Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2020
Langue
Français
Résumé
L’utilisation de solvants dans de nombreuses applications (dégraissage, nettoyage, décapage, imprimerie, peintures, adhésifs, fabrication de produits pharmaceutiques) constitue une préoccupation majeure. En effet, un grand nombre d’entre eux sont associés à des effets nocifs, tant sur la santé et la sécurité des travailleurs (brûlure, cancer, dermatite, encéphalopathie, fœtotoxicité, polynévrite) que sur l’environnement et la santé de la population générale (précurseurs de smog, pollution des eaux, couche d’ozone). Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises veulent prendre le virage vert, c.-à-d. faire en sorte que leurs activités et leurs produits s’inscrivent dans la démarche du développement durable. C’est dans ce contexte que sont apparus des solvants diversement qualifiés de verts, écologiques, biodégradables, durables. Or, il n’est pas toujours clair dans quelle mesure ces « solvants verts » sont effectivement respectueux de l’environnement ou sans danger pour ceux et celles qui sont exposés à ces produits. L’objectif de la présente étude consistait donc à produire une monographie présentant de façon synthétique et critique les connaissances sur les aspects sanitaires, sécuritaires, environnementaux, techniques, réglementaires et normatifs des solvants qualifiés comme verts.
Une recension de la littérature scientifique, technique et commerciale traitant des solvants verts a permis de les classer d’après l’origine des matières premières utilisées pour les fabriquer. Ainsi, on retrouve des solvants dérivés des glucides, comme le lactate d’éthyle et divers alcools, dont le butan-1-ol, des solvants dérivés des lipides comme les esters méthyliques d’acides gras, ou obtenus à partir de végétaux comme le d-limonène extrait de pelures d’agrumes, ou encore à partir de déchets lignocellulosiques comme le 2-méthyltétrahydrofurane. En outre, de nouvelles classes de solvants verts ont fait leur apparition, p. ex. : les solvants eutectiques profonds (liquides obtenus en mélangeant des substances solides), les liquides ioniques (sels organiques fondus), les solvants commutables (résultant du bullage de gaz carbonique dans un liquide comme l’eau), l’eau et le dioxyde de carbone supercritiques (c.-à-d. préparés à des températures et sous des pressions élevées leur conférant des propriétés de solvant organique). Par ailleurs, l’eau, dans son état liquide normal, joue un rôle comme milieu réactionnel, ainsi que dans les préparations aqueuses utilisées pour le dégraissage industriel, les revêtements, les adhésifs et les encres. Finalement, on qualifie parfois de verts un certain nombre de solvants, même s’ils sont issus de la pétrochimie, au vu de leurs bonnes performances environnementales, p. ex. : parachlorotrifluorométhylbenzène, carbonate de propylène, certains siloxanes et solvants polymériques comme certains polyéthylènes glycols.
Certaines entreprises peuvent être tentées par l’écoblanchiment ou le verdissage des solvants qu’ils produisent ou formulent. L’écoblanchiment est une opération de relations publiques menée par une organisation pour masquer ses activités polluantes et tenter de présenter un caractère écoresponsable. Par ailleurs de nombreux fabricants désirant verdir leurs produits se sont tournés vers la certification environnementale sous la forme d’étiquettes (ou labels) écologiques. Ces dernières visent à assurer une impartialité dans l’évaluation des produits et une garantie de respect de critères minimaux, tout en augmentant la transparence pour les consommateurs. Ainsi, on retrouve, en Amérique du Nord, des certifications diverses comme Green Seal, Greenguard, ECOLOGO. Ce sont généralement des formulations qui sont visées comme des peintures, des vernis, des produits nettoyants, des adhésifs, des revêtements de plancher ou des décapants. Ces étiquettes font une large part au contrôle de la teneur en composés organiques volatils (COV). L’étiquette Safer Choice, quant à elle, repose sur une liste de solvants considérés comme plus ou moins verts selon divers critères et classés selon un code de couleur. De son côté, la norme Biopreferred vise à augmenter l’utilisation de produits biosourcés, c’est-à-dire à haute teneur en carbone organique récent, issus notamment de la foresterie et de l’agriculture. Divers labels ont été développés en Europe (EU Ecolabel, Nordic Ecolabelling), incluant également une norme sur les solvants biosourcés.De nombreux règlements portant sur les substances chimiques en milieu de travail ou dans l’environnement favorisent la substitution des solvants classiques et l’utilisation de solvants verts. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement et, au Québec, le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère limitent notamment l’émission de COV dans divers secteurs. Au Québec, la substitution des matières dangereuses émises dans l’environnement de travail est encouragée par le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST). L’Ontario, quant à elle, bénéficie d’une Loi sur la réduction des toxiques. Mentionnons, aux États-Unis, le Clean Air Act visant notamment les COV et la Loi du Massachusetts sur la réduction des toxiques. En Europe le règlement REACH impose le principe de substitution pour une gamme de substances toxiques et encourage leur remplacement par des produits propres et durables.
On retrouve une diversité d’outils et de sources d’information pour aider au remplacement des solvants traditionnels et pouvant aider à l’évaluation et à la sélection de solvants verts, notamment le fichier de tableur P2OASys du Toxics Use Reduction Institute du Massachusetts, portant sur l’ensemble des substances toxiques, et le logiciel PARIS III de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis dédié aux solvants industriels. On retrouve également des guides, de la documentation et des outils de sélection spécifiques à diverses applications comme dans l’industrie pharmaceutique, les laboratoires de chimie, les peintures, les nettoyants et les dégraissants.
Malgré la multiplication des étiquettes écologiques et des certifications, une confusion demeure pour définir ce qui est réellement un solvant vert. Une application stricte des critères de la chimie verte signifie d’utiliser un solvant qui serait notamment peu toxique pour les travailleurs et l’environnement, issu de ressources renouvelables et ininflammables. Comme plusieurs solvants qualifiés de verts, utilisés en remplacement des solvants traditionnels, ne sont pas sans danger pour les travailleurs, il est justifié de recommander qu’une analyse des effets potentiels sur la santé et sur la sécurité des travailleurs soit effectuée dans tous projets de substitution, pour s’assurer de ne pas faire de transfert de risque d’une catégorie d’impacts à une autre. Pour ce faire, la méthode de substitution en 9 étapes, à la base de l’utilitaire Solub, demeure la solution à appliquer, que l’on soit face à un solvant prétendument vert ou non.
Il serait imprudent pour les auteurs de ce rapport de faire des recommandations précises de solvants verts applicables à toutes les situations. Toutefois, certaines catégories de solvants doivent être favorisées comme l’eau, les solvants biosourcés tels que les EMAG, ainsi que ceux qui répondent à un maximum de critères de la chimie verte. Finalement, afin de favoriser au Québec le remplacement des solvants traditionnels par des options vertes, le législateur pourrait s’inspirer de la Loi sur la réduction des toxiques de l’État du Massachusetts qui, tout en étant contraignante pour les entreprises, leur offre des ressources pour les aider concrètement à réaliser leurs projets de substitution de substances toxiques.
AbstractThe use of solvents in many applications (degreasing, cleaning, stripping, printing, painting, adhesives, pharmaceutical manufacturing) is a major concern. Several solvents are associated with adverse effects, both on the health and safety of workers (burns, cancer, dermatitis, encephalopathy, fetotoxicity, and polyneuritis) as well as on the environment and health of the general population (smog precursors, water pollution, and ozone layer). At the same time, more and more companies want to go green, i.e. to ensure that their activities and products are part of the sustainable development process. It is in this context that so-called green, ecological, biodegradable, and sustainable solvents have emerged. However, it is not always clear to what extent these "green solvents" are effectively environmentally friendly or safe for those exposed to these products. The objective of this study was therefore to produce a monograph presenting synthetic and critical knowledge on the health, safety, environmental, technical, regulatory, and normative aspects of solvents qualified as green.
A review of the scientific, technical, and commercial literature pertaining to green solvents has made it possible to classify them according to the origin of the raw materials used in their production. For example, we find solvents derived from carbohydrates, such as ethyl lactate and various alcohols, including butan-1-ol, lipid-derived solvents such as fatty acid methyl esters, or obtained from plants such as d-limonene extracted from citrus peels, or from lignocellulosic waste such as 2-methyltetrahydrofuran. In addition, new classes of green solvents have emerged, e.g. deep eutectic solvents (liquids obtained by mixing solids), ionic liquids (melted organic salts), switchable solvents (resulting from the bubbling of carbon dioxide in a liquid such as water), supercritical water and carbon dioxide (i.e. prepared at temperatures and under high pressures giving them organic solvent properties). In addition, water, in its normal liquid state, plays a role as a reaction medium, as well as in aqueous preparations used for industrial degreasing, coatings, adhesives and inks. Finally, a number of solvents are sometimes referred to as green, even if they come from petrochemistry, given their good environmental performance, e.g. parachlorotrifluoromethylbenzene, propylene carbonate, some siloxanes and polymeric solvents such as certain polyethylene glycols.
Some companies may be tempted by greenwashing or greening the solvents they produce or formulate. Greenwashing is a public relations exercise conducted by an organization to hide its polluting activities and attempt to present itself as an eco-responsible business. In addition, many manufacturers wishing to green their products have turned to environmental certification in the form of eco-friendly labels. These are intended to ensure impartiality in product evaluation and a guarantee of compliance with minimum criteria, while increasing transparency for consumers. In North America, for example, there are various certifications such as Green Seal, Greenguard, ECOLOGO. These labels generally target formulations such as paints, varnishes, cleaning products, adhesives, floor coverings or strippers. These labels largely focus on controlling the volatile organic compounds (VOCs) content. The Safer Choice label is based on a list of solvents considered more or less green according to various criteria, and categorized using a colour code. The Biopreferred standard aims to increase the use of bio-based products, i.e. products with a high content of recent organic carbon derived notably from forestry and agriculture. Various labels have been developed in Europe (EU Ecolabel, Nordic Ecolabelling), including a standard on bio-based solvents.
Many regulations on chemicals in the workplace or in the environment promote the substitution of conventional solvents and the use of green solvents. The Canadian Environmental Protection Act and, in Quebec, the Clean Air Regulation limit the emission of VOCs in various sectors. In Quebec, the substitution of hazardous materials emitted in the work environment is encouraged by the Regulation respecting occupational health and safety. The province of Ontario enacted the Toxics Reduction Act. In the United States, the Clean Air Act, which includes VOCs, and the Massachusetts’ Toxics Use Reduction Act apply. In Europe, the REACH regulation imposes the principle of substitution for a range of toxic substances and encourages their replacement with clean and sustainable products.
There are a variety of tools and sources of information to help replace traditional solvents and assist in the assessment and selection of green solvents, including the P2OASys spreadsheet file for all toxic substances from the Toxics Use Reduction Institute of Massachusetts, and the U.S. Environmental Protection Agency's PARIS III software for industrial solvents. There are also guides, documentation and selection tools specific to various applications such as in the pharmaceutical industry, chemical laboratories, paints, cleaners and degreasers.
Despite the proliferation of eco-labels and certifications, confusion remains to define what a green solvent is. A strict application of the green chemistry criteria means using a solvent that would be non-toxic to workers and the environment, derived from renewable resources and nonflammable. Since many of the green solvents used to replace traditional solvents are not safe for workers, it is justified to recommend that an analysis of the potential effects on workers' health and safety be undertaken in all substitution projects, to ensure that risks are not transferred from one risk category to another. To do this, the 9-step substitution method behind the Solub website must be applied whether faced with a supposedly green solvent or not.
It would be unwise for the authors of this report to make specific recommendations of green solvents applicable to all situations. However, certain categories of solvents need to be favored such as water, bio-based solvents such as fatty acid methyl esters, as well as those that meet a maximum of green chemistry criteria. Finally, in order to encourage the replacement of traditional solvents with green options in Quebec, legislators may refer to the State of Massachusetts’s Toxics Use Reduction Act, which, while restrictive for companies, provides resources to help them concretely carry out their plans to replace toxic substances.
ISBN
9782897971113
Mots-clés
Solvant, Solvent, Développement durable, Sustainable development, Risque d'atteinte à la santé, Health hazard, Pollution du milieu, Environmental pollution, Dégraissage, Degreasing, Évaluation de la toxicité, Toxicity evaluation, Lutte contre la pollution, Pollution control, Protection de l'environnement, Environment protection
Numéro de projet IRSST
2016-0041
Numéro de publication IRSST
R-1089
Citation recommandée
Bégin, D., Couture, C., Gérin, M. et Debia, M. (2020). Solvants vers : fondements, santé, sécurité, environnement et substitution (Rapport n° R-1089). IRSST.