Type de document
États de la question, rapports d'expertise et revues de littérature
Année de publication
2018
Langue
Anglais
Résumé
Le bruit est encore très présent en milieu de travail. Plusieurs travailleurs vivent donc quotidiennement avec une surdité professionnelle. D’autres peuvent par ailleurs présenter une surdité d’origine non professionnelle et enfin, la population active vieillissante présente plus de risques de souffrir d’une perte auditive. Une surdité peut compromettre la réalisation efficace des tâches et la sécurité du travailleur et celle d’autrui lorsqu’elle est accompagnée de difficultés à percevoir des signaux sonores, à comprendre la parole en présence de bruit et à bien localiser la provenance des sons dans l’espace. Afin de maintenir une juste perception de l’environnement sonore et de réaliser leur travail de façon sécuritaire, efficace et autonome, une solution envisageable pour les travailleurs atteints d’une surdité pourrait être de porter des prothèses auditives. Une telle option soulève par contre des questionnements importants quant à la possibilité de ces prothèses de réellement optimiser les capacités auditives requises des travailleurs pour la réalisation de leurs tâches et d’amplifier les sons utiles à des niveaux qui demeurent sécuritaires afin de ne pas exacerber la perte auditive.
Peu d’études scientifiques ont porté sur la problématique du port des prothèses auditives en milieu de travail bruyant. Ainsi, on connaît très peu l’ampleur de cette pratique et les risques et bénéfices qui y sont associés. Cette étude impliquant une quête d’information auprès des professionnels de la santé, des travailleurs et des manufacturiers ainsi qu’une revue de la littérature scientifique, vise donc à : 1) explorer la fréquence du port de prothèses auditives en milieu de travail bruyant; 2) examiner le risque d’aggravation de la surdité des travailleurs lors de l’utilisation de prothèses auditives en milieu de travail bruyant et établir des méthodes de mesure valides pour évaluer les risques de suramplification; 3) déterminer si les prothèses auditives peuvent être utilisées pour soutenir les besoins d’écoute et de communication, sans risque d’aggraver la surdité ni de compromettre la sécurité et 4) établir si d’autres technologies d’amplification et de protection (p. ex. : protecteurs à rétablissement du son) peuvent contribuer à améliorer les performances auditives au travail, ou du moins à ne pas les détériorer.
Bien que cette étude n’ait pas permis de déterminer avec précision le nombre de travailleurs utilisant des prothèses auditives en milieu de travail bruyant, bon nombre de professionnels de la santé rapportent avoir vu, au moins une fois au cours des cinq dernières années, un travailleur qui utilise ses prothèses en milieu bruyant ou qui s’interroge sur la possibilité de le faire. Parmi les obstacles à une gestion adéquate de ces cas, on rapporte, entre autres, un manque de méthodes de mesure valides du risque de suramplification, de lignes directrices claires, ainsi que de mécanismes de consultation et de collaboration entre les divers professionnels impliqués. Le partage de l’information entre les professionnels au regard des contextes et des niveaux sonores, des exigences du poste de travail et des solutions envisageables, est particulièrement limité. Le rôle de chacun des professionnels est méconnu, ce qui n’encourage pas l’interdisciplinarité. Dans la plupart des cas, le professionnel tente de préserver l’audition résiduelle du travailleur en décourageant le port de prothèses auditives en milieu de travail bruyant, mais, ce faisant, il peut alors sous-estimer le besoin d’entendre de ces travailleurs pour des questions d’efficacité, de sécurité et de communication.
Une revue de la littérature, incluant celle sur les technologies actuelles, n’a pas permis de tirer de conclusion claire sur le risque d’aggravation de la surdité associé au port de prothèses auditives, ni de déterminer une méthode valide, fiable et standardisée pour documenter ou prédire ce risque. Par ailleurs, les recommandations destinées aux travailleurs demeurent assez limitées et ne sont généralement pas appuyées par des données probantes.
Outre la suramplification, les professionnels de la santé s’interrogent également sur la possibilité que les prothèses auditives compromettent la sécurité des travailleurs en réduisant certaines capacités auditives nécessaires pour l’exécution autonome et sécuritaire des tâches en milieu de travail. Selon le type d’ajustement des paramètres, on peut parfois noter une baisse de performance sur le plan de la compréhension de la parole en présence de bruit lors du port des prothèses comparativement à une condition sans prothèse. Certains ajustements peuvent toutefois contribuer à améliorer cette capacité dans certaines situations, comme c’est le cas avec l’utilisation des microphones directionnels qui amplifient davantage les sources sonores placées directement devant un individu plutôt que celles qui sont derrière lui, alors que d’autres, comme les réducteurs de bruit, contribuent plutôt à améliorer le confort d’écoute et la qualité sonore, tout en réduisant l’effort exigé pour entendre. La littérature scientifique est moins concluante sur l’effet des prothèses auditives quant à leur capacité à localiser des sons dans l’espace, mais, en général, les performances sont meilleures sans leur port. Bref, les données scientifiques actuelles ne permettent pas de démontrer clairement que les prothèses auditives contribuent à améliorer les capacités auditives requises, tant pour l’exécution autonome des tâches de travail que pour assurer la sécurité des travailleurs malentendants. Ces données ne permettent pas non plus d’affirmer avec certitude que l’utilisation de prothèses auditives représente un risque pour la sécurité de ces travailleurs.
Une revue des options alternatives ou supplémentaires au port de prothèses auditives devient alors pertinente. Malgré les avancées technologiques remarquables à certains égards dans le domaine des protecteurs auditifs actifs et leur appréciation généralement favorable de la part des travailleurs, il ne semble toujours pas exister de dispositif qui puisse améliorer systématiquement les capacités auditives. D’autre part, un ajustement souple et personnalisé des protecteurs auditifs actifs demeure limité comparativement à ce qui est possible avec les prothèses auditives. Il est par ailleurs difficile de sélectionner un produit adapté aux besoins du travailleur malentendant et du milieu de travail en raison d’une accessibilité limitée de la part des fabricants quant aux paramètres et au fonctionnement de leurs produits. Une explication possible est l’absence de normes spécifiant les conditions de test, les paramètres à évaluer ainsi que l’information que doit contenir la fiche technique du protecteur actif. Ces éléments, ainsi que la prise en compte de l’aspect sécurité, commandent d’étudier davantage leur contribution avant d’en proposer systématiquement l’utilisation à des travailleurs malentendants.
Aux termes de cette étude, l’équipe de chercheurs préconise le principe de précaution en recommandant de ne considérer le port de prothèses auditives qu’en dernier recours, après avoir envisagé tout d’abord la réduction du bruit au poste de travail puis les autres avenues telles que la modification des exigences d’écoute, de communication et de localisation à ce poste et l’adaptation du poste de travail incluant le recours possible à une autre modalité sensorielle (vibratoire, visuelle). Dans un tel cas, il est primordial que le risque de suramplification et la sécurité du travailleur soient pris en compte et soient gérés par l’ensemble des professionnels concernés par cette problématique. En l’absence de lignes directrices claires et appuyées par des données probantes, il est d’autant plus important que ces professionnels se consultent, se coordonnent et se concertent afin de dégager les recommandations les mieux adaptées pour répondre à l’objectif de ne pas compromettre la santé et la sécurité du travailleur ni celles des autres.
Abstract
Noise remains very present in the work environment. As a result, many workers live every day with occupational deafness. Others may present with deafness of non-work-related origins and, as well, the aging workforce has a higher risk of suffering from hearing loss. Hearing loss can compromise the effective accomplishment of tasks and the safety of the worker and of others when it is accompanied by difficulties in perceiving audible signals, including speech, in the presence of noise and being able to identify where sounds are coming from. In order to maintain an accurate perception of ambient sound and to do their jobs safely, efficiently and autonomously, a viable solution for deaf workers may be to wear hearing aids. However, this option raises important questions as to whether hearing aids can actually optimize the hearing ability necessary for workers to carry out their tasks and amplify useful sounds to levels that remain safe, so as not to exacerbate the hearing loss.
Few scientific studies have dealt with the issue of wearing hearing aids in noisy workplaces. We therefore know very little about the extent of their use in the workplace and the associated risks and benefits. This study involves seeking information from health professionals, workers and manufacturers, and a review of the scientific literature in order to (1) explore the frequency of hearing aid use in noisy workplaces; (2) examine the risk of aggravating hearing loss in workers who wear hearing aids in noisy workplaces and to establish valid measurement methods to assess the risks of over-amplification; (3) determine whether hearing aids can be used to assist hearing and communication needs without aggravating hearing loss or compromising safety; and (4) establish whether other amplification and protection technologies (e.g., sound restoration hearing protection devices) could help improve hearing performance at work, or at least not make it worse.
While this study did not enable us to precisely determine the number of workers who use hearing aids in noisy workplaces, many health professionals report having seen a worker using them in noisy environments, or a worker who was considering the possibility of wearing them, at least once in the last five years. Among the obstacles to an adequate management of these cases, valid measurement methods of the risk of over-amplification, clear guidelines, and consultative and collaborative processes among the various professionals involved are reported to be lacking. Sharing of information among professionals, with respect to context and sound levels, the demands of the workstation and viable solutions, is especially limited. The role of each professional is not well understood, which does not encourage interdisciplinarity. In most cases, professionals attempt to preserve workers’ residual hearing by discouraging hearing aid use in noisy work environments, but in so doing they may be underestimating workers’ need to hear for reasons of effectiveness, safety and communication.
A review of the literature, including that of current technologies, did not enable clear conclusions to be drawn about the risk of aggravating hearing loss by the use of hearing aids, or to determine a valid, reliable and standardized method to document or predict this risk. In addition, recommendations for workers are inadequate and are not generally supported by evidence.
Along with over-amplification, health professionals are concerned that hearing aids could compromise the safety of workers by reducing certain hearing abilities necessary for the autonomous and safe execution of tasks in the workplace. Depending on how the parameters are adjusted, there may sometimes be a decrease in speech comprehension in the presence of noise when wearing hearing aids compared to without them. Specific adjustments could, however, contribute to improving this ability in some situations. Examples include the use of directional microphones that amplify the sources of sound directly in front of an individual more than those behind him or her, while other devices, known as noise reducers, contribute to improving the comfort of hearing and the sound quality, while reducing the effort required to hear. The scientific literature is less conclusive on how well hearing aids help the wearer localize where sounds are coming from, but, in general, performance is better without them. Current scientific data do not enable us to demonstrate beyond a doubt that hearing aids contribute to improving the required hearing abilities, both for autonomous execution of work tasks and for ensuring the safety of workers with hearing loss. On the other hand, the data do not enable us to say with certainty that hearing aid use represents a risk for the safety of workers.
A review of alternative or additional options to wearing hearing aids is therefore necessary. Despite some remarkable technological advances in the area of active hearing protection and their generally positive reception by workers, it does not appear that a device to systematically improve hearing capacity exists. As well, there are fewer possibilities of adapting and personalizing the adjustment of hearing protectors compared to hearing aids. It is also difficult to select a product adapted to the needs of workers with hearing disorders and to the workplace because manufacturers’ accessibility is limited in terms of parameters and operation of their products. One possible explanation for this is the absence of standards for test conditions, the parameters to be assessed and the information that must be included in the technical specifications for active hearing protectors. These elements, in addition to the safety aspect, require further study before systematically suggesting their use for workers with hearing loss.
For this study, the research team follows the precautionary principle and therefore recommends that hearing aids only be worn as a last resort, after first looking into reducing noise at the workstation. Afterward, other avenues could be investigated, such as modifying the hearing, communication and localization requirements at the workstation and adapting it, including by using another sensory modality (e.g., vibrating or visual cues). It is essential that the risk of over-amplification and worker safety be taken into account and managed by all of the professionals concerned. In the absence of clear evidence-based guidelines, it is all the more important for professionals to consult, coordinate and work together in order to identify the most appropriate recommendations to respond to the objective of not compromising the health and safety of the worker and others.
ISBN
9782897970154
Mots-clés
Prothèse auditive, Hearing aid, Surdité Deafness, Bruit, Noise, Risque d'atteinte à la santé, Risque d'atteinte à la santé, Health hazard, Protection de l'ouïe, Protection de l'ouïe, Hearing protection, Communication, Québec
Numéro de projet IRSST
2011-0014
Numéro de publication IRSST
R-1015
Citation recommandée
Leroux, T., Laroche, C., Giguère, C. et Voix, J. (2018). Hearing aid use in noisy workplaces (Rapport n° R-1015). IRSST.