Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2001
Langue
Français
Résumé
L’utilisation d’outils à main mécaniques tels les perceuses, les riveteuses, les marteaux-piqueurs etc., constituent un danger potentiel pour les travailleurs en industrie. En effet, il semble reconnu que ces outils peuvent causer différentes atteintes du système neuro-musculo-squelettique tels le syndrome des vibrations ou le syndrome du canal carpien. Malgré plusieurs études, on ne connaît pas encore très bien l’étiologie de plusieurs maladies du système neuro-musculo-squelettique et les facteurs de risques identifiés sont souvent évalués empiriquement. Une avenue potentiellement intéressante pour mieux identifier l’origine de ces maladies est d’étudier des aspects fondamentaux du contrôle moteur humain lors de la manipulation d’outils à main. Or, à l’heure actuelle, les connaissances en contrôle moteur sur l’utilisation d’outils à main sont encore très peu développées.
Ce projet de recherche avait comme objectif d’investiguer un aspect particulier du contrôle moteur i.e. la fonction stabilisatrice du membre supérieur dans le contrôle d’outils. Nous avons investigué sa fonction stabilisatrice car nous croyons qu’elle représente un facteur important dans la demande musculaire d’une tâche. En effet, la fonction du membre supérieur n’est pas seulement d’appliquer des forces sur un outil mais, aussi, de le stabiliser dynamiquement, face à la présence de perturbations/instabilités dynamiques de l’environnement, et statiquement, face à des instabilités statiques inhérentes à la tâche. Nous avons analysé le rôle stabilisateur de la main lors de la production d’une force de poussée sur une tige pivotante. Bien que cette situation soit spécifique, elle fournit des informations importantes qui peuvent être extrapolées au contrôle d’outils à main. Lors de l’opération d’un outil, une rigidité minimale de la main doit être produite afin de le stabiliser. L’utilisateur peut tirer avantage de la rigidité translationnelle apparente de la main pour établir cette rigidité minimale ou il peut être mécaniquement plus avantageux d’utiliser la rigidité rotationnelle de la main. Le choix d’une technique de stabilisation plutôt qu’une autre peut avoir des conséquences importantes au niveau physiologique. En effet, si la rigidité translationnelle est plutôt utilisée, celle-ci sera établie en co-contractant les muscles qui rigidifient les articulations de l’épaule, du coude et du poignet. Par contre, si la rigidité rotationnelle est préférablement utilisée, les muscles participant à la force de serrage de l’outil pourraient être aussi impliqués afin d’établir une rigidité rotationnelle suffisante à l’interface outil-main. L’augmentation de la force de serrage pour aider à la stabilisation peut être défavorable pour la santé du travailleur car c’est un facteur susceptible d’être relié aux syndromes du canal carpien et des maladies vibratoires. Elle augmente en effet la pression dans le canal carpien et modifie l’impédance mécanique de la main qui détermine en partie le niveau de transmission des vibrations des outils vers la main. Il est évident que le niveau de force de serrage utilisé lors de la manipulation d’outils à main dépend de plusieurs facteurs, dont le poids de l’outil, la perception du danger de réaliser une tâche, la grosseur du manche de l’outil, le type de tâche à réaliser, le coefficient de frottement manche-main etc. Au cours du projet de recherche, nous avons déterminé si la force de serrage était aussi reliée au niveau d’instabilité statique de la tâche.
Dans un premier temps, nous avons conçu des dynamomètres pour caractériser la force de serrage. La validité des instruments a été évaluée expérimentalement tandis que la fiabilité a été analysée par un modèle biomécanique de la production de force par un doigt humain. Sous certaines conditions, on peut considérer que la mesure par dynamomètre peut donner une estimation valide du niveau de force de serrage utilisé. Grâce aux dynamomètres fabriqués, une expérience a été menée sur des sujets humains où la force de serrage était mesurée lors de la production d’une force sur une tige pivotante. Les résultats ont démontré une corrélation évidente entre force de serrage et instabilité statique de la tâche.
Dans un deuxième temps, afin de mieux contrôler les paramètres en jeu, nous avons poursuivi les études en analysant de quelle façon la force de serrage peut influencer la rigidité rotationnelle de la main. Deux processus ont été identifiés : un premier où les doigts sont rigidifiés et une rotation de l’outil engendre des changements de configuration des doigts et, par conséquent, une résistance à la rotation; et un deuxième où les propriétés mécaniques en cisaillement de la peau jouent un rôle important pour rigidifier l’interface outil-main en rotation. En augmentant la force de serrage, on augmenterait les propriétés en cisaillement et par extension, la rigidité rotationnelle de la main. Ainsi, le potentiel de stabilisation par la rigidité rotationnelle prend une importance significative et nous avons donc étudié expérimentalement si la rigidité rotationnelle de la main a un rôle potentiel important pour stabiliser les tâches d’interaction. Cela a été évalué indirectement en mesurant la diminution de force de poussée maximale en inhibant la contribution des termes de rigidité rotationnelle à la stabilisation d’une tige pivotante. Les résultats démontrent que sans la rigidité rotationnelle, des pertes de l’ordre de 40% sont observées dans la force de poussée maximale. Par conséquent, la force de serrage peut jouer un rôle significatif dans la stabilisation des outils à main. Les expériences réalisées ont permis d’estimer les niveaux de rigidité moyens de 10 sujets à 16 Nm/rad (rigidité rotationnelle) et 230 N/m (rigidité translationnelle). Des variations importantes entre sujets démontrent l’importance de tenir compte des capacités de stabilisation des sujets dans la conception d’outils à main ou d’espaces de travail.
Les activités de recherche réalisées au cours de ce projet ont plusieurs applications pratiques en santé et sécurité au travail. Ils aideront à mieux diriger la conception de manches d’outils en maximisant l’efficacité de la rigidité rotationnelle de la main pour stabiliser les outils. Les études théoriques ont mis en lumière les faiblesses des systèmes de caractérisation de la force de serrage actuels. Les expériences réalisées ont clairement démontré que les cartes de capacités de poussée de sujets doivent être ajustées en fonction du niveau d’instabilité d’une tâche. En effet, des diminutions de l’ordre de 69% ont été enregistrées lorsque des instabilités statiques étaient présentes sous certaines conditions de contact main-outil. Étant donné que les capacités de stabilisation du membre supérieur varient significativement en fonction de sa configuration, l’ajustement de ces cartes n’est donc pas une opération simple. Les études ont démontré d’une part une variabilité importante de capacité de stabilisation des sujets étudiés. Cette variabilité pourrait être une source d’information importante pour expliquer l’origine des maladies occupationnelles. D’autre part, il a été clairement démontré que des sujets pouvaient utiliser une technique de stabilisation plutôt qu’une autre pour une même utilisation d’outil. Ces différences pourraient expliquer la variabilité des maladies observées pour une tâche donnée. Bien que les résultats de cette étude soient obtenus d’une étude sur la production d’une force sur une tige pivotante, des concepts généralisables au contrôle de plusieurs autres outils ont été identifiés.
Les concepts de mesure de force de serrage et de stabilisation d’objets sont directement applicables à d’autres domaines tels les abattoirs (stabilisation du couteau), les industries du textile (stabilisation des tissus pour la couture), les industries d’assemblage pour la manipulation et le montage de composantes.
Mots-clés
Outil à main, Hand tool, Mécanique, Mechanics, Essai de stabilité, Stability test, Affection des membres supérieurs, Upper extremity disorder, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Vibration, Syndrome du canal carpien, Carpal tunnel syndrome, Travail musculaire dynamique, Dynamic muscular work, Force de préhension, Grip strength, Québec
Numéro de projet IRSST
0094-1100
Numéro de publication IRSST
R-277
Citation recommandée
Rancourt, D. (2001). Influence de l'instabilité statique sur la force de serrage des outils à main mécaniques (Rapport n° R-277). IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/669
