Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2023

Langue

Français

Résumé

Il existe peu de données publiées sur l'impact de la coexposition sur la toxicocinétique des pesticides chez les travailleurs agricoles, nécessaires pour une interprétation adéquate des données de biosurveillance de l’exposition. La présente recherche a visé à évaluer l’impact de la coexposition sur les niveaux de biomarqueurs d’exposition aux pesticides pyréthrinoïdes chez les travailleurs agricoles. Le pyréthrinoïde lambda-cyhalothrine (LCT) et le fongicide captane ont été utilisés comme pesticides sentinelles, puisqu’ils sont largement employés en culture agricole.

Dans le volet 1, les profils temporels individuels des biomarqueurs d'exposition à la lambda-cyhalothrine ont été comparés chez des opérateurs après un épisode de pulvérisation de la lambda-cyhalothrine seule ou en combinaison avec le captane dans des champs de fraises. Des applicateurs ont fourni toutes les urines sur une période de trois jours après pulvérisation d'une formulation pesticide contenant de la lambda-cyhalothrine seule ou mélangée à du captane, et dans certains cas, après être retournés dans le champ traité. Les métabolites de la lambda-cyhalothrine ont été mesurés dans tous les échantillons d'urine, en particulier l'acide 3-(2-chloro-3,3,3-trifluoroprop-1-én-1-yl)-2,2-diméthyl-cyclopropanecarboxylique (CFMP), l'acide 3-phénoxybenzoïque (3-PBA) et l'acide 4-hydroxy-3-phénoxybenzoïque (4-OH3PBA). Sur les 14 applicateurs recrutés, il a été possible d'établir les profils d'excrétion urinaire des métabolites pour 25 épisodes d'application. L’analyse comparative a montré qu’il n'y avait pas de différences évidentes dans les profils temporels individuels des concentrations de métabolites (CFMP, 3-PBA, 4-OH3BPA) et dans l'excrétion cumulative après une exposition à la lambda-cyhalothrine seule ou en combinaison avec le captane. Pour la plupart des travailleurs et des scénarios d'exposition, le CFMP était le principal métabolite excrété, mais l'évolution temporelle du CFMP dans l'urine ne suivait pas toujours celle du 3-PBA et du 4-OH3BPA. Étant donné que ces derniers métabolites sont communs à d'autres pyréthrinoïdes, cela suggère que certains opérateurs ont été coexposés à des pyréthrinoïdes autres que la lambda-cyhalothrine. Pour plusieurs travailleurs et scénarios d'exposition, les valeurs de CFMP ont augmenté dans les heures suivant la pulvérisation. Cependant, pour de nombreux opérateurs de pesticides, d'autres pics de CFMP ont été observés à des moments plus tardifs, indiquant que des tâches autres que la pulvérisation de formulations contenant de la lambda-cyhalothrine ont contribué à cette exposition accrue. Selon les réponses aux questionnaires, ces tâches étaient principalement la manipulation ou le nettoyage de l'équipement utilisé pour la pulvérisation ou encore le travail ou l’inspection dans les champs traités.

Dans le volet 2, une étude transversale de l’impact de la coexposition par rapport à d’autres facteurs sur la mesure de biomarqueurs chez des travailleurs a été réalisée. Ce volet a impliqué un échantillonnage chez un plus grand nombre de travailleurs, par rapport au volet 1, mais a reposé sur moins de mesures biologiques par travailleur. Des analyses statistiques multivariées ont servi à évaluer la contribution de la coexposition par rapport à d’autres facteurs dans la variabilité des niveaux de biomarqueurs d’exposition. Contrairement au volet 1 qui ciblait surtout les applicateurs, 87 travailleurs affectés à différentes tâches (application, désherbage, cueillette) ont été recrutés en visant une homogénéité entre travailleurs exposés à la lambda-cyhalothrine seule ou coexposés au captane. Les travailleurs recrutés ont fourni deux collectes urinaires de 24 h consécutives suivant un épisode d’application de la lambda-cyhalothrine seule ou en combinaison avec le captane ou un travail dans les champs traités, ainsi qu’une collecte témoin. Tout comme dans le volet 1, les concentrations de biomarqueurs d’exposition à la lambda-cyhalothrine ont été mesurées dans les échantillons. Les déterminants potentiels de l’exposition établis dans une étude antérieure, incluant la tâche effectuée et des facteurs personnels documentés par questionnaire, ont été considérés. Les analyses multivariées ont montré que la coexposition n’avait pas d’effet statistiquement significatif sur les niveaux urinaires de 3-PBA et de CFMP observés. La variable « temps », représentant les mesures biologiques répétées et définies comme variable intrasujet, était un prédicteur significatif des niveaux biologiques observés de 3-PBA et de CFMP. Seule la tâche professionnelle principale était associée significativement aux niveaux urinaires de 3-PBA et de CFMP. Comparativement à la tâche de désherbage ou de cueillette, la tâche d’application de pesticides était globalement associée à des concentrations urinaires de 3-PBA et CFMP plus élevées.

Dans le volet 3, un modèle toxicocinétique spécifique à la lambda-cyhalothrine a été utilisé pour simuler les données cinétiques de biomarqueurs chez les travailleurs exposés au pesticide seul et en coexposition. Les paramètres du modèle ont été déterminés par une nouvelle méthodologie combinée de résolution numérique des équations différentielles et de recherche des paramètres du modèle. Les paramètres du modèle ont été optimisés à partir de données publiées chez des volontaires exposés à la lambda-cyhalothrine seule dans des conditions contrôlées. Cette modélisation a été utilisée pour déterminer les variations nécessaires dans les valeurs de paramètres clés du modèle afin d'obtenir une adéquation des simulations aux données observées chez les travailleurs en cas de coexposition, par une analyse de sensibilité. Le modèle a simulé adéquatement les profils temporels de métabolites urinaires chez les travailleurs utilisés après coexposition, sans avoir à modifier les paramètres du modèle par rapport à une exposition à la lambda-cyhalothrine seule, montrant l’absence d’impact significatif de la coexposition par rapport à la variabilité biologique. Des simulations Monte-Carlo ont également été réalisées à l’aide du modèle pour obtenir les possibilités de doses absorbées reconstruites pour chaque travailleur, à partir des quantités du métabolite plus spécifique CFMP mesurées dans l’urine, et ce pendant toute la période de suivi biologique. Les résultats des doses journalières reconstruites chez les applicateurs et les autres travailleurs agricoles affectés au désherbage ou à la cueillette ont été comparés à la valeur de référence Acceptable Operator Exposure Level (AOEL) établie par la Commission européenne (ESFA). À partir des valeurs possibles de doses journalières reconstruites pour un même travailleur, le pourcentage de valeurs dépassant la AOEL a été calculé. Les simulations indiquent que les applicateurs avec les concentrations urinaires les plus élevées ont une probabilité de dépassement de l’AOEL à certains moments pendant la période de suivi biologique. A contrario, le nombre (pourcentage) de travailleurs affectés au désherbage ou à la cueillette ayant une probabilité de dépassement de l’AOEL dans les jours suivant un travail dans un champ traité est très faible. La modélisation a également permis d’établir une valeur de référence biologique de 116 ng CFMP/kg pc/jour ou 7,5 µg CFMP/L d’urine correspondant à la valeur de l’AOEL et pouvant servir de seuil d’intervention.

En somme, l’ensemble des trois volets a fait ressortir l’absence d’impact de la coexposition sur les concentrations de biomarqueurs d’exposition, aux niveaux d’exposition observés chez les travailleurs à l’étude dans la culture de la fraise. L’étude a aussi confirmé des données précédentes qui suggéraient que les applicateurs étaient plus exposés que les travailleurs affectés à des tâches dans les champs comme le désherbage et la cueillette. Certains applicateurs étaient aussi plus exposés que la population générale et avaient des niveaux qui avaient une probabilité de dépasser la valeur limite d’exposition AOEL prescrite par l’EFSA. Cependant, les autres travailleurs affectés au désherbage et à la cueillette avaient peu de probabilité de dépasser cette valeur.

Abstract

There is little published data on the impact of combined exposure to multiple pesticides (coexposure) on pesticide toxicokinetics in farm workers, making adequate interpretation of biomonitoring exposure data difficult. This research looks at the impact of pesticide coexposure on levels of biomarkers of exposure to pyrethroid pesticides in farm workers. The pyrethroid lambda-cyhalothrin (LCT) and the fungicide captan were used as sentinel pesticides as they are widely used in agriculture.

In part 1, individual time profiles of biomarkers of exposure to LCT in strawberry-field workers were compared following a spray event using LCT alone or in combination with captan. Study participants provided all urine voided over a three-day period after application of a pesticide formulation containing LCT alone or mixed with a captan and, in some cases, after reentering the treated field. LCT metabolites were measured in all urine samples, in particular 3-(2-chloro-3,3,3-trifluoroprop-1-en-1-yl)-2,2-dimethyl-cyclopropanecarboxylic acid (CFMP), 3-phenoxybenzoic acid (3-PBA) and 4-hydroxy-3-phenoxybenzoic acid (4-OH3PBA). Urinary excretion profiles were obtained for 25 spray events for 14 recruited workers. Comparative analysis showed no obvious differences in time profiles or cumulative excretion of individual metabolites (CFMP, 3-PBA and 4-OH3BPA) after exposure to LCT alone or in combination with captan. For most workers and exposure scenarios, CFMP was the main metabolite excreted, but the time course of CFMP in the urine was not always the same as that of 3-PBA and 4-OH3BPA. As the latter two metabolites are common to other pyrethoids, this suggests some workers were coexposed to pyrethroids other than LCT. For several workers and exposure scenarios, CFMP values increased in the hours following spraying. For many pesticide operators, however, other CFMP peaks were observed at later times, indicating that tasks other than spraying of LCT-containing formulations contributed to the increased exposure. According to questionnaire responses, these tasks were mainly work/inspection in treated fields or handling/cleaning of equipment used for spraying.

In part 2, a cross-sectional study was conducted of the impact on biomarker levels measured in workers of coexposure compared to the impact of other factors. A larger number of workers were included in the sample in part 2 than in part 1, but fewer biological measurements of each worker were taken. Multivariate analyses were used to assess the contribution of coexposure to the variability in levels of biomarkers of exposure compared to that of other factors. Unlike in part 1, which mainly targeted applicators, 87 workers assigned to different tasks (application, weeding and picking) were recruited for part 2, the goal being homogeneity of the workers exposed to LCT alone and those exposed to LCT in combination with captan. The recruited workers provided two-consecutive 24-hour urine collections following an application event involving LCT alone or in combination with captan or following tasks in the treated fields. These were provided in addition to a control collection. As in part 1, concentrations of biomarkers of exposure to LCT were measured in the samples.

Considered as well were potential determinants of exposure established in a previous study, including task performed and personal factors documented by questionnaire. Multivariate analyses showed that coexposure did not have a statistically significant effect on observed urinary levels of 3-PBA and CFMP. The “time” variable (representing repeated biological measurements and defined as a within-subject variable) was, however, a significant predictor of observed biological levels of 3-PBA and CFMP. Only main occupational task was significantly associated with urinary levels of 3-PBA and CFMP. Compared to weeding and picking, pesticide application was associated with higher urinary 3-PBA and CFMP concentrations.

In part 3, a toxicokinetic model specific to LCT was used to simulate kinetics data for biomarkers in workers exposed to a single pesticide or a combination of pesticides. Model parameters were determined using a new combined method for numerical solution of differential equations and model parameter search. Model parameters were optimized using published data from volunteers exposed to LCT alone under controlled conditions. A sensitivity analysis was used to determine variations in values of key model parameters necessary to obtain simulations that matched observed data in coexposed workers. The model was able to adequately simulate time profiles of urinary metabolites in participants after coexposure without having to modify the model parameters for exposure to LCT alone, demonstrating a lack of any significant impact of coexposure on biological variability. Monte Carlo simulations were also performed with the model to reconstruct possible absorbed doses for each worker based on quantities of CFMP metabolite measured in the worker’s urine over the entire biomonitoring period. Reconstructed daily doses in pesticide applicators and farm workers assigned to weeding and picking were compared to the Acceptable Operator Exposure Level (AOEL) reference value established by the European Food Safety Authority (EFSA). The percentage of values exceeding the AOEL was calculated for each worker based on the reconstructed daily doses for that worker. The simulations indicate that the AOEL was probably exceeded at some points during the biomonitoring period by the applicators with the highest urinary concentrations. On the other hand, the number (percentage) of workers assigned to weeding and picking showing a probability of exceedance of the AOEL in days following tasks in a treated field was very low. The modelling also made it possible to establish a reference dose of 116 ng CFMP/kg bw/d or 7.5 µg CFMP/L urine corresponding to the AOEL that could serve as an action threshold.

In sum, all three parts of the project demonstrated that coexposure to agricultural pesticides in strawberry fields had no impact on concentrations of biomarkers of exposure at the exposure levels observed in the workers studied. The study also confirmed earlier data suggesting applicators were more exposed than workers assigned to field tasks such as weeding and picking. Some applicators were also more exposed than the general population, with concentration levels that probably exceeded the acceptable operator exposure limit (AOEL) specified by the European Food Safety Association (EFSA). In workers assigned to weeding and picking, however, there seemed little probability of this limit being exceeded.

ISBN

9782897972721

Mots-clés

Interaction, Pesticide, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Agriculture, Pyréthroïdes, Pyrethroids, Captane, Captan, CAS 133062, Dosage dans l’urine, Determination in urine, Application par pulvérisation, Spray coating, Valeur-seuil, Threshold limit value

Numéro de projet IRSST

2016-0003

Numéro de publication IRSST

R-1184-fr

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