Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

1997

Langue

Français

Résumé

Cette étude s'intéresse à un phénomène méconnu, celui de la participation directe des travailleurs à la prévention des accidents qui réfère aux comportements préventifs que les travailleurs adoptent dans leur vie courante de travail. En comparaison, il y a beaucoup plus d'études sur la participation indirecte des travailleurs à la prévention qui s'exerce par l'intermédiaire de représentants sur le comité de santé-sécurité où de représentants à la prévention. Cela dit, ce phénomène de la participation directe des travailleurs à la prévention suscite de plus en plus d'intérêt dans un contexte où, après l'emphase mise dans les années '80 sur l'implantation et le développement de structures de prévention (comités, services, programmes), l'intérêt des intervenants en santé-sécurité du travail s'oriente de plus en plus vers le développement d'une culture de prévention dans les milieux de travail.

Mais plus précisément, à quels comportements des travailleurs réfère-t-on lorsqu'on parle de leur participation directe à la prévention? L'étude distingue trois formes de participation. La première, et la plus connue, est la prudence qui consiste pour le travailleur à appliquer diverses règles prescrites de sécurité dans l'exécution de son travail, comme par exemple appliquer des méthodes et procédures sécuritaires de travail, utiliser les équipements de protection individuelle ou collective, etc...Cependant, comme tout ne peut pas être réglé et prescrit à l'avance en matière de sécurité au travail, il faut considérer une deuxième forme de participation qui consiste en l'initiative sécuritaire dont le travailleur peut faire preuve lorsque, par exemple.il identifie et fait des suggestions pour corriger un danger ou améliorer la sécurité du lieu de travail, ou encore lorsqu'il prend, seul ou avec d'autres, des initiatives pour éviter de se blesser dans l'exécution de son travail. Enfin, il y a une troisième forme de participation qui consiste en l'appui que les travailleurs accordent au comité de santé-sécurité de leur établissement et qui, se faisant, établit un lien entre la participation directe et indirecte des travailleurs à la prévention.

L'étude vise trois objectifs qui consistent à répondre aux trois questions suivantes de recherche: (1) la prudence et l'initiative sécuritaire des travailleurs ont-elles un impact sur la performance de l'établissement au plan des taux d'accident du travail?, (2) quels sont les facteurs qui influencent les travailleurs à être plus ou moins prudents et à prendre plus ou moins d'initiatives sécuritaires?, (3) quels sont les facteurs qui influencent l'appui que les travailleurs accordent au comité de santé-sécurité de leur établissement? Pour répondre à ces trois questions, l'étude a exploité les données recueillies par questionnaires auto-administrés complétés par 2169 personnes provenant d'un échantillon aléatoire non proportionnel de 100 établissements de 70 employés et plus répartis dans 20 secteurs de l'industrie manufacturière.

Les résultats de l'étude, qui ont fait l'objet d'articles scientifiques publiés ou acceptés pour publication, et dont le présent rapport fournit une synthèse plus accessible, présentent plusieurs surprises qui remettent en question certaines perceptions ou croyances acquises.

Par exemple, en rapport avec la première question de recherche qui réfère à l'impact des comportements des travailleurs (prudence et initiative sécuritaire) sur les taux d'accidents, les résultats montrent que le degré de prudence des travailleurs n'a pas d'impact mesurable sur le taux de fréquence des accidents des établissements, contrairement à la croyance acquise que plus les travailleurs sont prudents, au sens d'appliquer les règles prescrites de sécurité, moins il y a d'accidents. Par contre, l'initiative sécuritaire des travailleurs est un comportement qui a un très grand impact positif sur la diminution du taux de fréquence des accidents. Le rationnel sous-jacent à ces résultats consiste dans le fait que les conditions réelles d'exécution du travail dévient assez souvent des conditions prévues qui sont à la base des règles prescrites de sécurité, de sorte qu'au bout du compte, c'est la capacité d'adaptation et d'initiative sécuritaire des travailleurs qui fait la différence au plan de la fréquence des accidents, et non la simple prudence.

De même, en rapport avec la deuxième question de recherche, laquelle s'intéresse aux facteurs influençant la propension des travailleurs à la prudence et à l'initiative sécuritaire, on aurait pu croire que le niveau de risques serait le facteur le plus influent, mais ce n'est pas le cas. Les facteurs les plus influents sont davantage socio-organisationnels que techniques et renvoient au mode participatif de gestion de la santé-sécurité par les superviseurs et au climat coopératif de relations qu'ils établissent avec leurs employés, ainsi qu'à la cohésion du groupe de travail. Le type d'organisation du travail, en termes de plus ou moins grande autonomie laissée aux travailleurs, est également un facteur supplémentaire qui influe positivement sur la propension à l'initiative sécuritaire.

Enfin, sur la troisième question de recherche qui pose le problème des facteurs influençant le degré d'appui des travailleurs au comité de santé-sécurité, les résultats montrent que l'appui des travailleurs au comité n'est pas seulement influencé par des facteurs d'ordre pratique et utilitaire en regard de la solution des problèmes de santé-sécurité, comme le degré d'efficacité du comité, l'information qu'il diffuse aux travailleurs sur ses activités, ou encore le développement du programme de prévention et la décentralisation de la gestion de la prévention. Cet appui est aussi influencé par le support conjoint que les parties patronale et syndicale accordent au comité, ce qui signifie que les travailleurs sont très sensibles autant à la légitimité qu'à l'efficacité du comité de santé-sécurité. Ces résultats nous rappellent qu'en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, le comité de santé-sécurité participe en quelque sorte au "gouvernement" du milieu de travail en matière de prévention des lésions professionnelles, de sorte qu'en milieu syndiqué, si les deux parties n'appuient pas fortement le comité, ce dernier apparaît illégitime aux yeux des travailleurs et en conséquence, ces derniers ne lui accordent pas leur appui.

Quelle est la portée pratique de ces résultats? En fait, la portée pratique est de dégager quelques principes d'action pour ceux qui sont intéressés à développer et canaliser la participation directe des travailleurs en santé-sécurité, laquelle représente une indéniable force préventive pour un milieu de travail et un gage de performance accrue au plan de la réduction des accidents du travail. Un premier principe est, pour les responsables et intervenants en santé-sécurité, de développer une vision élargie du comportement des travailleurs en matière de santé-sécurité. Trop souvent, en effet, on attend simplement des travailleurs qu'ils se conforment aux règles de sécurité prescrites, survalorisant ainsi la prudence au détriment du potentiel d'initiatives sécuritaires dont ils sont capables, alors que nos résultats montrent que cette capacité d'initiative constitue dans la réalité un vecteur plus efficace de réduction de la fréquence des accidents. En deuxième lieu, une telle vision élargie consiste à impliquer les travailleurs dans l'élaboration des règles, méthodes et procédures de sécurité à appliquer dans leur travail, selon une approche ascendante plutôt que descendante. Troisièmement, cette vision élargie implique de développer certains aspects de contexte importants: une forte cohésion du groupe de travail, une dynamique positive de relations employés-superviseur, l'implication de ce dernier en santé-sécurité, le support du programme et des structures de prévention, l'appui paritaire des deux parties au comité de santé-sécurité.

Mots-clés

Participation des travailleurs, Worker participation, Enquête par questionnaire, Questionnaire survey, Esprit de sécurité, Safety consciousness, Taux de fréquence, Frequency rate, Comité de santé et de sécurité, Safety and health committee

Numéro de projet IRSST

0092-1200

Numéro de publication IRSST

R-154

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