Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2024

Langue

Français

Résumé

Il est reconnu que les femmes et les hommes ont des profils professionnels différents qui peuvent donc se traduire par des risques de maladie professionnelle différents. Pourtant, la plupart de nos connaissances actuelles sur les maladies professionnelles découlent d'études menées auprès des hommes. Or, les femmes représentent actuellement 48 % de la population active au Québec. La santé des femmes dans l’environnement de travail demeure un domaine sous-étudié et nous sommes particulièrement freinés par le manque de compréhension de l'impact du genre sur l'exposition en milieu de travail. Il a été démontré que l'attribution des tâches et les conditions de travail peuvent différer même lorsque les femmes et les hommes exercent les mêmes professions. Ces différences dans l'attribution des tâches peuvent se traduire par des expositions différentes aux produits chimiques toxiques, aux contraintes ergonomiques, aux risques d'accident et aux facteurs de stress psychosociaux. Alors que les différences biologiques entre les femmes et les hommes peuvent être un facteur causal sous-jacent dans l'étiologie des maladies, la prise en compte des différences de genre dans l'évaluation de l'exposition reste un défi dans la recherche sur la santé au travail en raison du manque d'outils existants qui tiennent compte de ces différences.

Dans le contexte d'expositions survenues dans le passé ou sur une longue période, l'évaluation par des experts est supérieure aux expositions autodéclarées, car les experts peuvent tenir compte de la période d'exposition, des particularités locales, des processus de fabrication ou des matériaux utilisés, ainsi que des tâches particulières accomplies par le sujet. Néanmoins, l'évaluation par des experts reste coûteuse quant à la durée de travail des ressources et, par conséquent, plusieurs chercheurs éminents ont préconisé l'utilisation de matrices emploi exposition (JEM). En particulier, les JEM construites à partir de données dérivées d'évaluations d'experts ont été proposées comme une alternative rentable à l'évaluation par des experts. Une telle matrice, connue sous le nom de Canadian Job Exposure Matrix (CANJEM), a été créée par Jérôme Lavoué et Jack Siemiatycki à partir des informations sur l'exposition obtenues dans le cadre de quatre études cas-témoins menées à Montréal entre 1979 et 2004, qui ont porté sur plus de 12 000 sujets (plus de 30 000 emplois), où la majorité des sujets de l'étude étaient des hommes.

L'amélioration des estimations de CANJEM concernant les expositions chimiques et physiques des femmes sur le lieu de travail était un objectif important de ce projet. À cette fin, une évaluation des histoires professionnelles des femmes (4 362 descriptions d’emploi) ayant participé à l'étude cas-témoins sur le cancer du sein à Montréal de 2008 à 2011, dirigée par Mark S. Goldberg et France Labrèche, a été effectuée par des experts. Une équipe de chimistes et d'hygiénistes industriels qualifiés a examiné les histoires professionnelles détaillées recueillies auprès des participantes à l’étude afin de leur attribuer des codes de profession et d'industrie normalisés et d'estimer les expositions pour chaque emploi exercé. En ajoutant ces données enrichies à CANJEM, notre étude visait à déterminer si les expositions professionnelles différaient entre les femmes et les hommes occupant les mêmes emplois. Afin d'évaluer les différences possibles en matière d'exposition, des JEM spécifiques au sexe ont été développées pour comparer la fréquence des professions et la prévalence des agents entre les sexes. Ensuite, la concordance entre chaque JEM des paramètres de la probabilité, de la fréquence, de l’intensité et de l’intensité d’exposition pondérée en fréquence a été calculée. Des modèles bayésiens hiérarchiques ont ensuite été créés pour estimer les différences notables entre les JEM spécifiques aux femmes et aux hommes en fonction de la probabilité d'exposition à un agent donné. Enfin, à partir de l'information enrichie contenue dans CANJEM, nous avons obtenu des estimations de la prévalence de l'exposition à 258 agents en milieu de travail chez les femmes de Montréal.

En comparant les JEM spécifiques au sexe, la fréquence des professions diffère entre les sexes, que l'on examine toutes les professions de chaque JEM séparées ou les professions communes aux deux JEM. En outre, la prévalence des agents différait d'une JEM à l'autre, avec peu de chevauchements entre les agents les plus prévalents. Les professions communes aux femmes et aux hommes présentaient une concordance modérée quant à la probabilité, à la fréquence, à l'intensité et à l'intensité pondérée en fonction de la fréquence de l'exposition aux agents CANJEM. Les professions principalement occupées par des femmes étaient fréquemment exposées aux solvants organiques, aux agents de nettoyage et aux aldéhydes aliphatiques, alors que les professions principalement occupées par des hommes étaient fréquemment exposées aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP, de toute origine et du pétrole en particulier), aux solvants organiques et au monoxyde de carbone.

À partir des analyses bayésiennes hiérarchiques, nous avons observé que les combinaisons agent-profession (en utilisant une résolution à 5 chiffres du code de la CITP-68, correspondant à la catégorie professionnelle) chez les hommes avaient des probabilités plus élevées d’exposition par rapport aux femmes au cours d’une même période (1933-2011). Parmi les professions couramment exercées, on a observé différents agents pour lesquels les femmes ou les hommes avaient des probabilités d'exposition plus élevées. Les femmes travaillant dans l’agriculture étaient plus susceptibles que les hommes d’être exposées à un plus grand nombre d’agents. Les femmes travaillant comme Ouvrière agricole avaient des probabilités d'exposition nettement plus élevées que les hommes à six agents, tandis que les hommes Ouvrier agricole avaient deux agents pour lesquels leurs probabilités d'exposition étaient plus élevées que celles des femmes. En comparaison, les hommes avaient des probabilités plus élevées d'être exposés à des agents lorsqu’ils exerçaient des professions telles que manoeuvres et vendeurs. Les hommes ayant le titre professionnel de Gestionnaire (commerce de détail) avaient des probabilités d'exposition significativement plus élevées pour 16 agents, contre trois qui étaient plus élevées chez les femmes. En général, les analyses des différences notables ont montré que les femmes avaient des probabilités plus élevées d'être exposées aux agents de nettoyage, à la poussière de tissu et à l'ozone, tandis que les hommes avaient des probabilités plus élevées d'être exposés aux HAP (de toute origine ou provenant du pétrole), au monoxyde de carbone et au plomb.

L'une des principales lacunes limitant la compréhension des différences liées au genre en matière d'exposition professionnelle est le manque d'informations fiables sur les expositions subies par les femmes. À partir de CANJEM, enrichie par l'ajout d'un plus grand nombre de professions occupées par des femmes, les professions fréquemment occupées par les femmes montréalaises et les expositions prévalentes encourues en milieu de travail de 1933 à 2011 ont été identifiées. Les emplois les plus fréquemment occupés par les femmes se trouvaient dans les secteurs du textile et de la fabrication, et des soins de santé et des services; les solvants organiques, les agents de nettoyage et l'ozone étaient les agents auxquels les travailleuses étaient le plus souvent exposées. Il est intéressant de noter que les femmes montréalaises n'ont été exposées qu'à 196 agents CANJEM sur les 258 agents étudiés et que, par conséquent, 62 agents CANJEM n'ont été répertoriés dans aucune profession occupée par des femmes.

Nos résultats contribueront à améliorer la capacité de CANJEM à évaluer les expositions des femmes en milieu de travail. Étant donné le peu de données disponibles sur la relation entre le sexe et/ou le genre et l'exposition, la validité de l'application des outils d'évaluation de l'exposition élaborés à partir d'informations recueillies auprès des hommes (ou principalement auprès des hommes) aux études chez les femmes est inconnue. Nos résultats s'ajoutent aux conclusions précédentes sur la ségrégation industrielle entre les femmes et les hommes, dans la mesure où l'on observe que les profils d'exposition peuvent également différer au sein d'un même groupe professionnel en raison des différences dans les tâches assignées. Compte tenu de ces différences d'exposition entre les femmes et les hommes selon les combinaisons d’agent-profession, il est évident que des efforts supplémentaires doivent être déployés pour intégrer les informations relatives à l'exposition des travailleuses dans les JEM et qu'une JEM féminine puisse être nécessaire pour estimer avec plus de précision les expositions dans certains milieux de travail. En définitive, il est clair que nous devons développer des outils grâce auxquels nous pouvons surveiller et informer de manière équitable la sécurité et la santé des travailleuses.

Abstract

It has been recognized that women and men have different occupational profiles which may, therefore, translate into different occupational disease risks. Yet, most of our current understanding of occupational diseases stems from evidence accumulated from studies conducted in men. Meanwhile, women currently represent 48% of the labour force in Québec. Women’s health in the workplace continues to be an under-studied area and we are hindered particularly by the lack of understanding of how gender impacts workplace exposures. There is evidence that task assignments and working conditions may differ even when women and men have the same occupations. These different task assignments may translate into different exposures to toxic chemicals, ergonomic demands, risk of accidents, and psychosocial stressors. Whereas biological differences between women and men may be an underlying causal factor in the etiology of diseases, the consideration of gender differences in exposure assessment remains a challenge in occupational health research given the lack of existing tools that capture gender differences.

In the context of exposures occurring in the past or over a long period of time, expert assessment is superior to self-reported exposures since experts can account for the time period of exposure, local peculiarities of production processes or materials used, as well as particular tasks performed by the subject. Nevertheless, expert assessment remains costly in terms of resource time and thus, several prominent researchers have advocated for the use of job exposure matrices (JEMs). In particular, JEMs built from data derived from expert assessments have been proposed as a cost-efficient alternative to expert assessment. Such a database, known as the Canadian Job Exposure Matrix (CANJEM) was constructed by Drs. Jérôme Lavoué and Jack Siemiatycki from the exposure information obtained within four case-control studies conducted in Montréal between 1979 and 2004, that included over 12,000 subjects (over 30,000 jobs) wherein the majority of study subjects were men.

The improvement of CANJEM estimations of chemical and physical exposures of women in the workplace was one important objective of this project. To this end, expert assessment of the occupational histories of women in the Montréal Breast Cancer Case-Control Study from 2008 to 2011, directed by Mark S. Goldberg and France Labrèche, was employed. A team of trained chemists and industrial hygienists reviewed occupational histories to assign standardized occupation and industry codes, and exposures for each occupation held. Adding this enhanced data to CANJEM, our study aimed to discern whether occupational exposures differ between women and men holding the same jobs. In order to evaluate possible differences in exposure, sex-specific JEMs were developed to compare the frequency of occupations and the prevalence of agents between sexes. Then, the agreement of exposure metrics of the probability, frequency, intensity, and frequency-weighted intensity of exposure between each JEM was calculated. Hierarchical Bayesian models were then created to estimate notable differences between corresponding female- and male-specific JEMs based on the probability of exposure. Lastly, from the enhanced information in CANJEM, we derived estimates of the prevalence of exposure to 258 workplace agents among Montréal women.

Experts conducted assessments of 4,362 job descriptions from lifetime occupational histories provided by women in the Montréal Breast Cancer Case-Control Study. Upon comparison of sex-specific JEMs, the frequency of occupations differed between sexes regardlesss of whether all occupations in each separate JEM or occupations common to both JEMs were examined. Furthermore, the prevalence of agents in each JEM differed, with few overlapping across the most prevalent agents. It was observed that occupations common to both women and men revealed moderate agreement in the probability, frequency, intensity, and frequency-weighted intensity of exposure to CANJEM agents. Occupations held by women were frequently exposed to organic solvents, cleaning agents, and aliphatic aldehydes while occupations held by men were frequently exposed to PAHs (from any source and from petroleum specifically), organic solvents, and carbon monoxide.

From Hierarchical Bayesian analyses, we observed that agent-occupation combinations (using a 5-digit ISCO-68 job code resolution) among men had higher probabilities of exposure to CANJEM agents relative to women in one time period (1933-2011). Among commonly held occupations, different agents in which either women or men had higher probabilities of exposure were observed. Women working in farming had higher probabilities of exposure to a greater number of agents than men. Female Farm Workers (General) had notably higher probabilities of exposure to six agents while male Farm Workers (General) had two agents for which their probabilities of exposure were higher than females. In comparison, men had higher probabilities of exposure to agents in occupations such as labourers and salespersons. Men holding the occupational title of Manager, Retail Trade had significantly higher probabilities of exposure across 16 agents relative to three that were higher in women. In general, notable difference analyses illustrated that women in the workforce had more significantly higher probabilities of exposure to cleaning agents, fabric dust, and ozone while men had more significantly higher probabilities of exposure to PAHs (from any source or from petroleum), carbon monoxide, and lead.

One of the key gaps limiting further understanding of gender differences in occupational exposure is the paucity of reliable information about exposures incurred by women. From the enhancement of CANJEM with the addition of more occupations held by females, occupational titles frequently held by Montréal women and the prevalent exposures incurred in the workplace from 1933 to 2011 were identified. The most frequently held jobs among women tended to be in the textile and production, health care, and service industries. Meanwhile, organic solvents, cleaning agents, and ozone were the most prevalent agents that working women were exposed to. Interestingly, Montréal women were exposed only to 196 CANJEM agents out of 258 and thus, 62 CANJEM agents were not listed in any occupations held by women.

Our findings will assist in the improvement of the ability of CANJEM to evaluate workplace exposures in women. Given the limited data that exists on the relationship between sex and/or gender and exposure, the validity of applying exposure assessment tools developed from information collected from men (or primarily from men) to studies in women is unknown. Our results add to previous findings of industry segregation between women and men in that it is observed that exposure profiles may also differ within the same occupational group due to differences in assigned tasks. Upon observing such exposure differences between women and men across agent-occupation combinations, it is evident that further efforts must be made to incorporate exposure information of female workers into JEMs and that a female JEM may be needed to accurately estimate exposures for certain workplaces. Ultimately, it is clear that we must develop tools whereby we can equitably monitor and inform the safety and health of female workers.

ISBN

9782897972851

Mots-clés

Différence liée au sexe, Sex difference, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Produit chimique, Chemical product, Femme, Woman, Évaluation du risque, Hazard evaluation

Numéro de projet IRSST

2017-0038

Numéro de publication IRSST

R-1190-en

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