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Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2015

Langue

Français

Résumé

Plusieurs études ont montré qu’une faible expérience en emploi, souvent caractéristique des très jeunes travailleurs, était associée à une augmentation du risque de subir une lésion professionnelle. Parmi les jeunes travailleurs, les plus susceptibles de se blesser au travail sont ceux qui ont quitté l’école sans diplôme d’études secondaires, ceux qui occupent des emplois manuels ainsi que ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage objectivées. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) a mis sur pied en 2007-2008 la Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé (FMS), qui s’adresse justement à ces jeunes considérés plus à risque de subir une lésion professionnelle. Au cours de cette formation, les élèves âgés de 15 à 17 ans réalisent un stage en entreprise de 375 heures réparties sur une année scolaire.

Au Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelle définit un accident du travail comme un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle. La présente étude s’intéresse aux événements imprévus rencontrés par des élèves de la FMS au cours de leurs stages d’apprentissage. Ces imprévus peuvent être des événements totalement nouveaux ou des événements connus des stagiaires, mais dont la survenue est imprévisible. Un imprévu perturbe le déroulement normal du travail du stagiaire et peut, dans certaines circonstances, se traduire par un incident, voire un accident du travail. En effet, l’événement imprévu peut être intrinsèquement un risque pour la santé et la sécurité du stagiaire, par exemple un stagiaire plongeur dans un restaurant qui se blesse à la main en cassant un verre qu’il était en train de laver. Ou bien, ce sont les variations, que l’imprévu occasionne dans l’activité du stagiaire, qui présentent des risques. C’est, par exemple, le cas d’un stagiaire aide-imprimeur qui se brûle en essayant de redémarrer une soudeuse de films plastiques, tombée en panne quelques minutes auparavant. Pour faire face aux imprévus, le stagiaire met en œuvre des stratégies, qui peuvent être plus ou moins adaptées en fonction de son expérience de la situation.

La recherche vise à identifier et à classer les types d’imprévus qui surviennent, leurs causes immédiates, les stratégies observées pour y faire face, qu’il s’agisse de stratégies individuelles ou collectives, ainsi que de documenter les conséquences de l’activité de travail comme la perte de temps et les risques de blessures. Pour cela, des données d’observation tirées de séquences vidéo récoltées lors d’une recherche précédente auprès de neuf stagiaires en FMS, à l’occasion de deux journées de stage (T1 et T2), ont été analysées. Les neuf stagiaires œuvraient dans des secteurs d’activité diversifiés : commerce, industrie et alimentation. Le cadre conceptuel exploité pour ces analyses est le modèle de la situation de travail centré sur la personne en activité, qui est utilisé en ergonomie.

Les résultats de la recherche montrent que les neuf élèves font face à divers types d’événements imprévus, en lien avec le secteur d’activité de l’entreprise où ils effectuent leur stage et le type de tâche qu’ils réalisaient lors des observations, et ce, dans des proportions assez similaires au début (T1) et à la fin du stage (T2). Au total, ils ont rencontré 554 événements lors des deux journées. Près de 10 % de ces imprévus ont occasionné des pertes de temps et environ 19 % d’entre eux comportaient des risques pour la santé et la sécurité des stagiaires. Plus de la moitié des événements susceptibles de causer un accident ont été associés à certains contextes de travail de trois stagiaires, soit l’ouvrier du bois, le préposé aux marchandises dans un magasin d’appareils électroménagers / électroniques et l’aide-boucher. Les résultats indiquent que ces trois élèves ont à réaliser des tâches de manutention lourde. Parmi tous les types d’imprévus observés, les difficultés de manutention se classent au 4e rang; pourtant, elles occupent le 1er rang des imprévus qui ont été associés à un risque d’accidents. Par ailleurs, l’action ou la technique de travail du stagiaire est souvent mise en cause dans les imprévus qui peuvent être associés à une activité de manutention. Cela permet d’établir des liens avec les nombreuses études qui ont mis en évidence le savoir-faire des experts en manutention qui se développe avec l’expérience.

Pour faire face à ces imprévus, les élèves ont pu recourir uniquement à des stratégies individuelles, uniquement à des stratégies collectives ou aux deux. Cependant, dans la grande majorité des cas, ils ont pris l’initiative de mettre en œuvre des stratégies individuelles. Ils ont essayé de trouver seuls des façons de faire adéquates plutôt que demander de l’aide. Ainsi, ils ont tenté de résoudre les problèmes occasionnés par les événements imprévus, effectué des tâches additionnelles pour réparer une erreur. Seuls les trois élèves (l’aide-imprimeur, l’aide-boucher et l’aide-cuisinier) qui bénéficiaient d’un environnement social plus riche ont proportionnellement déployé plus de stratégies collectives que les autres. Ces stratégies collectives étaient en majorité initiées par leurs collègues qui leur fournissaient une formation à la suite de la survenue de l’imprévu pour les aider à réaliser la tâche. La survenue de l’imprévu constituait alors une opportunité d’apprentissage.

Plusieurs suggestions pour les organisations peuvent être formulées à partir des résultats de la présente étude :

  1. Analyser certaines catégories d’événements imprévus qui mènent à des risques d’accident afin de proposer des mécanismes de prévention conséquents ;
  2. Fournir aux novices des occasions d’apprentissage en s’assurant de graduer le niveau de complexité ainsi que les sources de contraintes ;
  3. Enrichir la formation en milieu de travail en reproduisant des situations imprévues ou soudaines, mais crédibles dans le contexte, afin de fournir des occasions de mises en œuvre de stratégies adaptées, sous supervision et en donnant de la rétroaction ;
  4. Analyser particulièrement les tâches de manutention que le novice aura à accomplir et adopter des stratégies de formation ;
  5. Considérer l’importance de la dimension motrice de l’apprentissage lors de la formation et prévoir des mécanismes pour encourager la transmission des savoirs utiles à l’apprentissage des savoir-faire et des modes opératoires efficients ;
  6. Porter une attention particulière aux ressources humaines en milieu de travail qui pourront transmettre leurs savoirs professionnels et ainsi contribuer au développement des compétences réflexives.

Les résultats de la présente recherche seront intégrés à un projet d’implantation d’outils d’aide à l’apprentissage de la santé et de la sécurité du travail pour les élèves de la FMS. Ces outils s’accompagneront de supports de formation, tant pour les enseignants responsables de les mettre en œuvre, que pour les élèves et les entreprises qui acceptent de les accueillir et de les former.

Abstract

A number of studies have shown that limited work experience, which is often characteristic of very young workers, is associated with an increased risk of occupational injury. The young workers most likely to sustain injuries on the job are those who have left school without obtaining a secondary school diploma, who hold manual jobs, or who have objectively identified learning difficulties. In 2007-2008, Québec’s Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) launched its Training for a Semiskilled Trade (TST) program (known in French as Formation menant à l’exercice d’un métier semi-spécialisé, or FMS) designed specifically for these young people, who are regarded as being at greater risk of occupational injury. During this training, students aged 15 to 17 complete a workplace apprenticeship of 375 hours spread over one school year.

In Québec, the Act respecting Industrial Accidents and Occupational Diseases defines an industrial accident as “a sudden and unforeseen event, attributable to any cause, which happens to a person, arising out of or in the course of his work and resulting in an employment injury to him.” This study focused on unforeseen events encountered by TST students during their workplace apprenticeships. The events could be either totally new to the apprentices or familiar to them, but in all cases their occurrence was unforeseeable. An unforeseen event disrupts the apprentice’s normal work process and may, in certain circumstances, result in an incident or even an industrial accident. The unforeseen event may intrinsically pose a risk to the apprentice’s health and safety, as, for example, when a dishwasher trainee in a restaurant injures his hand on a glass that breaks while he is washing it. Or again, it may be the variations in the apprentice’s activity caused by the unforeseen event that pose risks, as for example, when a printer’s helper apprentice burns himself while trying to restart a plastic film sealing machine that has broken down shortly before. To handle unforeseen events, apprentices develop strategies that may be more or less adapted, depending on their experience with the situation at hand.

The aims of this study were to identify and classify the types of unforeseen events that occur, their immediate causes, and the observed strategies (whether individual or collective) used to handle such situations, as well as to document the consequences of the work activity, such as loss of time and risk of injury. To achieve these aims, video-sequence observation data collected during a prior study of nine TST apprentices over two apprenticeship days (T1 and T2) were analyzed. The nine apprentices were working in a variety of activity sectors: wholesale and retail trade, manufacturing, and food services. The conceptual framework used for these analyses was the model of the work situation, focusing on the individual at work, used in ergonomics.

The results showed that the nine apprentices encountered different types of unforeseen events related to the activity sector involved and to the type of task performed during observation. The events occurred in relatively similar proportions at the beginning (T1) and end of the apprenticeship (T2). The students encountered a total of 554 events over the two days. Nearly 10% of the events resulted in loss of work time while approximately 19% of them posed occupational health and safety risks for the apprentices. Over half of the events likely to cause an accident were associated with specific work contexts of three apprentices: a woodworker, a stock handler in a household appliance/electronics store, and a butcher’s helper. The results indicated that these three students had to perform heavy material handling tasks. Of all the types of unforeseen events observed, material handling tasks ranked fourth in terms of overall unforeseen events encountered, but first among unforeseen events associated with a risk of accidents. Moreover, the apprentice’s work actions or techniques often caused the unforeseen events associated with a material handling activity. This seems to confirm the positive influence of the know-how and tacit knowledge developed by many expert material handlers, as demonstrated in several previous studies.

To handle these unforeseen events, the students adopted individual strategies only, collective strategies only, or both. In most cases, however, they took the initiative of developing individual strategies, trying to find adequate ways of doing things on their own rather than asking for help. In other words, they tried to solve the problems caused by the unforeseen events and performed additional tasks to rectify errors. Only the three students (printer’s assistant, butcher’s helper, and cook’s helper) who benefited from a richer social environment utilized proportionately more collective strategies than the other students. These collective strategies were mostly initiated by their co-workers, who provided them with in situ training after the unforeseen event to help them perform the task. The event’s occurrence thus served as a learning opportunity.

Based on the results of this study, a number of suggestions can be made for organizations:

  • Analyze certain categories of unforeseen events that pose accident risks in order to propose appropriate prevention mechanisms;
  • Provide apprentices with learning opportunities by ensuring gradual increments in level of task complexity and sources of constraints;
  • Enhance workplace training by replicating unforeseen or sudden situations that are also credible in the work context, in order to provide opportunities for students to develop adapted strategies while under supervision and receiving feedback;
  • In particular, analyze the material handling tasks that apprentices will be asked to perform and adopt training strategies;
  • Assess the importance of the motor aspect of learning during training, and provide mechanisms for encouraging the transfer of knowledge that is useful for learning trade skills and efficient work methods;
  • Pay particular attention to the human resources in the workplace who could pass on their occupational knowledge and skills and help foster the development of reflective competencies.

The results of this study will be integrated into a project aimed at introducing support tools to foster occupational health and safety learning among students in the TST program. These tools will be coupled with training materials for the teachers responsible for using them, the students involved, and the businesses that agree to take and train these students.

ISBN

9782896318124

Mots-clés

Étudiant, Student, Jeune travailleur, Young employee, Cause d'accident, Cause of accident, Classe d'accidents, Type of accidents, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Manutention manuelle, Manual handling, Évaluation du risque, Hazard evaluation

Numéro de projet IRSST

2012-0034

Numéro de publication IRSST

R-878

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