Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2022

Langue

Français

Résumé

En raison de l’utilisation croissante de composants et d’appareils électriques et électroniques, de même que de leur durée de vie relativement courte, la quantité de matières résiduelles électroniques ne cesse d’augmenter. Conséquemment, le nombre d’entreprises spécialisées dans le recyclage électronique (e-recyclage) est en nette croissance au Québec, comme ailleurs dans le monde. Ces entreprises emploient des travailleurs qui ont pour tâche de démonter les appareils afin d’en trier les composants qui seront subséquemment valorisés ou éliminés de manière sécuritaire. Ces tâches peuvent cependant entraîner l’exposition des travailleurs à un mélange de substances potentiellement toxiques, comprenant entre autres des poussières, des métaux et des ignifuges. Certains métaux sont cancérogènes, comme l’arsenic, le cadmium ou le nickel. De plus, le cadmium, le plomb et le mercure, ainsi que plusieurs ignifuges bromés, organophosphorés et chlorés peuvent agir sur les hormones et sont considérés comme étant des « perturbateurs endocriniens ». L’objectif de cette recherche est d’évaluer l’exposition des travailleurs aux poussières, aux métaux et aux ignifuges dans des entreprises de e-recyclage primaire au Québec ainsi que d’apprécier le niveau de risque sanitaire pouvant en découler.

Dans le cadre d’une étude transversale, des prélèvements d’air en poste personnel ont été réalisés au cours de deux quarts de travail complets pour 85 travailleurs dans six entreprises de recyclage électronique ainsi que pour 15 travailleurs œuvrant dans le recyclage commercial (groupe témoin). Des prélèvements d’urine et de sang ont aussi été recueillis en fin de quart auprès de ces mêmes travailleurs, qui ont également répondu à un court questionnaire sur leurs habitudes de vie et sur leur statut sociodémographique. Les concentrations de quatorze métaux et de quarante ignifuges ont été mesurées dans les échantillons d’air, alors que les concentrations de neuf métaux et de vingt-sept ignifuges ont été mesurées dans les liquides biologiques. Dix hormones ont été mesurées dans le sang des travailleurs afin d’évaluer leur association avec les niveaux d’exposition aux perturbateurs endocriniens. Finalement, les pratiques relatives à la santé et à la sécurité du travail ont été documentées par des entrevues dirigées, menées auprès d’une trentaine de travailleurs et de gestionnaires.

Dans les entreprises de recyclage électronique, les concentrations de poussières en poste personnel représentaient, en moyenne, de 4 à 14 % de la valeur limite d’exposition de 10 mg/m³ en vigueur au Québec. L’exposition aux poussières serait principalement due à une remise en suspension de particules assez grosses qui avaient préalablement été déposées sur le sol ou sur les tables de travail durant les activités de démantèlement, de nettoyage, de lancers et dépôts brutaux de déchets d’équipements électriques et électroniques, ou encore lors de la manipulation de bacs ou de bennes. La concentration aérienne en poussières était associée à la taille des entreprises; les entreprises de plus grande taille, ayant un volume d’exploitation plus grand et une cadence de travail plus rapide, présentaient les concentrations les plus élevées.

Les métaux détectés le plus fréquemment dans l’air des installations de e-recyclage étaient le plomb (73 à 100 % des prélèvements), le cadmium (18 à 94 %) et le cuivre (50 à 94 %). L’exposition par voie aérienne se reflétait partiellement dans les fluides biologiques des travailleurs, où les valeurs de plomb sanguin ont atteint chez certains travailleurs jusqu’à la moitié de l’indice biologique d’exposition en vigueur, et où le cadmium a été détecté dans le sang de 86 à 100 % des travailleurs.

L’analyse des prélèvements d’air a également mis en évidence des concentrations d’ignifuges relativement élevées, avec une concentration en décabromodiphényléther (BDE209) plus élevée que toutes les valeurs publiées à ce jour (moyenne géométrique [MG] : 5100 ng/m³). Les tâches de compactage et de démantèlement étaient respectivement associées à des expositions en moyenne de 1,4 à 2,2 fois plus élevées que celle de supervision. Finalement, les concentrations sanguines de BDE209 (MG : 18 ng/g de lipides) chez les travailleurs du recyclage électronique étaient plus élevées que chez ceux du recyclage commercial (MG : 1,7 ng/g de lipides).

Le niveau de risque sanitaire associé à l’exposition à des métaux dans le e-recyclage a montré une exposition concomitante au manganèse, au plomb et au mercure, indiquant un potentiel d’atteinte neurotoxique ou néphrotoxique pour certains travailleurs. Quant aux effets endocriniens liés à l’exposition aux ignifuges et à certains métaux, une diminution statistiquement significative de la testostérone libre et totale pour un doublement de la concentration de tb-TPhP (métabolite d’ignifuge organophosphoré), et une augmentation statistiquement significative de l’estradiol pour un doublement de la concentration de o-iPr-DPhP (un autre métabolite d’ignifuge organophosphoré) ont été mis en évidence chez les travailleurs masculins.

La taille de l’entreprise était le facteur le plus influent sur les niveaux d’exposition des travailleurs, tant aux poussières et aux métaux qu’aux ignifuges. De plus, les tâches de démantèlement manuel et d’opération du compacteur exposaient les travailleurs à un plus grand éventail de substances que la tâche de superviseur.

Les travailleurs et leurs gestionnaires ont témoigné d’une certaine prise de conscience des problématiques de santé et de sécurité du travail relatives au e-recyclage. Cependant, les pratiques préventives variaient en fonction de la mission sociale et de la stratégie de recrutement des entreprises. De façon plus particulière, le port et la disponibilité des équipements de protection individuelle étaient souvent déficients, de même que l’accès à une formation appropriée à l’entrée dans l’emploi. Qui plus est, un lien d'emploi souvent précaire, des réseaux de soutien inadéquats et la privation matérielle placent la majorité de ces travailleurs dans une position de vulnérabilité face à la santé et à la sécurité du travail.

Ce rapport émet quelques recommandations quant aux conditions de travail, aux aspects réglementaires de surveillance, ainsi qu’au regard des besoins en recherche dans le milieu du e-recyclage. Ainsi, des efforts devraient être déployés pour diminuer l’exposition des travailleurs aux poussières en suspension, tant par la mise en place de procédures de nettoyage assidues et par l’adoption de pratiques de travail minimisant les projections, que par le déploiement et le port adéquat d’appareils de protection respiratoire. De plus, étant donné la présence de plomb dans l’air et dans le sang de plusieurs travailleurs, une surveillance biologique annuelle doit être mise en place si elle n’est pas déjà instaurée.

Abstract

Due to the increasing use of electric and electronic components and devices, and their relatively short life cycle, electronic waste is steadily mounting. To deal with it, the numbers of companies specialized in electronic waste recycling (e-recycling) are on the rise in Québec, as they are in other parts of the world. These companies employ workers who dismantle devices in order to sort through the components that subsequently will be recovered or disposed of safely. However, these tasks can lead to workers becoming exposed to a mix of potentially toxic substances, including dust, metal and fire retardants. Some metals, such as arsenic, cadmium and nickel, are carcinogenic. In addition, cadmium, lead and mercury, as well as several bromated, organophosphate and chlorinated flame retardants, can also act on hormones and are regarded as endocrine disruptors. The objective of this research is to determine workers’ exposure to dust, metals and flame retardants in primary e-recycling companies in Québec and to assess the level of health risk that may arise from it.

As part of a transversal study, personal air samples were taken from 85 employees at six electronic recycling companies during two complete work shifts, as well from 15 commercial recycling employees (comparison group). At the end of the shifts, urine and blood samples were also collected from these workers, who answered a short questionnaire about their lifestyles and sociodemographic status. Concentrations of 14 metals and 40 flame retardants were measured in the air samples, while concentrations of nine metals and 27 flame retardants were measured in biological fluids. Ten hormones were measured in the workers’ blood to assess their association with endocrine disruptor exposure levels. Finally, occupational health and safety practices were documented through structured interviews conducted with some 30 workers and managers.

In electronic recycling companies, dust concentrations at workstations were, on average, between 4 to 14% of the exposure limit value of 10 mg/m3 in force in Québec. Dust exposure is mainly due to the resuspension of fairly large particles that had previously settled on the floor or work tables when electric or electronic waste is being dismantled, cleaned, thrown around or slammed down, or during the handling of bins or containers. Airborne dust concentration was associated with company size; larger companies with a greater production volume and a more rapid work pace had the highest concentrations.

The most frequently detected metals in the air at e-recycling facilities were lead (73 to 100% of samples), cadmium (18 to 94%) and copper (50 to 94%). Airway exposure was partially reflected in the biological fluids of workers, where blood lead values in some workers were as high as half the biological exposure index in effect, and where cadmium was detected in the blood of 86 to 100% of the workers.

Air sample analysis also revealed relatively high concentrations of flame retardants, with a higher concentration of decabromodiphenyl ether (BDE209) than all values published to date (geometric mean [GM]: 5100 ng/m3). Baling and dismantling tasks were associated with exposures averaging 1.4 to 2.2 times higher than supervisory tasks, respectively. Finally, blood concentrations of BDE209 (GM: 18 ng/g lipid) among electronic recycling workers were higher than those working in commercial recycling (GM: 1.7 ng/g lipid).

The level of health risk associated with metal exposure in e-recycling showed a concomitant exposure to manganese, lead and mercury, indicating potential neurotoxic or nephrotoxic impairment for some workers. With respect to endocrine effects related to exposure to flame retardants and certain metals, a statistically significant decrease in free and total testosterone for a doubling of the concentration of tb-TPhP (a metabolite of organophosphate flame retardants) and a statistically significant increase in estradiol for a doubling of the concentration of o-iPr-DPhP (another metabolite of organophosphate flame retardants) was seen in male workers.

Company size was the factor that most influenced workers’ exposure levels to dust, metals and flame retardants. In addition, the tasks of manual dismantling and baler operation exposed workers to a wider range of substances than supervision tasks.

Workers and their managers were somewhat aware of occupational health and safety issues pertaining to e-recycling. However, preventive practices varied, depending on the companies’ social mission and recruitment strategy. In particular, the wearing and availability of personal protective equipment was often deficient, as was access to appropriate training upon job entry. Moreover, an often precarious employment relationship, inadequate support networks and material deprivation place most of these workers in a vulnerable position in terms of occupational health and safety.

This report makes some recommendations about work conditions, the regulatory aspects of monitoring and research needs in the e-recycling sector. Efforts should be made to reduce employee exposure to airborne dust, both by implementing diligent cleaning procedures and adopting work practices that minimize its displacement, and by utilizing and correctly wearing respiratory protection devices. Furthermore, given the presence of lead in the air and the blood of several workers, annual biological monitoring should be implemented if it is not already in place.

ISBN

9782897972264

Mots-clés

Recyclage, Recycling, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Risque d'atteinte à la santé, Health hazard, Substance toxique, Toxic substance, Poussière, Dust, Métaux, Metals, Ignifugation, Flame retardant treatment, Échantillonnage et analyse, Sampling and analysis, Substance cancérogène, Carcinogen, Effet neuro-endocrinien, Neuro-endocrine effect, Organisation de la prévention dans l'entreprise, Plant safety and health organisation, Conditions de travail, Conditions of work, Recommandation, Directive

Numéro de projet IRSST

2015-0083

Numéro de publication IRSST

R-1155-fr

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