Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2013
Langue
Français
Résumé
Cette étude portant sur les stratégies favorables à la prise en charge des mesures de santé et de sécurité du travail (SST) dans les petites entreprises montréalaises embauchant une main-d’œuvre immigrante est née des préoccupations des professionnels en santé au travail (SAT) du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Montagne, principal partenaire de ce projet. Dans les sociétés qui misent sur l’embauche des travailleurs immigrants pour combler leurs besoins de main-d’œuvre, la gestion des pratiques SST en contexte de diversité ethnoculturelle devient un sujet incontournable. De ces préoccupations ont émergé les questions suivantes : quels sont les stratégies et les arguments favorables à la prise en charge de la SST dans les petites entreprises qui embauchent de façon importante une main-d’œuvre immigrante? Comment créer une culture de santé et de sécurité du travail dans ces milieux? Les responsabilités et obligations sont-elles comprises de la même manière lorsque les propriétaires-dirigeants sont eux-mêmes issus de l’immigration? Pour répondre à ces questions, l’équipe s’est centrée sur les dynamiques de prise en charge en s’inspirant des travaux menés antérieurement au Québec auprès des petites entreprises (PE).
Trois sources de données ont été exploitées dans le cadre de la recherche soient :des entrevues semi-dirigées menées auprès des répondants de SST des PE, des entrevues semi-dirigées avec les professionnels en SAT des CSSS œuvrant dans ces entreprises et un questionnaire auto-administré à des travailleurs. L’échantillon est constitué de 28 entreprises comptant entre 10 et 50 travailleurs, dont les deux tiers emploient de façon importante des immigrants, et l’autre tiers, le groupe de comparaison, est composé principalement de travailleurs d’origine canadienne. Outre les travaux de recherche, trois types d’activités de transfert des connaissances (TC) ont été expérimentés : un séminaire scientifique, la validation d’études de cas basées sur les meilleures pratiques de gestion de la SST dans ces PE embauchant des travailleurs immigrants et une journée de réflexion sur les pratiques de SST à mettre en œuvre auprès de travailleurs immigrants et.
Le phénomène d’homogénéité et de pluriethnicité s’est avéré marquant dans l’analyse des données. Dans plus de la moitié des PE (15/28), une partie importante de la main-d’œuvre aux trois paliers hiérarchiques – dirigeants, superviseurs et travailleurs – est immigrante et issue des mêmes pays d’origine. Il y a également d’autres entreprises dont la main-d’œuvre est relativement homogène aux trois paliers hiérarchiques mais cette fois, en très grande proportion d’origine canadienne (6/28). Finalement, la troisième composition est l’entreprise mixte (7/28), où les dirigeants et les superviseurs sont principalement d’origine canadienne tandis que les travailleurs proviennent de divers pays (7/28). Bien que l’ampleur du phénomène d’homogénéité surprenne, il ne constitue qu’une simple manifestation des réseaux sociaux d’insertion économique des immigrants.
Cette composition a des impacts sur la dynamique de prise en charge et sur la participation des travailleurs immigrants aux mesures de SST. Les dirigeants et les superviseurs également issus de l’immigration ont une conception plus paternaliste que paritaire de la SST. Cette façon de faire se reflète dans la composition des comités de SST où l’on retrouve essentiellement des dirigeants. De leur côté, les travailleurs immigrants accordent davantage d’importance à la manifestation de leur loyauté envers un employeur qui leur a permis de s’insérer dans le marché du travail qu’à l’adoption de comportements critiques envers leur environnement de travail. Leur méconnaissance des lois et règlements de SST engendre une certaine déformation des pratiques à la base d’une culture de SST comme le paritarisme, l’assignation temporaire, le processus d’analyse des risques, etc. Cette déformation se démarque dans les entreprises dont la composition de la main-d’œuvre aux trois paliers hiérarchiques est mixte. Ces résultats n’ont pas surpris les professionnels en SAT participant au séminaire scientifique qui ont mis en relief la tendance à sous-estimer les écarts interculturels de compréhension des pratiques préventives de SST.
Les résultats de la recherche ont mené à la formulation d’un certain nombre de recommandations qui ont fait l’objet d’une activité de TC qui a pris la forme d’une journée de réflexion sur les pratiques de SST à mettre en œuvre auprès des travailleurs immigrants. Le premier consensus formulé au cours de cette journée portait sur le devoir moral de la société de traiter de façon équitable tous les travailleurs et de mettre en place des leviers afin qu’ils puissent exercer leurs droits sans distinction. Il s’est avéré primordial que tous les travailleurs connaissent nommément : le droit de refus d’exécuter une tâche jugée dangereuse; le droit à la réaffectation de la travailleuse enceinte ou du travailleur exposé à un contaminant qui comporte pour lui des dangers; le droit à l’indemnisation en cas de lésion professionnelle; le droit à la réintégration au travail après une période de convalescence et le droit d’être protégés contre toute forme de représailles. Le devoir moral de traiter de façon équitable tous les travailleurs et de mettre en place des leviers afin d’exercer ses droits devraient interpeler les travailleurs et les employeurs eux-mêmes immigrants, et cette séquence d’actions devrait se déployer selon les parcours d’insertion des travailleurs et des dirigeants.
Les résultats ont aussi mis en évidence les huit meilleures pratiques recensées au sein des 28 PE de l’échantillon, des initiatives combinant des pratiques de gestion de la SST et de la diversité ethnoculturelle. Parmi les huit études de cas exemplaires retenues par le projet, soulignons celles illustrant la résilience organisationnelle. Malgré la crise financière, certaines PE ont réussi à développer des programmes de francisation et de mise à jour des pratiques de SST pendant la période de ralentissement de la production et ainsi, à maintenir en emploi des travailleurs, très majoritairement immigrants, destinés au licenciement. D’autres initiatives ont misé sur l’adaptation des formations aux besoins des travailleurs immigrants et allophones.
Tous les participants au projet et les équipes des CSSS encouragent la poursuite des travaux pour mettre sur pied un comité mobilisant les ressources professionnelles dédiées à la SST et aux travailleurs immigrants. Une approche interculturelle devrait s’inscrire dans les travaux des communautés de pratique de la SST puisque l’embauche des travailleurs immigrants est une solution au problème chronique de pénurie de main-d’œuvre dans les PE. Cela est d’autant plus important que les PE, qui constituent un acteur économique important au Canada et dans la plupart des pays de l’Organisation pour le développement et la coopération économique (OCDE), sont les premiers employeurs des travailleurs immigrants.
Abstract
This study of strategies to promote occupational health and safety (OHS) measures in small Montreal firms employing immigrant labour arose out of the concerns of occupational health professionals at the de la Montagne health and social services centre (CSSS), the main partner in this project. In companies that rely on immigrant workers to meet their labour needs, management of OHS practices in an ethnoculturally diverse environment is an unavoidable issue. Out of these concerns emerged the following questions: what strategies, what discourse, can lead to successful management of OHS in small businesses with a substantial immigrant labour force? How can an occupational health and safety culture be created in such companies? Are responsibilities and obligations understood in the same way when the owners/managers are themselves of immigrant origin? To answer these questions, the team focused on OHS management dynamics, drawing on earlier research conducted in small businesses in Québec.
Three sources of data were used for this research project: semi-directed interviews of OHS respondents from small businesses; semi-directed interviews of CSSS occupational health professionals working in these companies; and a self-administered questionnaire completed by workers. Our sample included 28 companies, each employing 10 to 50 workers. Two-thirds of the companies in our sample have substantial immigrant labour forces. The other third employ mainly workers of Canadian origin, and these companies constituted our control group. In addition to the research, three types of knowledge-transfer activities were tested: a scientific seminar; validation of case studies based on best OHS management practices in these small businesses that employ immigrants; and a one-day think tank on OHS practices for immigrant workers.
Homogeneity and pluriethnicity proved key indicators in the data analysis. In more than half of the companies (15/28), a major part of the labour force at all three hierarchical levels (executives, supervisors and workers) was immigrant and from the same country of origin. In a second group of companies (6/28), the work force was also relatively homogeneous at all three hierarchical levels, but in these companies the vast majority of the labour force was of Canadian origin. In a third group of companies (7/28), the labour force was mixed, with executives and supervisors mainly of Canadian origin but the workers from various countries. Though the scope of the homogeneity was surprising, it is actually just a simple manifestation of immigrant social systems of economic integration.
The composition of the labour force had an impact on OHS management dynamics and on the participation of immigrant workers in the OHS measures. Executives and supervisors of immigrant origin have more of a paternalistic than an equal labour/management representation approach to OHS. This was reflected in the composition of OHS committees, which were largely composed of executives. In addition, the immigrant workers felt it was more important to show their loyalty to an employer who had given them the opportunity to enter the labour force than to behave in ways that expressed criticism of their work environment. Their lack of knowledge of OHS laws and regulations led to some distortion of practices fundamental to an OHS culture, such as equal representation, temporary assignment, risk analysis, etc. This distortion was particularly marked in companies where the composition of the work force was mixed at the three hierarchical levels. These findings did not surprise the occupational health professionals who participated in the scientific seminar, who underlined the tendency to underestimate intercultural differences in the understanding of preventive OHS practices.
The research results gave rise to a number of recommendations that were the subject of a knowledge-transfer activity, a one-day think tank on OHS practices for immigrant workers. The first consensus of the day was that a company has a moral obligation to treat all workers equitably and to implement measures to ensure they can exercise their rights without discrimination. It is crucial that all workers be aware of the following in particular: their right to refuse to do work they deem dangerous; their right to reassignment if pregnant or exposed to a contaminant dangerous to them; their right to compensation in case of occupational injury; their right to work reintegration after a period of convalescence; and their right to protection against any form of reprisal. The moral obligation to treat all workers equitably and to implement measures to ensure they can exercise their rights applies to workers as well as employers who are themselves immigrants, and a sequence of actions for each step in the process of labour force integration has been developed for workers and company executives.
Our research also highlighted eight best practices in the 28 small businesses that comprised our sample, initiatives that address both OHS management practices and ethnocultural diversity. Among the eight case studies discussed in our research project, those that illustrate organizational resilience are of particular interest. Despite the financial crisis, some small businesses developed francization programs and updated their OHS practices during the period when production was slow and thus were able to continue to employ workers, the vast majority of them immigrants, destined for layoff. Other initiatives included adapting training to meet the needs of immigrant and allophone workers.
All project participants as well as the CSSS teams support continuation of the work to set up a committee that would bring together OHS professionals dedicated to working with immigrant workers. An intercultural approach is needed in OHS communities of practice, as immigrant labour is the solution to the chronic problem of labour shortages in small businesses. This is especially important as small businesses, key economic players in Canada and in most countries of the Organization for Cooperation and Economic Development (OCED), are the first employers of immigrant workers.
ISBN
9782896316908
Mots-clés
Travailleur immigrant, Immigrant worker, Employeur, Employer, Organisation de la prévention dans l'entreprise, Plant safety and health organisation, Petite et moyenne entreprise, Small or medium sized business, Esprit de sécurité, Safety consciousness, Enquête par questionnaire, Questionnaire survey, Étude de cas, Case study, Montréal-region, Montreal-region
Numéro de projet IRSST
0099-6820
Numéro de publication IRSST
R-793
Citation recommandée
Gravel, S., Legendre, G., Rhéaume, J., Séguin, G. et Gagné, C. (2013). Mesures de santé et de sécurité du travail dans les petites entreprises montréalaises embauchant une main-d'oeuvre immigrante : les stratégies favorables à la prise en charge (Rapport n° R-796). IRSST.