Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2015

Langue

Français

Résumé

Les troubles musculosquelettiques (TMS) et tout particulièrement les affections vertébrales constituent un fardeau autant pour la société que pour les personnes qui en sont affectées. Au Québec, le nombre d’affections vertébrales s’établissait en 2011 à 21 228 et elles représentaient près de 30 % de l’ensemble des lésions professionnelles indemnisées. C’est la région lombaire de la colonne vertébrale qui est la zone la plus touchée (60 % des cas d’affections) et l’effort excessif est l’agent causal le plus souvent rapporté (40 %). Selon le National Research Council (2001), il existe une relation claire entre les lésions au dos et la charge mécanique imposée lors de travail de manutention. Afin de bien documenter cette relation, le chargement lombaire doit être mieux quantifié dans les milieux de travail. Étant donné qu’il n’est pas possible de le mesurer directement, des modèles biomécaniques ont été développés à cet effet.

Le principe de base des modèles biomécaniques actuels consiste à estimer les forces sur les différentes structures actives (muscles) et passives (disques, ligaments) du tronc en équilibrant les moments (charges) externes, qui sont causés par les mouvements du corps et les charges externes, avec les moments internes, qui eux résultent de l’action musculaire et ligamentaire. Des mesures externes (intrants des modèles) doivent ainsi être prises pour produire les estimations des modèles (extrants). Ces estimations sont de différents ordres : forces musculaires, tensions ligamentaires, forces de compression et de cisaillement sur les disques/vertèbres. Au Québec, deux chercheurs ont développé des modèles biomécaniques internes de la colonne vertébrale lombaire basés sur des approches très différentes: (1) une approche physiologique qui s’appuie sur des mesures d'électromyographie (EMG) assistées par optimisation (modèle EMGAO); (2) une approche qui repose sur des mesures cinématiques, aussi assistées par optimisation (modèle CINAO). Une comparaison de ces deux modèles, réalisée dans le cadre d’une étude antérieure, a permis de mettre en lumière certaines faiblesses et d’apporter des correctifs.

Le présent projet proposait quatre volets de recherche. Les deux premiers volets, avec le modèle CINAO, et le quatrième volet, avec le modèle EMGAO, ont permis d’évaluer la sensibilité des intrants et des extrants de ces modèles en présence de différents effets ou manipulations expérimentales. Le troisième volet, de son côté, est une application du modèle CINAO et sa comparaison aux outils ergonomiques les plus populaires en matière de prédiction du chargement lombaire.

Volet 1 : L’objectif du premier volet visait à vérifier si différentes forces externes (dont les orientations, positions et amplitudes étaient différentes, mais produisant le même moment net à L5-S1) sollicitaient les mêmes groupes musculaires et produisaient le même chargement lombaire. Les résultats de ce volet (1) ont confirmé l'influence majeure de la force d'orientation et celle de la hauteur sur la réponse neuromusculaire du tronc et sur le chargement lombaire, et (2) ont permis d’améliorer les résultats du modèle CINAO en considérant les nouveaux intrants.

Volet 2 : Ce volet avait pour objectif d’étudier les réactions des muscles du tronc (réponses réflexes) à des perturbations soudaines de celui-ci. En effet, ce type de perturbation soudaine représente un risque de blessure et peut se produire lors d’activités de manutention de charges ou de patients ou tout simplement lors d’une chute par glissement, soit des mécanismes de blessures de nature accidentelle. Les réponses réflexes et ses répercussions mécaniques ont été évaluées avec les mesures externes (EMG, cinématique, forces externes) et les estimations du modèle CINAO lors de différentes conditions de perturbation susceptibles de moduler les réponses réflexes. Les résultats de ce volet ont révélé que différentes réponses physiologiques et biomécaniques, qui ne vont pas toujours dans la direction attendue selon les hypothèses en vigueur, et qui ne sont pas toujours détectées par chaque catégorie de mesure, ont été observées. Il apparaît donc que les réponses réflexes des muscles du tronc sont dépendantes de plusieurs paramètres qui entrent en interaction et qui n’ont pas tous été identifiés jusqu’à maintenant. Cependant, la présente étude aura permis de mettre en lumière que les mesures EMG et les estimations du modèle CINAO apportent des informations différentes, voire complémentaires. De plus, il apparaît que les mesures cinématiques du tronc peuvent capturer l’essentiel de l’information requise pour quantifier les effets mécaniques des réponses réflexes. En d’autres mots, le modèle CINAO ne semble pas apporter de valeur ajoutée aux mesures cinématiques pour quantifier les réponses réflexes. Par contre, ces modèles (CINAO, stabilité lombaire) procurent des informations sur les forces internes découlant des perturbations du tronc, ce qui aide à estimer le risque de lésions lombaires

Volet 3 : Afin de pallier les limites des outils ergonomiques proposés jusqu’à maintenant pour prédire le chargement lombaire, des équations de régression (ou de prédiction) avaient précédemment été développées à partir du modèle CINAO. Elles établissaient une relation simple entre le chargement lombaire (soit à L4-L5 ou à L5-S1) et quatre variables indépendantes d’entrées soit : (1) la charge dans les mains; (2) la distance horizontale entre la charge et l’épaule; (3) l’angle du tronc en flexion avant et (4) le ratio de rotation lombaire/pelvienne. Ce volet visait à étendre l’utilisation de ces équations pour des chargements asymétriques et à les comparer aux estimations offertes par quatre autres outils ergonomiques parmi les plus populaires. Les résultats soutiennent que ces nouvelles équations constituent une avancée par rapport à l’équation du National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH) de 1991, soit l’outil de référence le plus utilisé par les ergonomes. Les résultats indiquent aussi des différences importantes entre les cinq outils, mais heureusement ils sont plus en accord au regard de la prédiction des forces de compression à L5-S1. Il n’était pas possible de savoir lequel des outils était le plus conforme, car il n’existe pas de mesure étalon dans ce domaine. Toutefois, deux outils se conformaient mieux aux données de pression intradiscale, dont celui développé dans le cadre de ce volet.

Volet 4 : Dans le cadre d’un projet précédent, des données extrêmement riches et détaillées avaient été recueillies sur des manutentionnaires experts et novices. Les analyses réalisées avec les mesures externes ont mené à des résultats différents entre les deux groupes et qui supposent des effets sur le chargement interne de la colonne vertébrale lombaire. Ce volet avait pour but de vérifier ces effets attendus à l’aide du modèle EMGAO. Les résultats ont permis de démontrer que les experts ont été plus efficients que les novices quant à la stratégie de répartition des efforts internes pour contrer des moments externes équivalents. L’expérience acquise au fil des années semble avoir permis aux experts de développer des façons de faire plus sécuritaires et efficientes comme l'utilisation moins importante des tissus passifs de la colonne vertébrale qui pourrait expliquer leur faible taux de blessure.

En somme, ces quatre volets de recherche ont permis de mieux connaître les forces et les faiblesses des modèles CINAO et EMGAO, ainsi que leurs valeurs pour expliquer et/ou quantifier le chargement lombaire interne.

Abstract

Musculoskeletal disorders (MSD), spinal disorders in particular, are a burden for society as well as for those who suffer from them. In Québec, 21,228 cases of spinal disorder were reported in 2011, accounting for close to 30 percent of all compensated occupational injuries. The lumbar region of the spine is the area injured most often (60 percent of injuries) and overexertion is the causative agent most commonly reported (40 percent). According to the National Research Council (2001), there is a clear correlation between back injuries and mechanical load during manual handling. Better quantification of lumbar loading in the workplace is required, however, for documentation of this correlation. As lumbar loading cannot be measured directly, biomechanical models have been developed for this purpose.

The basic principle of existing biomechanical models is to estimate forces acting on active structures (muscles) as well as passive structures (discs and ligaments) of the trunk by balancing external moments (loads), which are caused by body movements and external loads, with internal moments, which result from muscle and ligament action. External measurements (model input) must thus be taken to generate model estimates (output). The estimates are of different types: muscle force, ligament stress and compressive and shear force on discs/vertebrae. In Québec, two researchers developed internal biomechanical models of the lumbar spine based on very different approaches: (1) a physiological approach based on electromyographic (EMG) measurements assisted by optimization (EMGAO model); (2) a kinematics-driven approach based on kinematic measurements, also assisted by optimization (KD model). A comparison of these two models in an earlier study showed certain weaknesses and corrections were made as a result.

This research project has four parts: the first two, which used the KD model, and the fourth, which used the EMGAO model, made it possible to evaluate model input and output sensitivity in the presence of different effects and experimental manipulations. The third part is an application of the KD model and its comparison to the most popular ergonomic tools for predicting lumbar loading.

Part 1: The main objective of this research was to find out if different external forces (different orientations, positions and magnitudes but generating the same net moment at L5-S1) called on the same muscle groups and generated the same lumbar load. The results 1) confirmed that orientation and load height have a major impact on the neuromuscular response of the trunk and lumbar loading; and 2) made it possible to improve KD model results by considering new input.

Part 2: The objective of this research was to study the reactions of trunk muscles (reflex responses) to sudden disturbances of the trunk. There is a risk of injury with such sudden disturbances, which can occur when lifting loads or patients, or just by slipping and falling—that is, mechanisms of accidental injury. Reflex responses and their mechanical impacts were evaluated using external measurements (EMG, kinematic and external forces) and KD model estimates under different disturbance conditions likely to affect reflex responses. The results showed different physiological and biomechanical responses which were not always in the direction expected based on existing hypotheses and were not all detected by each of the different types of measurement. It appears, then, that the reflex responses of trunk muscles depend on a number of parameters that interact and that have not all been identified yet. However, this study showed that the EMG measurements and the KD model estimates provide different but complementary information. In addition, it seems that kinematic measurements of the trunk can basically provide the information required to quantify the mechanical effects of reflex responses. In other words, the KD model does not seem to add any value to the kinematic measurements for quantification of response reflexes. On the other hand, these models (KD and lumbar stability) do provide information about internal forces stemming from trunk disturbances, which helps in assessing the risk of lumbar injury.

Part 3: To compensate for the limitations of the lifting analysis tools currently available for predicting lumbar load, regression (predictive) equations were developed in earlier research using the KD model. These equations showed a simple correlation between lumbar load (at L4-L5 or L5-S1) and four independent input variables: (1) load carried in hands; (2) horizontal distance between the load and the shoulder; (3) sagittal trunk flexion; and (4) lumbar/pelvic rotation ratio. The goal of this research was to extend the use of these equations to asymmetrical loading and to compare the results yielded by these equations to estimates obtained with four of the most popular lifting analysis tools. The results indicate that these new equations are an advance over the 1991 National Institute of Occupational Safety and Health (NIOSH) lifting equation, the tool most commonly used by ergonomists. The results also show major differences between the five tools tested, but fortunately there was more agreement among them on predicted compressive force at L5-S1. It was not possible to determine which of the tools was most accurate, as there is no standard measure in this field. However, two of the tools gave results more consistent with intradiscal pressure data, including the one developed in this part of the research.

Part 4: Extremely rich and detailed data on expert and novice material handlers was collected in an earlier research project. Analyses using external measurements yielded different results for the two groups, suggesting effects on internal loading of the lumbar spine. The goal of this research was to verify these expected effects using the EMGAO model. The results demonstrated that the expert handlers were more efficient than the novices in terms of strategy used to distribute internal effort to offset equivalent external moments. With experience acquired over the years, expert handlers seem to develop safer and more efficient methods, such as less extensive use of passive spinal tissue—which could explain their low injury rate.

In sum, this four-part research project provided a better understanding of the strengths and weaknesses of the KD and EMGAO models and of their utility in explaining and quantifying internal lumbar loading.

ISBN

9782896317905

Mots-clés

Mesure de la charge musculaire, Measurement of load on muscles, Rachis lombaire, Lumbar column, Modèle, Model, Mécanique humaine, Body mechanics, Québec

Numéro de projet IRSST

2010-0023

Numéro de publication IRSST

R-866

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