Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2018

Langue

Français

Résumé

Les préposés aux bénéficiaires (PAB) ont comme mandat de réaliser l’ensemble des activités d’assistance envers les résidents des centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au Québec. Ils exercent une fonction indispensable dans les CHSLD, alors que le vieillissement de la population s’accentue, que les problématiques physiques et cognitives des résidents s’aggravent et que la réponse à leurs besoins se complexifie. Les PAB forment également une catégorie professionnelle fragilisée dans le réseau de la santé et des services sociaux du Québec, notamment sur le plan de la santé et de la sécurité au travail (SST). À cet égard, ils représentent dans le réseau le premier type d’emploi à risque de subir des lésions professionnelles (LP) et cumulent un nombre élevé de jours d’absence du travail pour causes de TMS ou problème psychologique.

Précisément, c’est souvent d’un « manque de temps » qu’il est question lorsque les PAB sont interrogés sur les enjeux qu’ils vivent concrètement, en situation de travail. Ils mentionnent en priorité leur incapacité à réaliser une pratique relationnelle de qualité avec les résidents. La difficulté porte sur le fait de répondre aux objectifs difficilement conciliables des CHSLD, soit de réaliser l’ensemble des activités quotidiennes de soins aux résidents exigée par l’organisation tout en assurant une qualité des services. Plusieurs écrits récents mentionnent que, pour concilier ces objectifs qui peuvent être perçus comme contradictoires, les PAB tentent de réguler leurs rythmes de travail, par le biais de l’élaboration et de l’application de stratégies spécifiques, dites « stratégies de régulation des temporalités »; celles-ci leur sont utiles pour accélérer le rythme de travail et parvenir à effectuer un nombre spécifique de tâches dans un créneau horaire limité. Selon la littérature, les PAB, loin d’appliquer les pratiques apprises en formation dans le cadre du travail réel, sont plutôt susceptibles de créer collectivement des stratégies de régulation des temporalités qui ne faisaient pas partie ou n’ont pas été transmises durant la formation initiale.

Il existe pourtant une formation, développée par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), dont l’objectif est de transmettre à l’ensemble des PAB des principes utiles et efficaces visant la prévention des LP. Le nom de cette formation est Principes de déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB). Le présent projet vise à comprendre si les stratégies de régulation des temporalités créées et utilisées par les PAB contraignent l’appropriation et l’application générale du PDSB, principalement pour les moins expérimentés. L’hypothèse selon laquelle ces stratégies influencent fortement le travail des PAB et qu’elles sont principalement la conséquence de balises temporelles imposées par l’équipe des soins (infirmières, infirmières auxiliaires, etc.) et par les autres secteurs du CHSLD (loisirs, alimentation, etc.) est formulée.

Cette étude qualitative découle de la réalisation de 22 entrevues semi-dirigées avec plusieurs intervenants de CHSLD (PAB, agents syndicaux, préventionnistes, infirmières auxiliaires, infirmières, chefs d’unité de vie, gestionnaires administratifs), ainsi que d’observations et d’autoconfrontations auprès de PAB peu expérimentés, et ce, dans trois CISSS/CIUSSS différents.

Le constat général de cette étude est que l’organisation du travail complexifie nettement l’appropriation et l’application du PDSB par les PAB. Plusieurs raisons justifient cette analyse. L’idée première est que l’intensification de la charge de travail conduit à une routine de travail et est liée à la présence de balises temporelles, c’est-à-dire à un souci portant davantage sur la productivité que sur la SST, en vue de réduire la charge cognitive relative au fait de « finir dans les temps ». En ce sens, la SST s’inscrit davantage dans la réflexion des PAB comme un enjeu de santé psychologique associé au fait d’être en mesure de répondre aux objectifs fixés sur le plan de la charge de travail; y parvenir est considéré comme une marque de compétence. La seconde raison est fondée sur le fait que les moyens organisationnels et matériels ne sont pas suffisants pour permettre de maîtriser les enjeux relatifs au PDSB soit l’inadéquation de la période d’intégration des recrues, les lacunes en matière d’espaces et d’équipements de travail, et le manque d’appui des supérieurs. La troisième raison évoquée concerne la faible participation des PAB au processus d’organisation du travail qui pourrait permettre, pourtant, de réduire les conflits entre enjeux de productivité, enjeux relationnels et enjeux de SST. Une quatrième et dernière raison porte sur le processus de délégation de la responsabilité de la formation PDSB, des gestionnaires administratifs aux PAB en passant par les chefs d’unité de vie (CUV) et les infirmières et infirmières auxiliaires. Aux yeux des gestionnaires, les PAB deviennent individuellement responsables de l’appropriation et de l’application des principes du programme PDSB, sans égard aux contraintes organisationnelles associées à cette responsabilité.

Le PDSB, pour autant, n’est pas totalement évacué de la pratique des PAB. Ils prennent appui sur certains savoirs issus de cette formation pour effectuer leurs manœuvres et activités. Il semble clair néanmoins que, dans le cadre de leurs activités, les PAB ont peu de temps pour réfléchir aux consignes relatives à la mise en œuvre du PDSB, principalement en raison des rythmes de travail que les PAB disent devoir respecter. De plus, ils déplorent qu’il n’y ait pas de réflexion sur l’application du PDSB, sauf durant la phase d’intégration, le suivi du programme PDSB et lors de la présence des agents de suivi, ou de la survenue d’un accident de travail. Sinon, l’intensité de la charge de travail et le respect des balises temporelles créent une routine qui intègre une diversité de stratégies de régulation des temporalités, complexifiant l’appropriation et l’application du PDSB.

Deux recommandations transversales doivent être mentionnées. Il est établi que toute proposition de bonification de la formation PDSB doit prendre en considération l’existence de l’intensité de la charge de travail et de balises temporelles provoquant la routine organisationnelle et l’usage de stratégies de régulation des temporalités. Il est utile d’indiquer qu’un arrimage entre la méthode d’application de la formation et la réalité organisationnelle des PAB est fondamental pour la réussite du PDSB. La seconde perspective concerne la valorisation des PAB et leur participation aux décisions organisationnelles des CHSLD qui les concernent directement. Les établissements doivent permettre aux PAB de donner leur point de vue sur les éventuels enjeux qu’ils vivent dans l’organisation, relatifs notamment aux difficultés de mettre en application les savoirs issus des formations.

Abstract

Patient attendants (PABs, for préposes aux bénéficiaires) are responsible for carrying out all activities that involve assisting patients in residential and long-term care centres (CHSLDs) in Québec. They serve a vital function in the CHSLDs, at a time when the aging population is growing, the physical and cognitive problems of residents are worsening, and the task of meeting their needs is becoming increasingly complex. PABs also constitute a vulnerable occupational category in the health and social services sector in Québec, particularly in terms of occupational health and safety (OHS). They represent the occupation at the greatest risk of sustaining occupational injuries in this sector and account for a large number of sick leave days attributable to musculoskeletal disorders (MSDs) or psychological problems.

More specifically, it is often a question of “lack of time” that PABs cite when they are asked about the concrete issues they face in their work. They mention first and foremost their inability to establish quality interpersonal relations with residents. Their difficulty stems from having to meet the hard-to-reconcile objectives of the CHSLDs, namely, administering all the required daily care to residents while also ensuring quality services. Several recent studies mention that, to reconcile these apparently contradictory objectives, PABs try to regulate their work pace by developing and applying specific strategies, so-called “time constraint regulation strategies.” They use these strategies as a means of speeding up their work pace and successfully completing a specific number of tasks within a limited timeframe. According to the literature, far from applying the practices they learned during training in their real work environment, PABs are more likely to collectively create strategies for regulating time constraints that were not taught during their initial training.

However, a training program exists that was developed by the Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS) and is designed to pass on to all PABs useful and effective practices for preventing occupational injuries. The name of this training program is Principes de déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB) [safe patient handling principles]. The aim of this research project was to determine whether the time constraint regulation strategies created and used by PABs in fact limit their uptake and general application of the principles taught in the PDSB program, particularly among the least experienced PABs. The hypothesis formulated was that these strategies have a major impact on PABs’ work and are largely the result of the time constraints imposed by the care team (nurses, nurses’ aides, etc.) and the other departments of the CHSLD (recreational services, food services, etc.).

This qualitative study involved conducting 22 semi-structured interviews with various stakeholders in CHSLDs (PABs, union representatives, preventionists, nurses’ aides, nurses, unit heads, administrative managers), as well as observation and self-confrontation sessions with inexperienced PABs, in three different CISSS/CIUSSS (integrated health and social service centres/integrated university health and social services centres).

The general finding of this study was that the way the work is organized clearly complicates PABs’ uptake and application of the principles taught in the PDSB program. Several contributing factors were identified. First, workload intensification leads to a tight work routine and has to do with the presence of time constraints, i.e. greater concern with productivity than with OHS in order to reduce the cognitive workload associated with the fact of having to “finish on time.” In this sense, PABs regard OHS more as a psychological health issue associated with needing to be able to meet the workload objectives that have been set; success in doing so is considered a sign of competence. Second, there are insufficient organizational and physical resources available to allow mastery of the PDSB-related issues, namely, inadequate time for integrating recruits, lack of work spaces and equipment, and lack of support from superiors. The third factor identified concerns the low participation of PABs in the work organization process, even though their participation could reduce conflicts between productivity issues, interpersonal relations issues, and OHS issues. The fourth and last factor is the fact that administrative managers delegate the responsibility for PDSB training to PABs via unit heads, nurses, and nurses’ aides. From the managers’ perspective, the PABs become individually responsible for assimilating and applying the principles taught in the PDSB program, regardless of the organizational constraints associated with this responsibility.

PABs’ practices are not totally devoid of the principles taught in the PDSB program. The PABs draw on some of the knowledge acquired in the program to perform their various manoeuvers and activities. However, it appears clear that in the context of their activities, they have little time to think about the instructions given about implementing the principles taught in the program, mainly due to the work pace they say they are obliged to maintain. They also bemoan the fact that there is no time to reflect on the application of the principles taught in the program other than during the integration phase, during PDSB program follow-up, and when follow-up agents are present or a work accident occurs. Otherwise, the workload intensity and the obligation to respect time constraints create a routine that incorporates a variety of time constraint regulation strategies, in turn complicating the uptake and application of the principles taught in the PDSB program.

Two cross-cutting recommendations emerged from the study. First, any proposed enhancement to the PDSB training program must take into account the intensity of the PABs’ workload and the presence of time constraints that result in an organizational routine and the use of time constraint regulation strategies. It should be pointed out that a good fit between the training provided and the organizational reality faced by PABs is key to the success of the PDSB training program. The second recommendation concerns the need to place value on PABs and to have them participate in the CHSLDs’ organizational decisions having direct impact on them. These establishments must give PABs the opportunity to express their viewpoints on issues they may potentially face in their work environment, primarily regarding their difficulties in applying the knowledge acquired during training.

ISBN

9782896319770

Mots-clés

Programme de formation, Training program, Gestion du temps, Time management, Soulèvement des charges, Manual lifting, Hébergement institutionnel, Institutionalisation, Travail d'équipe, Teamwork, Conditions de travail, Conditions of work, Relations humaines, Human relations, Enquête par entrevue, Interview survey, Observation de courte durée, Short-term study, Manutention manuelle, Manual handling, Méthode de travail et sécurité, Safe working method, Aide-soignant, Nurse aide, Québec, Principe de déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB), Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales

Numéro de projet IRSST

2014-0029

Numéro de publication IRSST

R-998

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