Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
1999
Langue
Français
Résumé
PROBLÉMATIQUE
Plusieurs études ont démontré que des entreprises sont aux prises avec de nombreux cas de travailleuses et de travailleurs atteints de lésions musculo-squelettiques (LMS), comme des maux de dos, de cou, des tendinites à l’épaule ou au poignet, des cas de syndrome du canal carpien, etc. Les entreprises cherchent donc, de plus en plus, des solutions pour mieux gérer leurs cas de LMS dont les coûts économiques et humains s'avèrent élevés. C'est pourquoi de multiples interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS ont vu le jour. À l’heure actuelle, il existe peu d’information sur les différentes interventions de prise en charge des cas de LMS par les entreprises, sur leurs modalités d'implantation, et sur l'impact de ces interventions sur le milieu de travail et la santé des travailleurs. Il devenait donc intéressant de mieux connaître comment les entreprises vivent cette réalité, afin de pouvoir mettre en place, éventuellement, des outils leur permettant de mieux répondre à leurs besoins et de faciliter la prise en charge de leurs cas de LMS.
Cette recherche fait partie d’un vaste projet interprovincial (Québec-Ontario-Manitoba), intitulé « Workready », subventionné par le Réseau canadien de liaison et d’application de l’information en santé (RELAIS/HEALNet), un centre d’excellence subventionné par le gouvernement canadien. Les objectifs principaux du volet qualitatif de cette présente étude au Québec sont de comprendre comment se fait la prise en charge des travailleurs atteints de lésions musculo-squelettiques en milieu de travail, de mieux saisir les stratégies utilisées et les solutions préconisées par les entreprises, dans le but de favoriser le retour au travail régulier des travailleurs atteints de LMS et, d'identifier les obstacles et les facteurs qui facilitent les interventions concernant leur prise en charge.
MÉTHODOLOGIE
Nous avons rencontré des intervenants impliqués dans la prise en charge des travailleuses et travailleurs atteints de LMS dans dix entreprises du secteur électrique/électronique de l'Île de Montréal, et deux personnes de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST) de la Direction régionale de Montréal, DRIM4, s'occupant du secteur électrique/électronique. De deux à sept personnes par entreprise ont été rencontrées. Chaque entrevue a été enregistrée sur cassette audio et transcrite intégralement. Les quatre membres de l'équipe de recherche (médecin, sociologue, anthropologue, ergothérapeute) ont analysé les transcriptions des entrevues des 36 personnes rencontrées en participant au codage des entrevues et à l'analyse de celles-ci selon les grands thèmes du questionnaire d'entrevue. Grâce à l'analyse de contenu, nous avons relevé, pour chaque thème, les points les plus importants, les sous-thèmes, les relations entre les sous-thèmes et entre les différents acteurs, les similarités et les divergences entre les entreprises. Un bilan des données a été effectué plutôt qu'une analyse spécifique par entreprise.
RÉSULTATS
Description des entreprises rencontrées et leurs mesures de prise en charge des travailleurs atteints de LMS
Les entreprises rencontrées sont soit des entreprises d'électricité ou des fabricants de produits électriques/électroniques dans le domaine des transports, de l'aérospatiale, des communications ou des appareils électroménagers.
Parmi ces dix entreprises, six ont un syndicat. Il existe un comité paritaire de santé et de sécurité du travail (comité paritaire SST) dans toutes les entreprises rencontrées où participent le syndicat ou le représentant des travailleurs, et des représentants de l'employeur. Il existe des lésions musculo-squelettiques dans chacune des entreprises de notre échantillon mais leur nombre est très variable. Les sites de lésions musculo-squelettiques les plus fréquents sont le dos, le cou, les épaules, les coudes et les poignets.
La prise en charge des travailleurs atteints de LMS est une réalité complexe due, entre autres, au nombre d'acteurs impliqués (tant à l'interne qu'à l'externe des entreprises : voir l'annexe A), à leurs rôles et mandats parfois distincts, parfois complémentaires, à leurs objectifs qui quelquefois se rejoignent, quelquefois diffèrent. Cette complexité empêche parfois les personnes responsables des programmes de prise en charge de percevoir l'impact de leur travail et de leurs interventions sur les autres acteurs impliqués aussi dans la prise en charge des travailleurs atteints de LMS. Par contre, cela semble être plus facile lorsqu'il y a une bonne communication entre eux.
Nous avons relevé trois grands types d'interventions concernant directement ou indirectement la prise en charge des travailleurs atteints de LMS soit : un suivi administratif, médical et/ou juridique; un programme de réintégration ou de maintien au travail (par l'assignation temporaire et la relocalisation, la modification du poste de travail régulier ou des méthodes de travail); et un programme de prévention. Par exemple, selon le premier type d'intervention mentionné ci-haut, certaines entreprises font un suivi périodique de leurs dossiers CSST, en effectuant un suivi hebdomadaire avec les travailleurs blessés absents du travail, par téléphone ou par une rencontre. Le suivi médical permet aux gestionnaires et aux professionnels du service médical, impliqués dans la prise en charge, de s'informer auprès du travailleur atteint de son état de santé, de son évolution et des traitements qu'il reçoit. La plupart des entreprises font un suivi juridique des cas par la contestation de certaines demandes d'indemnisation de LMS.
Les facteurs facilitant ou limitant la prise en charge des travailleurs atteints de LMS
De prime abord, mentionnons que les obstacles et les facteurs facilitant la prise en charge des travailleurs atteints de LMS sont bien souvent le reflet d'une même réalité. En effet, lorsque certaines conditions ou certains éléments sont présents cela est facilitant mais leur absence constitue un obstacle à la prise en charge. Cependant, il arrive que la présence de certaines conditions soit facilitante mais leur absence n'empêche pas la prise en charge des travailleurs atteints de LMS ou n'est pas nécessairement un obstacle.
Une des conditions qui facilite la prise en charge des travailleurs atteints de LMS, qui a été mentionnée à plusieurs reprises au cours des entretiens, est une communication efficace, une bonne collaboration et une confiance entre les personnes qui sont impliquées dans la prise en charge des travailleurs atteints de LMS, et ce, autant entre les personnes au sein de l'entreprise qu'avec les personnes ou organismes extérieurs (comme les médecins traitants ou la CSST).
- Communication entre les entreprises et les médecins traitants
Les informations obtenues lors des entrevues indiquent que plusieurs entreprises vivent certaines difficultés de communication avec les médecins traitants des travailleurs atteints. Du point de vue des gestionnaires et des professionnels du service médical des entreprises, les médecins traitants ne sont pas nécessairement réceptifs aux demandes des entreprises. Des gestionnaires et des professionnels du service médical rencontrés nous disent que les médecins traitants ne semblent pas toujours partager les mêmes objectifs qu'eux ni comprendre certaines démarches des entreprises relatives à la prise en charge de travailleurs atteints de LMS. L’approche privilégiée par certains médecins traitants, afin de réaliser leur objectif de promouvoir le rétablissement de leur patient et d'éviter les rechutes, ne permet pas nécessairement de répondre aux préoccupations des entreprises qui sont d'éviter l'absence du travailleur atteint de LMS ou d'en réduire la durée, et de réduire leurs coûts de cotisation à la CSST. Certains professionnels du service médical et gestionnaires des entreprises estiment que certains médecins traitants manquent de connaissances au niveau des LMS, de leurs traitements, et du milieu de travail. Ce manque de connaissances pourrait s'exprimer, selon nos répondants, par un diagnostic imprécis, par des traitements inefficaces, par des traitements qui durent trop longtemps, ou par des limitations fonctionnelles vagues ou inappropriées. Le niveau de connaissance des médecins traitants semble aussi influencer la nécessité d'un arrêt de travail et sa durée. Le manque de connaissances du milieu de travail de ceux-ci peut se traduire, selon nos répondants, par des difficultés à juger les contraintes physiques associées au poste de travail régulier ou d’assignation temporaire (AT).
Les gestionnaires et professionnels du service médical des entreprises cherchent souvent l'avis d'un médecin spécialiste ou d'un médecin du travail d'une firme privée, afin d'obtenir une appréciation et une opinion par rapport au diagnostic du médecin traitant, à la date de retour au travail, ou au lien entre le travail et la lésion. D'ailleurs, les responsables des programmes de retour au travail constatent souvent que les évaluations diffèrent entre les médecins (traitant versus spécialiste ou médecin du travail). Ces expertises, provenant de médecins que les entreprises ont choisis, sont perçues par celles-ci comme facilitant la prise en charge de leurs cas de LMS, et les aident dans la contestation de certains cas.
Certaines entreprises ont essayé plusieurs stratégies afin de faciliter les contacts et la communication avec les médecins traitants. En voici quelques exemples :
- envoi, par l'entremise du travailleur à remettre au médecin traitant, d'un formulaire créé par l'entreprise ou du formulaire de la CSST que l'entreprise a modifié afin, d'une part, de recueillir les informations nécessaires pour le suivi médical et administratif et, d'autre part, d'indiquer au médecin traitant le travail proposé pour une assignation temporaire;
- identification par l'entreprise de deux ou trois postes que le travailleur pourrait occuper en assignation temporaire, et demande d'approbation du médecin traitant de tous ces postes en même temps. Cela permet aux entreprises d’éviter des délais concernant l’AT (par exemple, si le médecin traitant refuse une AT proposée, l'entreprise doit reprendre le processus) et assure une certaine souplesse vis-à-vis l’AT;
- contact téléphonique au médecin traitant du travailleur atteint afin de l’informer des possibilités d'AT, et de la nature du travail qui est fait dans l'entreprise (bien que toutefois ce contact ne soit pas toujours facile à réaliser);
- envoi, par l'entremise du travailleur, d'une copie du rapport d'expertise médicale au médecin traitant.
- Les superviseurs et la prise en charge des travailleurs atteints de LMS
Le principal mandat des superviseurs est de répondre aux exigences de la production. Par contre, très souvent d'autres tâches ont été ajoutées, comme de s'occuper de santé et sécurité du travail (SST) et aussi de faire la gestion quotidienne de certaines interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS. Cette gestion quotidienne se traduit principalement par la recherche de tâches lors d'assignations temporaires des travailleurs blessés. Le principal problème soulevé par nos répondants est que souvent ces autres responsabilités ont été ajoutées à leurs tâches sans qu'il y ait eu de planification, de changement dans l'organisation de leurs tâches, ou de réflexion sur ce dont les superviseurs ont besoin pour les accomplir et les impacts possibles sur leur travail. Parfois, la structure organisationnelle n'encourage pas une bonne communication entre la direction de production et la direction des ressources humaines (RH) ou de SST qui gère les cas de LMS. Très souvent, les superviseurs se sentent coincés entre les quotas de production à atteindre et la gestion quotidienne de l'assignation temporaire. Dans ce contexte, plusieurs superviseurs semblent voir l'assignation temporaire comme une surcharge de travail. De plus, ils n'ont pas nécessairement une bonne compréhension des LMS et des principes d'ergonomie pour en tenir compte dans le choix des assignations. Les conséquences de ce manque de connaissances, en plus des entraves organisationnelles et des exigences de production, pourraient expliquer le non-respect des limitations fonctionnelles des travailleurs atteints de la part de certains superviseurs. Le manque de temps, le manque de moyens ou de connaissances, le conflit de rôles sont des éléments qui jouent sur cette problématique et qui peuvent aussi expliquer une certaine résistance de la part de plusieurs superviseurs. Les superviseurs collaborent mieux quand ils sentent qu'on accorde de l'importance à ce qu'ils vivent, qu'on tient compte de leurs besoins et, que leur rôle face à l'assignation temporaire est valorisé de façon concrète par l'entreprise. L'élément qui semble crucial et très facilitant est la présence d'un arrimage entre la production et la prise en charge des travailleurs atteints de LMS. Cet arrimage est possible lorsqu'il y a des ajustements au niveau de l'organisation du travail et une intégration de la prise en charge (en particulier l'assignation temporaire) se font de façon à répondre aux exigences de la production. Le succès des interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS semble passer par des entreprises qui favorisent cet arrimage. L'absence de cet arrimage semble faire en sorte que l'assignation temporaire est difficile « à faire et à vivre ». Cela est apparu comme un des obstacles majeurs à la prise en charge des travailleurs atteints de LMS, et plus particulièrement face à l'assignation temporaire.
Certaines entreprises ont trouvé plusieurs stratégies afin de faciliter le travail des superviseurs et leur implication dans la prise en charge des travailleurs atteints. Par exemple :
- la priorisation, par la haute direction et, en particulier, par le directeur de production, de la prise en charge des travailleurs atteints et de la prévention;
- la définition des responsabilités des superviseurs face à l'AT et la santé au travail, et les inclure dans leur évaluation qualitative de leur performance des activités de prévention et de gestion de la SST associée à leur avancement et à leur progression salariale;
- l'implication des superviseurs dans la conception et dans l'implantation des interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS, et même dans les comités de suivi pour faire le pont avec la prévention;
- l'implication des infirmières, des conseillers en SST, du représentant des travailleurs et/ou du travailleur atteint dans le choix de l’assignation temporaire afin que les superviseurs ne soient pas seuls à gérer l’AT;
- la création d'une banque de postes pour les assignations temporaires en fonction du site de la lésion (faite selon des critères ergonomiques) de façon à faciliter l'identification par le superviseur des postes appropriés;
- une formation des superviseurs en ergonomie et sur les LMS et sur les choix d'AT en fonction du site de la lésion et les contraintes physiques du travail. Une telle formation les rend plus enclins à respecter les limitations fonctionnelles des travailleurs atteints et à identifier les possibilités de modifier ou d'ajuster les postes de travail ou les tâches;
- la création de mécanismes qui tiennent compte des travailleurs atteints (qui ne sont pas à 100% productifs) dans les calculs des quotas de production;
- l'assignation temporaire des travailleurs atteints de LMS à des postes surnuméraires, c'est-à-dire les ajouter comme travailleur supplémentaire à un groupe de travail sans les inclure dans les calculs d'heures-hommes de production;
- lorsque cela est faisable, l'attribution des coûts relatifs aux dossiers de CSST, à chaque département d'où proviennent les lésions professionnelles. Cette stratégie permet aux superviseurs de voir l'impact des assignations temporaires sur ces coûts.
- Les travailleurs atteints de LMS dans la prise en charge
Les travailleurs atteints de LMS sont les principales personnes concernées par les interventions de prise en charge des entreprises. Aussi, le succès de ces interventions semble tributaire, en partie, de leur collaboration. Cette collaboration semble suscitée par un bon climat de travail, c'est-à-dire des relations de travail harmonieuses entre patrons, employés et syndicats. Quand les travailleurs atteints sentent que l'entreprise se préoccupe d'eux, qu'il y a un soutien précoce et un suivi offerts, cela leur démontre l'intérêt de l'entreprise face à leur santé. Cet intérêt semble important pour susciter leur collaboration. Plusieurs acteurs nous ont exprimé aussi que l'existence d'un programme de prévention actif concernant l'élimination des LMS dans l'entreprise, incluant l'implantation d'améliorations ergonomiques aux postes de travail, démontre aux travailleurs que l'entreprise s'intéresse à eux et à leur santé.
De plus, il semblerait que les travailleurs tolèrent plus la douleur lorsqu'ils voient que l'entreprise se préoccupe d'eux en faisant, par exemple, des modifications au poste de travail.
D'autres composantes, plus spécifiques à l'assignation temporaire, favorisent la collaboration des travailleurs atteints :
- le respect des limitations fonctionnelles des travailleurs atteints par le superviseur;
- l'assignation temporaire à un travail perçu comme utile et productif par le travailleur atteint;
- le choix de l'assignation temporaire selon des critères ergonomiques et en fonction de la lésion;
- l'assignation temporaire du travailleur à un travail dans leur département (donc même environnement et collègues de travail).
- Les représentants des travailleurs et la prise en charge des travailleurs atteints de LMS
La collaboration et l'implication des représentants des travailleurs dans ce dossier contribuent à la bonne marche des interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS. Une question difficile à régler concernant l'AT, pour quelques entreprises, est le sujet de l'ancienneté. En général, la règle d'ancienneté dans certaines conventions collectives privilégie les travailleurs plus anciens pour l'obtention de postes plus « légers » qui deviendraient disponibles. Pour les syndicats, c'est une façon d'aider les travailleurs vieillissants mais pour les gestionnaires c'est un empêchement à l'assignation temporaire des travailleurs atteints de LMS.
- L'articulation de la prévention et de la prise en charge des travailleurs atteints de LMS
Il semble y avoir plusieurs façons de faire une articulation entre les interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS et la prévention de celles-ci. Quelques entreprises ont intégré les activités de prise en charge des travailleurs atteints de LMS avec les activités de prévention, par exemple :
- le directeur de production ou des opérations reconnaît l'existence de relations entre les LMS et les contraintes physiques et organisationnelles du travail, et valorise la prévention des LMS;
- lors de l'enquête d'accident, les contraintes physiques ou organisationnelles, qui ont probablement contribué à la lésion, sont identifiées dans le but d'élaborer des modifications possibles au poste de travail et de permettre au travailleur atteint de retourner à son poste de façon à prévenir les rechutes et, aussi des lésions similaires chez d'autres travailleurs qui font le même travail;
- le responsable de la prévention en SST est mandaté, non seulement pour réduire le nombre d'accidents de travail, mais également pour prévenir l'incapacité prolongée (chronicité/gravité/durée) par, entre autres, la modification des postes de travail, l'assignation temporaire, etc.;
- des intervenants, formés en ergonomie et en LMS, participent à la détermination des AT les plus appropriées à la lésion du travailleur atteint en évaluant les postes de travail selon des critères ergonomiques;
- les mêmes intervenants qui s'occupent des programmes de prévention des LMS sont également impliqués dans les AT ou les « relocalisations »;
- le comité paritaire SST participe à l'évaluation des cas de lésions professionnelles dans le but d'identifier les facteurs liés au travail qui ont probablement contribué à la lésion et de recommander des mesures préventives au besoin;
- une formation en ergonomie et sur les LMS donnée aux divers intervenants, par exemple : superviseurs, gestionnaires en ressources humaines et en SST, ingénieurs, médecins, infirmières, service des achats, directeur de production et/ou membres du comité paritaire SST;
- une organisation du travail qui permet de faire une rotation des employés sur certains postes jugés « à risques » dans le but de prévenir les LMS.
Ce genre d'articulation semble, selon nos répondants, faciliter la prise en charge des travailleurs atteints de LMS et permettre la réduction du nombre de nouveaux cas de LMS et de rechutes et, par conséquent, réduit leurs coûts de cotisation à la CSST. De plus, cela semble avoir un impact important sur la productivité et la motivation des travailleurs en général car ils sentent que l'entreprise se préoccupe d'eux et de leur santé.
- Les deux côtés de la contestation de la part de l'employeur
La contestation est un mécanisme de gestion dont le continuum va, selon les entreprises rencontrées, de la contestation systématique des cas de LMS à aucune contestation. Il y a donc, à cet égard, une grande variabilité entre elles. Plusieurs nous ont mentionné que les opinions médicales divergentes rendent difficiles l'établissement d'un lien causal entre l'exposition à des contraintes physiques cumulatives du travail et la lésion, ce qui se traduit souvent par la contestation des cas de la part des entreprises.
Selon les informations recueillies, il semble y avoir deux conséquences relatives aux contestations. D'une part, cela permet aux entreprises de réduire leurs coûts de cotisation à la CSST, de prévenir « l'épidémie de cas de LMS », d'empêcher que l'entreprise soit étiquetée par la CSST comme causant des LMS, et/ou de faire une gestion serrée des cas. D'autre part, la contrepartie de ce genre d'intervention semble, parfois, avoir comme conséquence un impact négatif sur le climat de travail entre syndicat/travailleurs et l'employeur. Le syndicat peut y voir le non-respect du vécu des travailleurs atteints. Les travailleurs atteints de LMS qui ont fait une demande d'indemnisation à la CSST, et voient que l'entreprise conteste leur lésion professionnelle, sentent que l'entreprise ne les croit pas. Dans ces cas-là, ils sont parfois moins enclins à collaborer à une assignation temporaire précoce. Néanmoins, des gestionnaires de deux entreprises nous ont spécifié que, depuis qu'ils font de l'AT, ils contestent moins à la CSST car l'AT permet d'atteindre leur objectif de réduction des coûts de cotisation à la CSST.
- L'importance de la culture de l'entreprise dans le succès de la prise en charge des travailleurs atteints de LMS
Il ressort de nos entrevues que la haute direction a une influence importante sur le succès des interventions de prise en charge des travailleurs atteints de LMS. En effet, lorsque la haute direction priorise la SST, qu'elle supporte les programmes de retour au travail et les interventions de prise en charge, ainsi que les programmes de prévention, et qu'elle favorise une gestion participative au sein de l'entreprise, ces éléments semblent créer une dynamique favorisant le succès de ces interventions. Un style de gestion participative qui, par exemple, permet aux superviseurs et aux travailleurs de participer à la planification ou à l'implantation d'un programme de retour au travail, semble faciliter une communication et une collaboration plus efficace entre les acteurs impliqués. Ces éléments permettent une meilleure articulation entre les interventions de prise en charge et la production, et une meilleure coordination entre la prévention et la prise en charge des travailleurs atteints de LMS.
CONCLUSION
Cette étude soulève la complexité de la prise en charge des travailleurs atteints de LMS et aussi l'importance de la communication et de la collaboration à plusieurs niveaux (tant à l'interne qu'à l'externe de l'entreprise) entre le grand nombre d'acteurs impliqués dans ce dossier.
Il ressort de cette recherche que la plupart des entreprises rencontrées du secteur électrique/électronique ont mis sur pied plusieurs mesures pour prendre en charge leurs travailleurs atteints de lésions musculo-squelettiques. Un grand nombre d'entreprises s'occupent non seulement des travailleuses et travailleurs indemnisés par la CSST, mais aussi se préoccupent de la prévention des LMS. Depuis quelques années, des entreprises ont considérablement diminué leurs coûts de cotisation à la CSST suite à des programmes de retour ou de maintien au travail, à des programmes de prévention et/ou à des contestations fréquentes des demandes d'indemnisation.
La plupart des programmes de retour ou de maintien au travail privilégient l'assignation temporaire des travailleurs atteints de LMS. Cette mesure s'adresse parfois, non seulement aux travailleurs indemnisés par la CSST, mais également aux autres travailleurs qui ont des lésions musculo-squelettiques ou des symptômes. Il existe plusieurs éléments communs dans les entrevues malgré des approches et des formes de mesures de retour au travail qui diffèrent d'une entreprise à l'autre. En voici quelques-uns :
- plusieurs des entreprises rencontrées vivent des difficultés de communication avec les médecins traitants des travailleurs atteints et ressentent certaines frustrations concernant la prise en charge médicale, les décisions concernant la date de retour au travail des travailleurs atteints, et aussi concernant leurs critères pour évaluer si l'assignation temporaire proposée par l'entreprise est appropriée à la lésion;
- un autre élément limitant la prise en charge des cas de LMS est le conflit de rôle vécu par les superviseurs, entre leur rôle relatif à l'implantation de l'assignation temporaire et les exigences de production;
- par contre, quand il existe, l'arrimage entre la prise en charge des travailleurs atteints de LMS et la production est facilitant;
- l'importance d'articuler les interventions de retour ou de maintien au travail aux activités de prévention est également apparue comme un élément facilitant;
- des facteurs organisationnels et des caractéristiques personnelles des travailleurs peuvent influencer la collaboration des travailleurs atteints dans les interventions de retour précoce au travail;
- un autre déterminant de la collaboration des travailleurs atteints est la nature du travail de l'assignation temporaire et les efforts mis par les personnes responsables pour trouver des postes appropriés.
Cette étude constituait pour l'équipe de recherche une première étape. En fonction des résultats obtenus, nous croyons intéressant d'aller de l'avant, en collaboration avec des employeurs et des travailleurs des entreprises du secteur électrique/électronique, afin de créer des « outils » (dans le sens large du mot) qui faciliteront les prises de décisions relatives à la prise en charge des travailleurs atteints de LMS. Même si les solutions spécifiques relatives à plusieurs des obstacles identifiés dans ce projet varient d'une entreprise à l'autre à cause, entre autres, des différences de taille, de structure organisationnelle, de culture, ou de la nature des processus de production, le cadre de référence relatif à la prise en charge des travailleurs atteints de LMS nous apparaît assez similaire. Par conséquent, nous croyons qu'il est possible de développer une série « d’outils » adaptables par chaque entreprise selon ses besoins. Le contenu et le format de ces « outils » seraient spécifiques à chaque acteur principal impliqué dans le processus de prise en charge travailleurs atteints de LMS, soit la haute direction, les responsables des programmes de retour au travail et de santé et sécurité, les superviseurs, les travailleurs et leurs représentants, ou les médecins traitants. La suite de la présente étude est d'explorer, en collaboration avec l'ASP du secteur métal et électrique/électronique et les représentants des employeurs et des travailleurs, les priorités et les besoins spécifiques des différents intervenants impliqués dans la prise en charge des travailleurs atteints de lésions musculo-squelettiques pour élaborer les outils.
Mots-clés
Maintien en emploi, Job maintenance, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Fabrication de matériel électrique, Electrical industry, Montréal-région, Montreal-region
Numéro de projet IRSST
0099-0330
Numéro de publication IRSST
R-297
Citation recommandée
Stock, S., Deguire, S., Baril, R. et Durand, M.-J. (1999). Travailleuses et travailleurs atteints de lésions musculo-squelettiques : les stratégies de prise en charge en milieu de travail dans le secteur électrique/électronique de l'Île de Montréal. « Workeady » phase 1 : volet qualitatif québécois (Rapport n° R-297). Régie régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre; IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/718
