Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2016

Langue

Français

Résumé

L’exposition aux pyréthrinoïdes est une préoccupation croissante en milieu de travail. Cette classe de pesticides est maintenant abondamment utilisée en agriculture dans toute une variété de cultures et tend à remplacer les insecticides organophosphorés. Bien qu’utilisés comme insecticides en raison de leur action neurotoxique, ils peuvent causer ces mêmes effets chez les humains. L’exposition à ces insecticides a aussi été reliée à des changements immunitaires et endocriniens. Les travailleurs peuvent être largement exposés aux pyréthrinoïdes lors d’épandage ou de travaux dans des zones traitées. Par contre, il n’est pas toujours évident de déterminer les doses réellement absorbées en milieu de travail étant donné les conditions d’exposition variées et potentiellement combinées notamment par les voies respiratoires et cutanées auxquelles les agriculteurs font face. La surveillance biologique par la mesure urinaire de métabolites est maintenant reconnue par la communauté scientifique comme une approche privilégiée pour évaluer l’exposition à ce type de produit. L’interprétation des données de surveillance biologique nécessite toutefois une bonne connaissance du devenir (comportement toxicocinétique) de la substance d’intérêt dans l’organisme humain afin de pouvoir faire le lien entre les niveaux de biomarqueurs chez les travailleurs et les doses réellement absorbées. Dans le cas des pyréthrinoïdes, les données cinétiques humaines et l’exposition réelle des travailleurs demeurent deux aspects encore très peu documentés. L’objectif général du présent projet était de raffiner, de valider et d’appliquer une approche toxicocinétique pour l’évaluation de l’exposition aux pyréthrinoïdes chez les travailleurs agricoles.

Ce projet s’est décliné en trois volets : 1) une étude cinétique contrôlée chez des volontaires exposés de façon aiguë à une faible dose (dose de référence orale) de deux des pyréthrinoïdes les plus utilisés, la perméthrine et la cyperméthrine; 2) le raffinement d’un modèle toxicocinétique pour ces pyréthrinoïdes, à l’aide des données de l’étude cinétique contrôlée, et visant à servir d’outil privilégié pour reconstituer les doses absorbées chez les travailleurs; 3) une étude de surveillance biologique chez des travailleurs agricoles (culture légumière) suivant un épisode d’exposition aux pyréthrinoïdes et reconstruction des doses absorbées à l’aide de la modélisation toxicocinétique et de mesures urinaires sériées.

L’étude chez des volontaires exposés de façon contrôlée aux pyréthrinoïdes a permis d’acquérir de nouveaux profils urinaires et sanguins pour combler des incertitudes dans un modèle toxicocinétique de la perméthrine et de la cyperméthrine. La modélisation a confirmé que les paramètres cinétiques étaient similaires pour ces deux substances. Un modèle unique a donc pu être utilisé afin de prédire les profils temporels tant de la perméthrine que de la cyperméthrine et de leurs métabolites suivant différentes voies d’exposition uniques ou combinées (voies orale, cutanée ou respiratoire) et divers scénarios temporels d’exposition (uniques ou répétés, continus ou intermittents). Cette modélisation suggère également que le modèle pourrait être adapté pour simuler la cinétique d’autres pyréthrinoïdes et leurs métabolites et ainsi servir d’outil générique pour reconstruire les doses absorbées et prédire les voies principales d’exposition pour un ensemble de pyréthrinoïdes.

L’étude chez les travailleurs agricoles a par ailleurs permis de mieux caractériser les profils temporels urinaires typiques de biomarqueurs d’exposition à la perméthrine et à la cyperméthrine chez des agriculteurs en culture légumière au Québec, selon les tâches effectuées (épandage, inspection, cueillette, désherbage), et évaluer la variabilité intra et intersujets. Elle a également conduit à cerner certains facteurs pouvant avoir un impact sur les niveaux biologiques observés et à documenter des stratégies d’échantillonnage appropriées pour la biosurveillance en routine. En particulier, la tâche professionnelle principale était un prédicteur des niveaux de biomarqueurs d’exposition observés. Les applicateurs de pesticides présentaient généralement des valeurs biologiques plus élevées que les travailleurs effectuant des tâches telles que le désherbage, la récolte ou l'inspection des champs. Une attention particulière devrait donc être portée à ce premier groupe de travailleurs agricoles dans des études futures ou pour le suivi en routine. Néanmoins, les résultats obtenus montrent également qu’un travail dans une zone traitée (inspection, cueillette ou désherbage) peut accroître l’exposition aux pyréthrinoïdes, ce qui indique que les pratiques de travail ainsi que le port d’équipement de protection individuelle devraient être évalués de façon plus systématique pour l’ensemble des agriculteurs.

Les données biologiques recueillies dans le présent travail montrent aussi l’importance de mesurer plusieurs métabolites, en particulier le trans-DCCA et le 3-PBA, et d'effectuer des collectes sériées pour bien établir le niveau d’exposition professionnelle, les voies d’exposition principales ainsi que les doses absorbées correspondantes chez des individus ciblés. Basée sur les profils temporels de DCCA et de 3-PBA observés chez les volontaires et les travailleurs les plus exposés, l’alternative pour le suivi biologique en routine au sein d’un groupe ou pour la comparaison des niveaux entre groupes d’exposition homogènes, serait d’effectuer une collecte urinaire préexposition (après une période d’au moins 48 h sans exposition au pesticide) ainsi qu’une collecte en fin de quart de travail après le début d’un épisode d’exposition suivie d’une collecte de la première urine du matin suivant. Cela permettrait, en premier lieu, d’obtenir des niveaux de base d’exposition puis, en second lieu, de cibler les niveaux d'excrétions maximales postexposition, étant donné que les profils observés chez les volontaires présentaient un pic quelques heures après l’exposition et que ceux des travailleurs les plus exposés montraient une excrétion maximale atteinte 18 à 32 h suivant le début d'une période d'application ou de travail dans une zone traitée.

La modélisation toxicocinétique effectuée dans ce travail s’est aussi avérée utile pour inférer sur les voies d’exposition principales chez les travailleurs et établir les doses absorbées correspondantes à partir d’ajustements aux profils urinaires observés chez les travailleurs. Elle a en particulier montré que l’exposition orale aux pyréthrinoïdes par inadvertance et associée au travail devrait faire l’objet d’une évaluation plus détaillée, ce qui est directement relié aux pratiques et à l’hygiène de travail. La modélisation a de plus été utilisée pour dériver des valeurs de référence biologiques à ne pas dépasser pour prévenir des effets sur la santé. Bien que plusieurs travailleurs aient présenté des niveaux biologiques supérieurs aux concentrations observées dans la population générale canadienne, ces valeurs étaient toutes en dessous de ces seuils à ne pas dépasser pour limiter les risques d’effets sur la santé. Il en était de même lorsque les doses absorbées reconstruites à l’aide du modèle ont été comparées à des doses de référence absorbées à ne pas dépasser pour prévenir des effets sur la santé (soit la dose absorbée correspondant à la dose de référence [RfD]) établie par l’US Environmental Protection Agency ou la « Acceptable Operator Exposure Level » [AOEL]) établie par la Commission européenne).

Abstract

Pyrethroid exposure is of mounting concern in the workplace. This class of pesticides is now extensively used in agriculture on a wide variety of crops and is replacing organophosphorus insecticides. Pyrethroids are used because of their neurotoxic effect on insects, but they can cause the same effects in humans. Exposure to these insecticides has been linked to changes to the immune and endocrine systems. Workers may be heavily exposed to pyrethroids when spreading the insecticide or working in treated areas. However, it is not always easy to determine the doses that are actually absorbed in the workplace, given the varied and potentially combined exposure conditions, notably through the respiratory tract and skin, to which agricultural workers are exposed. Biological monitoring using urinary measurements of metabolites is now recognized by the scientific community as the best approach to assess exposure to that type of product. However, the interpretation of biological monitoring data requires thorough knowledge of what happens (toxicokinetic behaviour) to the priority substance in the human organism in order to make a link between biomarker levels in workers and the doses that have actually been absorbed. In the case of pyrethroids, human kinetic data and actual exposure of workers remain two aspects that are still not well documented. The general objective of this project is to refine, validate and apply a toxicokinetic approach to assess pyrethroid exposure in agricultural workers.

This project was divided into three parts: (1) a controlled kinetic study using volunteers acutely exposed to a low dose (standard oral dose) of two of the most commonly used pyrethroids, permethrin and cypermethrin; (2) refining a toxicokinetic model for these pyrethroids using data from the controlled kinetic study, to be used as a front-line tool to reconstitute the doses absorbed in workers; (3) biological monitoring of agricultural workers (vegetable crops) following an episode of pyrethroid exposure and reconstruction of the doses absorbed using toxicokinetic modelling and serial urinary measurements.

The study of volunteers exposed to pyrethroids in a controlled manner made it possible to acquire new urinary and blood profiles to reduce uncertainty in a toxicokinetic model of permethrin and cypermethrin. The modeling confirmed that the kinetic parameters were similar for both substances. A single model was therefore used to predict temporal profiles for both permethrin and cypermethrin metabolites following different single or combined exposure pathways (oral, dermal or respiratory routes) and various temporal exposure scenarios (single or repeated, continuous or intermittent). The modeling also suggests that the model could be adapted to simulate the kinetics of other pyrethroids and their metabolites and thus serve as a generic tool to reconstruct the doses absorbed and predict the main exposure pathways for all pyrethroids.

The study of agricultural workers also enabled us to better characterize the temporal urinary profiles typical of biomarkers of exposure to permethrin and cypermethrin in agricultural workers involved in vegetable production in Québec, according to their tasks (spreading, inspection, harvesting, weeding), and to assess intra-and inter-subject variability. It also led to pinpointing certain factors that could have an impact on the biological levels observed and to document appropriate sampling strategies for routine biomonitoring. In particular, the primary work task was a predictor of the levels of biomarkers of exposure observed. Pesticide applicators generally presented with higher biological values than workers doing tasks such as weeding, harvesting or inspecting the fields. Special attention should therefore be paid to this first group of agricultural workers in future studies or for routine follow-up. Nevertheless, the results also show that working in a treated area (inspection, harvesting or weeding) could increase pyrethroid exposure, which indicates that working practices, as well as the wearing of individual protection equipment, should be more systematically assessed for all agricultural workers.

The biological data gathered in this study also shows the importance of measuring a number of metabolites, in particular, trans-DCCA and 3-PBA, and to carry out serial collections to establish the level of work-related exposure, the main exposure routes and the corresponding doses absorbed by the targeted individuals. Based on the temporal profiles of DCCA and 3-PBA observed in the volunteers and the most exposed workers, the alternative for routine biological monitoring within a group or to compare the levels among homogeneous exposure groups would be to collect urine pre-exposure (after at least 48 hours without pesticide exposure) and to collect it again at the end of the work shift after the start of exposure, followed by collection of the first urine the next morning. This would enable an exposure baseline level to be drawn, and would make it possible to identify the maximal post-exposure excretion levels, given that the profiles observed in the volunteers showed a peak a few hours after exposure and that those of the most exposed workers showed that maximal excretion was reached 18 to 32 hours after the start of a period of application or work in a treated area.

The toxicokinetic modeling done for this study has proven useful for making inferences about the main exposure routes in workers and for establishing the corresponding doses absorbed by adjusting the urinary profiles observed in these workers. In particular, it showed inadvertent work-related oral exposure to pyrethroids should be more closely evaluated as it is directly related to work practices and hygiene. The modeling was also used to derive the biological reference values that must not be exceeded to prevent adverse health effects. Although several workers presented with biological levels that were higher than the concentrations observed among the general Canadian population, these values were all below the thresholds not to be exceeded to limit health risks. The same was true when the absorbed doses reconstructed with a model were compared to the standard absorbed doses not to be exceeded to prevent adverse health effects (i.e., the absorbed dose corresponding to the standard dose established by the US Environmental Protection Agency or the “Acceptable Operator Exposure Level” (AOEL)) established by the European Commission.

ISBN

9782896318933

Mots-clés

Pyréthroïdes, Pyrethroids, Toxicocinétique, Toxicokinetics, Travaux agricoles, Agriculture operation, Pesticide, Voie de pénétration, Route of entry, Dosage dans l’urine, Determination in urine, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Neurotoxicologie, Neurotoxicology, Conditions d'exposition, Conditions of exposure, Effet biologique, Biological effect, Permethrine, Permethrin, CAS 52645531, Cypermethrine, Cypermethrin, CAS 52315078, Essai clinique, Clinical trial, Pyréthrinoïdes

Numéro de projet IRSST

2010-0009

Numéro de publication IRSST

R-936

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