Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2021

Langue

Français

Résumé

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) est chargée de la gestion du régime québécois de la santé et sécurité du travail (SST). Elle a pour fonctions, notamment l’élaboration, la proposition et la mise en œuvre des politiques dans le domaine de la SST en vue de protéger les travailleurs et d’assurer une meilleure qualité des milieux de travail. À ce titre, la CNESST diligente systématiquement une enquête lorsque survient un accident du travail mortel ou grave à l’exception des accidents de la route et ceux concernant les travailleurs des entreprises de compétence fédérale.

Les connaissances générées au terme des enquêtes sont transférées aux organisations concernées pour qu’elles apportent des corrections aux situations dangereuses à l’origine des accidents enregistrés. Ce processus revêt les caractéristiques d’un transfert interorganisationnel de connaissances, c’est-à-dire un processus d'échange dyadique dans lequel une source (la CNESST) transmet des connaissances disponibles pour être apprises et appliquées par un récepteur (les entreprises ayant fait l’objet d’enquête). Ce transfert interorganisationnel de connaissances s’effectue au moyen de rapports articulés autour de quatre parties : la présentation des faits accidentels, la description des conséquences qui en ont résulté, l'analyse des causes à l’origine de l'accident et la formulation d’un certain nombre d’exigences en vue d’apporter des corrections aux situations dangereuses.

Le transfert interorganisationnel de connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves s’inscrit dans une dynamique de résolution de problèmes. Sa finalité est de permettre aux entreprises réceptrices de rendre leurs situations de travail sécuritaires et conformes à la législation sur la SST. Par contre, les modèles habituels de transfert interorganisationnel de connaissances ont pour finalité d’apporter de nouvelles connaissances aux organisations réceptrices pour leur permettre d’accroître leurs capacités d’innovation et, subséquemment, leur compétitivité. De plus, le transfert interorganisationnel de connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves se distingue des modèles habituels de transfert interorganisationnel de connaissances sur un autre point : la décision de participer au processus de transfert. En effet, dans le cas des modèles habituels de transfert interorganisationnel de connaissances, les organisations réceptrices décident de l’opportunité de bénéficier de connaissances qui leur seraient utiles (libre choix) et les mécanismes de transfert s’opèrent dans une dynamique interactive et collaborative avec les organisations émettrices (libre implication). Par contre, dans le cas du transfert interorganisationnel de connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves, les organisations réceptrices sont assujetties à une double contrainte légale : a) obligation de collaborer à l’enquête, c’est-à-dire à la mise au point des connaissances à transférer; b) obligation d’appliquer les connaissances reçues de manière à ce que l'organisation du travail, les équipements, les méthodes et les techniques utilisés soient sécuritaires.

En dépit de leur importance, il y a une absence de données sur les mécanismes à travers lesquels s’effectue le transfert interorganisationnel de connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves. Il en est de même concernant les processus internes par lesquels les organisations réceptrices appliquent les connaissances reçues compte tenu des contraintes légales qui pèsent sur elles (obligation de collaborer et obligation d’appliquer). On ne sait pas, non plus, l’influence que pourrait avoir l’application des connaissances transférées sur la prise en charge de la santé et de la sécurité au travail, d’où la nécessité de produire de nouvelles connaissances pour tenter d’apporter un éclairage sur ces points jusqu’ici peu ou pas du tout traitée dans la littérature.

Un devis de recherche descriptive corrélationnelle est utilisé pour, d’une part, explorer et décrire les relations d’association possibles entre les différents éléments qui caractérisent ce processus de transfert et d’autre part, à expliquer ces éventuelles relations. Cette étude exploratoire a ciblé toutes les entreprises ayant fait l’objet d’une enquête, de la part de la CNESST, suite à un accident du travail grave ou mortel survenu entre 2013 et 2017. Elles sont, finalement, 97 entreprises à accepter de recevoir le questionnaire en ligne, sans engagement de donner une suite. L’instrument de collecte de données utilisé est un questionnaire en ligne supporté par le logiciel LimeSurvey. Les données recueillies sont, par la suite, téléchargées et exportées pour les traiter. Pour l’analyse des résultats obtenus, outre les statistiques descriptives, le coefficient Gamma (γ) de Goodman et Kruskal (1954) est utilisé pour cerner les éventuelles relations d’association entre les différents éléments caractérisant le processus de transfert.

Les résultats obtenus ont permis de décrire les modalités pratiques et les processus par lesquels s’opère le transfert interorganisationnel de connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves. Ils ont permis de constater une grande implication de certaines organisations réceptrices dans le processus de mise au point des connaissances à transférer, mais aussi une large application des connaissances transférées. Les analyses effectuées apportent un éclairage inédit : les contraintes légales, qui pèsent sur les entreprises réceptrices, n’expliquent pas, à elles seules, ces niveaux élevés d’implication dans le processus et d’application des connaissances transférées. En effet, les résultats ont montré que ces niveaux élevés résultent aussi de plusieurs autres facteurs. Certains de ces facteurs sont externes (ouverture des enquêteurs, confiance en leur expertise, pertinence des connaissances transférées, etc.), tandis que d’autres sont internes aux organisations réceptrices (existence de capacités d’absorption leur permettant d’évaluer les connaissances externes, de se les approprier, de les adapter à leur contexte avant de les appliquer). En outre, les résultats ont permis de constater que l’application des connaissances transférées et la prise en charge de la SST sont positivement et fortement associées : lorsque le niveau d’application des connaissances transférées augmente, il est probable qu’il en soit de même pour la prise en charge de la SST.

Au total, cette étude exploratoire a permis d’apporter un éclairage sur la façon dont les connaissances issues d’enquêtes d’accidents du travail mortels ou graves sont mises au point puis transférées aux entreprises concernées. Elle renseigne, également, sur la manière dont ces connaissances transférées sont reçues, adoptées, appropriées et appliquées par certaines entreprises. Les résultats obtenus sont utiles aux organes institutionnels de la recherche en SST et à différents acteurs de la prévention. Ils leur offrent un appréciable retour d’informations susceptibles d’améliorer les pratiques.

AbstractThe Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) is responsible for managing Québec’s occupational health and safety (OHS) system. Its duties include developing, proposing and implementing OHS policies in order to protect workers and to ensure better quality workplaces. As such, the CNESST systematically investigates any fatal or severe workplace accident, with the exception of road accidents and those involving workers in organizations under federal jurisdiction.

The knowledge generated by investigations is transferred to the organizations concerned so that they can correct the hazardous situations that led to the accidents recorded. This process has the characteristics of an interorganizational transfer of knowledge, in other words, a dyadic exchange process in which one source (the CNESST) transmits knowledge available to be learned and applied by a receiver (the organizations that were the subject of an investigation). This interorganizational transfer of knowledge takes place through reports that are divided into four parts: a presentation of the facts surrounding the accident, a description of the consequences, an analysis of the causes of the accident, and the formulation of a certain number of requirements to correct hazardous situations.

The interorganizational transfer of knowledge resulting from investigations into fatal or severe workplace accidents is part of a problem-solving process. Its purpose is to help receiving companies make their work environments safe and compliant with OHS legislation. Conversely, the usual models of interorganizational knowledge transfer have the objective of bringing new knowledge to receiving organizations to help them increase their capacities for innovation and, subsequently, their competitiveness. The interorganizational transfer of knowledge gleaned from investigations into fatal or severe workplace accidents differs from the usual models of interorganizational knowledge transfer in another respect: the decision to participate in the transfer process. In fact, in the case of the usual models of interorganizational knowledge transfer, receiving organizations decide whether or not they wish to take advantage of knowledge that would be useful to them (free choice), and the transfer mechanisms take place in an interactive and collaborative framework with the transmitting organizations (free involvement). In contrast, in the case of interorganizational transfer of knowledge resulting from investigations into fatal or severe workplace accidents, the receiving organizations are subject to a double legal constraint: (a) the obligation to cooperate with the investigation, i.e., to build on the knowledge to be transferred; (b) the obligation to apply the knowledge received in such a way as to ensure that work organization, equipment, methods and techniques used are safe.

Despite their importance, there is a lack of data on the mechanisms through which the interorganizational transfer of knowledge from investigations into fatal or severe workplace accidents takes place. The same is true of the internal processes by which receiving organizations apply the knowledge received, given the legal constraints on them (obligation to cooperate and obligation to apply). In addition, we do not know what influence the application of the transferred knowledge might have on the management of health and safety at work, which is why it is necessary to generate new knowledge to try to shed light on these points, which have so far received little or no attention in the literature.

A descriptive correlational research design was used to explore and describe the potential associations among the various elements that characterize this transfer process, and to explain these possible relationships. This exploratory study targeted all the organizations that were investigated by the CNESST following a severe or fatal workplace accident between 2013 and 2017. Ultimately, 97 organizations agreed to receive the online questionnaire, without any commitment to follow up on it. The data collection instrument used was an online questionnaire supported by LimeSurvey software. The data gathered were then downloaded and exported for processing. For the analysis of the results obtained, in addition to descriptive statistics, Goodman et Kruskal’s (1954) Gamma coefficient (γ) was used to identify possible relationships of association among the various elements characterizing the transfer process.

The results obtained made it possible to describe the practical arrangements and processes by which the interorganizational transfer of knowledge from investigations into fatal or severe workplace accidents take place. They showed that some receiving organizations were very involved in the process of building on the knowledge to be transferred and that the transferred knowledge was widely applied. The analyses revealed an unexpected result: that the legal constraints weighing on the receiving organizations do not fully explain the high degree of involvement in the process and the application of transferred knowledge. In fact, the results showed that this degree of involvement stems from several other factors. Some of these factors are external (openness of investigators, confidence in their expertise, relevance of the knowledge transferred, etc.), while others come from within the receiving organizations (existence of absorptive capacities that enable them to assess external knowledge, to appropriate it, and to adapt it to their context before applying it). Furthermore, the results showed that the application of transferred knowledge and engagement in OHS are positively and strongly associated: when organizations increase their application of transferred knowledge, it is likely that they will take more responsibility for OHS.

In conclusion, this exploratory study shed light on how knowledge from investigations into fatal or severe workplace accidents is developed and then transferred to the organizations concerned. It also provides information on how this transferred knowledge is received, adopted, appropriated and applied by certain organizations. The results obtained are useful to institutional bodies researching OHS and to various actors involved in prevention. They provide them with valuable feedback that can improve practices.

ISBN

9782897971878

Mots-clés

Enquête après accident, Accident investigation, Diffusion de l'information, Information dissemination, Enquête par questionnaire, Questionnaire survey, Information scientifique et technique, Scientific and technical information, Description de procédé, Process description, Communication, Contrôle de la sécurité dans l'entreprise, Plant safety supervision, Institution publique de prévention, Public osh institution

Numéro de projet IRSST

2017-0046

Numéro de publication IRSST

R-1142-fr

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