Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2017

Langue

Français

Résumé

Les troubles musculosquelettiques (TMS) liés au travail constituent un problème majeur chez le personnel infirmier, et ce, malgré la disponibilité de solides résultats des recherches sur les pratiques préventives en santé et en sécurité du travail (SST). Au Québec, en 2013, le secteur de la santé et des services sociaux enregistre, à lui seul, 6 590 cas (soit 41,5 %) de blessures de type musculosquelettique. Ces cas représentent 28,8 % de l’ensemble des nouvelles réclamations pour des lésions professionnelles avec perte de temps (CSST, 2014). Les données ne seraient que la pointe de l’iceberg, puisque ces statistiques ne considèrent pas les événements sans perte de temps et non déclarés ni ceux dont seraient victimes les travailleurs non assurés. Le personnel soignant, incluant les infirmières, les infirmières auxiliaires et les préposées aux bénéficiaires, constitue encore aujourd’hui l’une des catégories de travailleurs qui subit le plus de troubles musculosquelettiques, et en particulier de lésions au dos, dus principalement aux tâches associées à la manutention et aux soins donnés aux patients. Plusieurs chercheurs en SST sont d’accord pour dire que la disponibilité des résultats des recherches sur les mesures préventives des TMS ne garantit pas en soi leur application. Bon nombre de ces chercheurs ont souligné le besoin primordial de mieux diffuser ces connaissances et, notamment, l’importance de bien documenter les conditions facilitant l’appropriation et l’application des bonnes pratiques de prévention des TMS lorsqu’elles sont implantées dans le contexte réel des travailleurs. Ainsi, l’objectif principal de cette étude est d’identifier et d’analyser les conditions d’application des pratiques préventives des TMS chez le personnel infirmier à partir des théories du transfert de connaissances, notamment celles relatives à la capacité d’absorption des connaissances. Plus précisément, cette étude vise à 1) étudier les étapes du processus de mise en application des pratiques préventives des TMS, 2) faire un examen exhaustif des principales pratiques préventives rapportées dans la littérature, 3) Identifier les facteurs individuels et organisationnels associés aux diverses étapes du processus d’application des pratiques préventives des TMS, 4) fournir des pistes d’amélioration sur la mise en application des pratiques préventives des TMS liés au travail. Pour répondre à ces objectifs, une enquête par sondage en ligne a été réalisée auprès du personnel infirmier (N=399) exerçant dans différents établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Ensuite, deux groupes de discussion composés d’infirmières et de gestionnaires (G1=8, G2=6) ont été menés pour valider les résultats et enrichir leur interprétation.

Cette étude a permis de confirmer que la mise en application des pratiques préventives des TMS est un processus multidimensionnel qui débute par l’acquisition des connaissances à cet égard et se poursuit par leur appropriation et leur application dans les tâches quotidiennes du personnel infirmier. Aussi, cette étude révèle que les barrières, qui se dressent devant les infirmières au regard de l’application des pratiques préventives des TMS, se situent surtout à l’étape de leur mise en pratique et non à celle de l’appropriation, ce qui suggère que les contraintes relèvent davantage des milieux de travail. Ce constat a d’ailleurs été vérifié par des analyses confirmatoires lesquelles ont mis en évidence trois facteurs lesquels influent directement sur le processus d’application des pratiques préventives des TMS soit : 1) la culture organisationnelle, 2) le leadership, 3) les mécanismes de rétroaction et d’évaluation des pratiques préventives des TMS sur les lieux de travail. Les participants aux groupes de discussion ont corroboré ces résultats et fourni des explications à l’égard des conditions qui entravent la mise en application des pratiques préventives des TMS dans leur contexte de travail. On trouve parmi ces contraintes :

  • Le décalage important entre les conditions d’application des mesures préventives des TMS sur les lieux de formation et celles des milieux de travail qui sont bien plus exigeantes;
  • La difficulté d’accéder aux équipements de manutention et l’encombrement des espaces de travail, en particulier dans les services de soins à domicile, qui rendent difficile l’application des pratiques préventives apprises;
  • La dynamique de travail et la volonté de se conformer au rythme des collègues au risque de se blesser;
  • Une culture organisationnelle valorisant peu les comportements sécuritaires en matière de manutention chez le personnel infirmier;
  • L’absence de mécanismes de rétroaction sur les lieux de travail afin de permettre au personnel infirmier d’adopter les meilleures pratiques en matière de prévention des TMS;
  • Le manque d’engagement de la direction à l’égard de la prévention des TMS liés au travail chez le personnel infirmier.

Enfin, cette étude a permis de suggérer des pistes de recommandation à la lumière des résultats obtenus, d’exprimer les souhaits formulés par les participants et de recenser les données probantes de la littérature. Tout d’abord, les résultats font ressortir l’importance de sensibiliser les gestionnaires à la question de la SST du personnel infirmier afin que des mesures préventives des TMS soient intégrées aux routines organisationnelles. Cette recommandation est également formulée par de nombreux auteurs, pour lesquels le soutien tangible de la direction est considéré comme un facteur de réussite essentiel à la mise en pratique des mesures préventives des TMS du personnel soignant. Par ailleurs, les résultats de notre étude mettent en lumière l’importance pour le personnel infirmier interrogé d’avoir le soutien d’une personne-ressource (appelée aussi pair leader, coach, etc.) en matière de prévention des TMS. Ce résultat est également appuyé par les participants des groupes de discussion pour lesquels il est essentiel d’avoir des rétroactions sur leurs pratiques de manutention. Aussi, les participants à cette étude préfèrent que la personne-ressource soit un collègue ou une personne du milieu, car elle est ainsi plus à même de comprendre les contraintes auxquelles ils font face. Enfin, les participants souhaitent qu’il y ait davantage de formation et de rappels sur les lieux de travail pour favoriser l’application des mesures de prévention des TMS au quotidien, certains préconisant une ligne de conduite à suivre, voire l’imposition des mesures préventives par des règles plus formelles et des formations obligatoires. Les recommandations de nombreux auteurs vont dans le même sens puisqu’ils considèrent qu’une formation appropriée pour le personnel soignant est un élément clé d’un programme de prévention lié à la manutention, soit par la démonstration des techniques de transfert en utilisant les équipements disponibles, la possibilité pour le personnel de pratiquer les techniques, le fait aussi de fournir une rétroaction sur les compétences du personnel formé. Ces auteurs soulignent que la formation donnée en milieu de travail aurait plus d’impact que la formation sans lien direct avec le contexte de travail, ce qui est mis en évidence par les résultats de cette étude. Finalement, pour ce qui est du choix des pratiques préventives associées aux TMS, la littérature récente recommande des interventions de prévention multiples, la formation combinée à d’autres composants étant probablement plus efficace que la formation seule en vue de prévenir les TMS. Les résultats de l’étude ajoutent à cela l’importance de parfaire l’apprentissage des mesures de prévention des TMS afin qu’il réponde aux besoins de chaque milieu de travail. Des formations vraiment adaptées aux différents établissements, aux services et aux unités pourraient être offertes au personnel infirmier, car il semble que celle fournie en établissement ainsi que celle donnée en milieu de travail soient des formations génériques et donc peu adaptées aux contraintes des milieux.

Abstract

Work-related musculoskeletal disorders (MSDs) constitute a major problem among nursing staff, despite the availability of robust research results on preventive practices in occupational health and safety (OHS). In Québec, in 2013, the health and social services sector alone recorded 6,590 cases (41.5%) of musculoskeletal-type injuries, representing 28.8% of all new claims for time-loss occupational injuries (CSST, 2014). Such statistics reflect only the tip of the iceberg, as they do not include events with no time loss, unreported events, or those involving uninsured workers. Today, caregiving staff – including nurses, nursing assistants and patient attendants – still constitutes one of the worker categories that sustains the highest number of musculoskeletal disorders, particularly back injuries. This is largely due to tasks associated with handling and administering care to patients. Numerous OHS researchers concur that the availability of research results on MSD-related preventive measures is no guarantee of their application. Many of the same researchers stress the vital importance of better dissemination of this knowledge, and particularly, the importance of properly documenting the conditions that facilitate assimilation and application of the best MSD prevention practices when implemented in workers’ real work settings. The main aim of this study was therefore to analyze the conditions under which nursing staff apply MSD prevention practices, on the basis of knowledge-transfer theories, particularly those related to knowledge absorption capacity. More specifically, this study sought to (1) study the steps involved in applying MSD prevention practices, (2) exhaustively examine the main preventive practices reported in the literature, (3) identify the personal and organizational factors associated with the various steps in applying MSD prevention practices, and (4) recommend possible ways to improve application of MSD prevention practices in the workplace. To achieve these aims, an online survey was conducted of nursing staff (N=399) working in various institutions within the health and social services network. Two focus groups comprising nurses and managers (G1=8, G2=6) were then held to validate the results and enrich their interpretation.

This study confirmed that the application of MSD prevention practices is a multi-dimensional process that begins with acquisition of the relevant knowledge and continues with the assimilation and application of that knowledge by nursing staff in their daily tasks. The study further revealed that the obstacles nurses face in applying MSD prevention practices arise mainly during the application, not the assimilation, stage, suggesting that the constraints have more to do with the workplace. This finding was also verified through confirmatory analyses, which brought to light three factors exerting a direct influence on the process of applying MSD prevention practices, namely: (1) organizational culture, (2) leadership, and (3) mechanisms for providing feedback and for evaluating MSD prevention practices in the workplace. The focus group participants corroborated these results and provided explanations regarding the conditions hindering application of such practices in their work setting. These constraints include:

  • major disparities between the conditions under which MSD prevention measures are applied in the training context and the much more demanding conditions present in the workplace;
  • difficulty accessing handling equipment and cluttered workspaces, particularly in the context of home care services, making it difficult to apply the preventive practices learned;
  • the work dynamics and the desire to keep up with the work pace of co-workers, at the risk of self-injury;
  • an organizational culture that places little value on safe patient-handling behaviours by nursing staff;
  • the absence of feedback mechanisms in the workplace that would help nursing staff adopt the best MSD prevention practices; and
  • lack of management commitment to the prevention of work-related MSDs among nursing staff.

Lastly, based on the results obtained, this study yielded a number of recommendations for several possible courses of action , in addition to providing a forum where participants could express their wishes and offer explanations of the barriers to their application of MSD prevention practices in their workplace. First, our study results point to the importance of raising manager awareness of the OHS issue among nursing staff to ensure that MSD prevention practices can be integrated into organizational routines. This recommendation has also been formulated by many other authors, who regard tangible support from management as essential to the successful implementation of MSD prevention practices by caregiving staff. Second, our study results highlight the importance, for the nursing staff interviewed, of having the support of a resource person (also called a peer leader, coach, etc.) for MSD prevention matters. This result was further substantiated by the focus-group participants, who considered it essential to receive feedback on their handling practices. Third, our study participants stated their preference for having a resource person who is a co-worker or someone else from the workplace, because such a person is better placed to understand the constraints they face. Fourth, they would also like to see more training and reminders in the workplace to promote the application of MSD prevention practices on a daily basis, with some even recommending that specific guidelines be given and that preventive measures be imposed through more formal rules and compulsory training. Similar recommendations are made by numerous authors, who consider that appropriate training for caregiving staff is a key element in prevention programs on patient handling. Specifically, this training should include demonstrations of transfer techniques using the equipment available, giving staff the opportunity to practice the techniques, and providing feedback on the skills of the staff thus trained. These authors stress that training in the workplace has greater impact than training which has no direct link to the work context, a factor also evidenced in the results of our study. Fifth, regarding the selection of MSD prevention practices, the recent literature recommends multiple intervention strategies, since training combined with other components is probably more effective than training alone as a means of preventing MSDs. And sixth, the results of our study underscore the importance of training sessions that are tailored to the various establishments, departments or units, and that should be offered to nursing staff, because the training currently provided in educational institutions and workplaces appears to be overly generic and poorly adapted to workplace-specific constraints.

ISBN

9782896319626

Mots-clés

Personnel infirmier, Nursing personnel, Formation à la prévention, Safety and health training, Manutention manuelle, Manual handling, Conditions de travail, Conditions of work, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Esprit de sécurité, Safety consciousness, Enquête par questionnaire, Questionnaire survey, Évaluation du risque, Hazard evaluation, Technique de prévention, Safety and health engineering Évaluation des programmes, Program evaluation, Rôle de la direction, Role of management, Participation des travailleurs, Worker participation, Programme de prévention, Health and safety program, Méthode de travail et sécurité, Safe working method, Risque d'atteinte à la santé, Health hazard

Numéro de projet IRSST

2012-0021

Numéro de publication IRSST

R-985

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