psychologique, social et fonctionnel. Le temps de récupération après un IC peut toutefois être long et les employés requièrent un soutien pendant cette période. De plus, entre 4 % et 17 % de ces employés vivront des troubles plus sévères, incluant la dépression, l’état de stress aigu, l’état de stress post-traumatique ou des troubles anxieux.
Il existe plusieurs approches cliniques efficaces pour réduire les symptômes post-traumatiques et une part importante de la recherche s’est concentrée sur ces traitements. Par contre, les besoins sont moins connus et les ressources sont plus rares pour ceux qui ne développent pas de stress post-traumatique et vivent des effets négatifs importants non diagnostiqués.
Quelques études se sont intéressées aux protocoles de gestion d’IC et de soutien (PGICS) offerts par les employeurs et leurs recommandations visaient souvent à mettre de l’avant des pratiques visant à réduire l’impact potentiel des IC sur les employés et à accélérer le retour au travail. Par contre, ces protocoles, même s’ils sont fondés sur des études des conséquences des IC et des besoins des employés, n’ont pas encore fait l’objet d’évaluations empiriques. De telles évaluations sont nécessaires pour déterminer les éléments importants qui génèrent des effets positifs sur la récupération des employés et pour promouvoir les recommandations fondées sur des connaissances scientifiques.
Ce projet vise à évaluer les PGICS déjà en place au Canada dans l’industrie ferroviaire et leurs effets sur les trajectoires de récupération des employés victimes d’un incident critique et de proposer les pratiques clés pour en réduire les effets négatifs.
Soixante-quatorze ingénieurs et conducteurs ayant vécu un IC ont été recrutés pour participer à l’étude. Ils ont été interviewés à quatre reprises sur une période de six mois tandis que neuf superviseurs répondant aux mêmes critères d’inclusion ont été interviewés deux fois sur une période de trois mois. Une méthode mixte a été employée pour analyser le corpus de données, combinant des analyses statistiques et qualitatives afin de bien comprendre les liens entre les incidents critiques, les PGICS et la récupération post-IC. Les perceptions et besoins des superviseurs qui se retrouvent en première ligne de l’application des protocoles et de l’offre de soutien sont également présentés.
Les résultats indiquent que les PGICS existants sont partiellement implantés ou le sont de façon inégale selon les employeurs, les provinces et les types d’IC. Entre autres, dans les IC sans décès, les protocoles de gestion et de soutien ne sont pas complètement appliqués, même si la santé des employés est affectée.
Les IC ont des effets très variés sur les employés. L’équipe de recherche a pu établir cinq trajectoires de récupération : pas d’effets négatifs, effets négatifs qui disparaissent dans le mois suivant l’IC, effets négatifs qui diminuent régulièrement et disparaissent dans les trois mois suivant l’IC, effets négatifs qui atteignent un plateau entre un et trois mois avant de disparaître, effets négatifs qui perdurent après six mois.
Dans l’ensemble, les deux tiers des employés voient les effets négatifs de l’IC se dissiper plus ou moins rapidement dans le mois suivant l’IC, 20 % des travailleurs ressentent toujours des effets significatifs après trois mois (trajectoire de plateau et d’effets perdurant après 6 mois) alors que cette proportion atteint 13 % après six mois. Ces effets sont non négligeables et affectent la cognition (concentration, rumination, distraction), l’énergie (fatigue, difficultés de sommeil) et les émotions (culpabilité, deuil) des employés. Ils peuvent également interférer avec leur capacité de faire leur travail de façon optimale.
Les différences dans l’application des PGICS permettent d’évaluer le rôle de ces actions dans le processus de récupération post-IC. Les résultats de cette étude montrent que les protocoles de gestion peuvent avoir un effet sur le processus de récupération. Les éléments suivants ont des effets qui favorisent une accélération du processus de récupération : la présence d’un superviseur sur les lieux; la prise en charge de la scène de l’IC par un superviseur; une attitude respectueuse et empathique des différents intervenants; l’absence de pression sur les employés pour qu’ils poursuivent leur travail ou qu’ils reviennent prématurément; la démobilisation (retrait de la scène d’IC et retour à la maison) et la prise de congés automatiques; l’offre proactive de soutien par le programme d’aide aux employés; une procédure claire de retour au travail et d’évaluation des capacités de l’employé à reprendre sa vie professionnelle; une offre différée de soutien en cas de besoin; un suivi effectué après le retour et un contexte de travail positif.
L’étude montre donc que la gestion de l’IC et le soutien offert par l’employeur sont des facteurs importants favorisant la récupération des employés. Ce sont des attitudes et actions sur lesquelles les employeurs peuvent agir et qui s’appliquent relativement facilement, sans engendrer de coûts prohibitifs pour les entreprises; alors que pour d’autres facteurs, comme la présence de soutien social ou la complexité de l’IC, les employeurs ont moins d’emprise. De plus, les entreprises ferroviaires ont des protocoles qui incluent la majorité des actions considérées comme efficaces. L’application rigoureuse de ces protocoles constitue la première étape vers l’amélioration des pratiques et donc de l’atténuation des effets négatifs des IC.
Abstract
The Canadian railway industry must regularly deal with critical incidents (CI) involving collisions with people or vehicles. Such incidents may result in serious injuries or even fatalities, in addition to causing mental health problems for the locomotive engineers and conductors involved. Every year, approximately one hundred people in Canada, including some 20 in Québec, lose their lives in collisions with trains. In addition to fatal events, an unknown number of incidents also occur in which people are injured or property is damaged. Most locomotive engineers and train conductors will be exposed to this type of event at least once in their careers. When a critical incident of this nature occurs, they are witnesses, victims, participants and often first responders, all at the same time.
A significant proportion of locomotive engineers and train conductors soon return to satisfactory personal and occupational functioning levels and have very few psychological, social or functional after-effects. However, the recovery time after a CI can be quite long, and employees require support during this period. In addition, between 4% and 17% of these employees will experience more serious problems, including depression, acute stress disorder, posttraumatic stress disorder or anxiety.
Several clinical approaches are effective in mitigating posttraumatic symptoms, and a great deal of the research has focused on them. In contrast, needs are less well known and there are fewer resources for those who do not suffer posttraumatic stress, but who struggle with major undiagnosed adverse effects.
Some studies have examined the critical incident management and support protocols (CIMSPs) implemented by employers, and they often recommend the adoption of practices to reduce the potential impact of critical incidents on employees and to shorten their recovery period. However, although these protocols are based on studies of CI after-effects and employees’ needs, they have not yet undergone empirical evaluation. Assessments of this kind are necessary to determine the key elements of these protocols that have a positive impact on employee recovery and to promote recommendations based on scientific findings.
The aim of this project was to assess the CIMSPs that have been implemented in the Canadian rail industry and their impact on the recovery of employees who have been involved in critical incidents and to propose key practices to reduce the adverse effects.
Seventy-four locomotive engineers and train conductors who had experienced a CI were recruited to take part in the study. They were interviewed four times over a six-month period. As well, nine managers of train operations (MTOs) who met the same inclusion criteria were interviewed twice over a three-month period. A mixed-method approach was used to analyse the data collected, combining statistical and qualitative analyses to fully understand the relationships between critical incidents, CIMSPs and post-CI recovery. The perceptions, needs and recommendations of MTOs who are responsible for applying protocols and providing support are also presented.
The results indicate that existing CIMSPs are implemented partially or unevenly, depending on employer, province and CI type. In CIs without fatalities, for instance, management and support protocols are not completely followed, even when employee health is affected. Iv Assessment of Various CIMSPs for Railway Employees After a Serious Incident IRSST CIs affect employees in a wide variety of ways. The research team was able to establish five distinct recovery trajectories: no adverse effects, adverse effects that disappear within the month following the CI, adverse effects that gradually decline and disappear within the three months following the CI, adverse effects that reach a plateau between one and three months afterwards and then disappear, and adverse effects that are still present after six months.
Overall, among two thirds of employees, the adverse effects of a CI dissipate more or less rapidly in the month following the CI, 20% still feel significant effects after three months (course of the plateau and effects that persist after six months), while that proportion falls to 13% after six months. These effects are not negligible and affect employees’ cognition (concentration, rumination, distraction), energy (fatigue, trouble sleeping) and emotions (guilt, grief). They may also interfere with employees’ ability to perform their jobs effectively.
Differences in the application of CIMSPs provide opportunities for assessing their role in the post-CI recovery process. The study results show that management protocols can have an effect on the recovery process. The following factors tend to foster an acceleration of the process: the presence of a manager on site; a manager taking charge at the scene of the CI; the various stakeholders showing respect and empathy toward those affected; no pressure on employees to continue working or to return to work before they are ready; demobilization (automatically removing employees from the scene of the CI and taking them home) and granting them recovery leave; a proactive offer of support by the employee assistance program (EAP); a clear procedure for return to work and assessment of the employee’s readiness to resume occupational duties; deferred offer of support if needed; follow-up after return to work and a positive work environment.
The study shows that CI management and the support provided by employers are key factors in promoting employee recovery. These are attitudes and actions that employers can act on and that can be applied fairly easily, without entailing prohibitive costs for companies. Employers have less control over other factors, such as social support or the complexity of the CI. Railway companies have protocols that already include most of the actions deemed to be effective. Following those protocols assiduously is a first step toward improving current practices and mitigating the adverse effects of CIs.
ISBN
9782896319855
Mots-clés
Plan d'urgence, Urgency plan, Transport par chemin de fer, Rail transport, Responsabilité des employeurs, Responsibility of employers, Organisation des traitements d'urgence, Emergency-treatment organisation, Programme d'aide aux employés, Employees program assistance, Effet psychologique, Psychological effect, Incident dangereux, Dangerous occurrence, Accident mortel, Fatality, Séquelle, Sequelae, Symptôme, Symptom, Stress post-traumatique, Posttraumatic stress, Maintien en emploi, Job maintenance, Comportement humain, Human behaviour, Santé mentale, Mental health, Enquête par entrevue, Interview survey, Traitement d'urgence, Emergency treatmenty, Aspect psychosocial, Psychosocial aspect, Service psychologique et psychiatrique, Psychological and psychiatric service, Statistiques, Statistics, Québec
Numéro de projet IRSST
2013-0039
Numéro de publication IRSST
R-996
Citation recommandée
Bardon, C., Mishara, B. L. et Soares, A. (2018). Évaluation de différents protocoles de gestion d'incident et de soutien aux employés après un incident grave (Rapport n° R-996). IRSST.