Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2022

Langue

Français

Résumé

Problématique. Les travailleurs des services de protection de l’enfance sont exposés de manière répétée à des événements potentiellement traumatiques (EPT) dans le cadre de leur travail, notamment des actes de violence. Ils sont ainsi susceptibles de développer des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, l’insomnie, la dépression et des symptômes de stress post- traumatiques. Sur le plan professionnel, les EPT engendrent des coûts élevés pour l’individu et l’organisation : baisse de la satisfaction au travail, absentéisme, changement d’emploi, baisse de productivité, etc. Dans ce contexte, le Centre de la protection de l’enfance et de la jeunesse (CPEJ) du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal a mis en place un protocole d’intervention post- traumatique (IPT) impliquant une équipe de pairs aidants formés pour offrir du soutien aux employés touchés par un EPT.

Objectifs de l’étude. La présente étude comprend quatre objectifs : 1) comparer les effets de l’IPT en plus du soutien usuel (c.-à-d., soutien des collègues et du superviseur, et référence au programme d’aide aux employés) au soutien usuel uniquement sur les symptômes psychologiques et le fonctionnement professionnel des travailleurs exposés à un EPT ; 2) identifier les prédicteurs de l’état psychologique et du fonctionnement professionnel chez les travailleurs exposés à un EPT ; 3) explorer les motifs du recours et du non-recours à l’IPT chez les travailleurs exposés à un EPT ; et 4) explorer les besoins de soutien des travailleurs exposés à un EPT.

Méthodologie. Les participants étaient des travailleurs récemment exposés à un EPT au travail provenant des CPEJ du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et de la Montérégie-Est. La vaste majorité des EPT rapportés (96 %) impliquaient l’exposition à des comportements agressifs de la part des jeunes ou de leurs parents. Les participants ont rempli un ensemble de questionnaires en ligne à quatre reprises, soit à l’intérieur d’un mois suivant leur EPT (176 travailleurs), deux mois après l’EPT (168 travailleurs), six mois après l’EPT (162 travailleurs), et 12 mois après l’EPT (161 travailleurs). Les questionnaires incluaient des mesures sur les rôles de genre, les symptômes psychologiques, le fonctionnement au travail et le soutien perçu. Soixante-quatre participants ont également pris part à une entrevue individuelle portant sur les motifs du recours ou du non-recours à l’IPT (pour les participants de Montréal) et sur les besoins de soutien.

Résultats. Pour le premier objectif, les participants ont été divisés en trois groupes : 1) les participants de Montréal qui ont eu recours à l’IPT, 2) les participants de Montréal qui n’ont pas eu recours à l’IPT, et 3) les participants de Montérégie-Est, où aucun programme de soutien par les pairs spécialisé en post-trauma n’était offert. Au Temps 1, les participants du groupe de Montréal avec IPT et ceux de la Montérégie-Est présentaient davantage de symptômes de stress aigu et un plus haut taux d’absentéisme comparativement aux participants du groupe de Montréal sans IPT, suggérant qu’ils étaient davantage affectés par leur EPT. Peu importe le temps de mesure, il n’y avait aucune différence significative entre les participants du groupe avec IPT et ceux des deux autres groupes pour les autres variables de santé mentale et de fonctionnement professionnel. Dans l’ensemble, ces résultats ne supportent pas la supériorité de l’IPT en plus du soutien usuel comparativement au soutien usuel seul.

Concernant le deuxième objectif, certaines variables de travail potentiellement modifiables prédisaient la sévérité des symptômes psychologiques, une faible productivité au travail et/ou la qualité de vie professionnelle durant l’année suivant l’exposition à un EPT. En particulier, la confiance en sa capacité à composer avec l’agressivité des usagers et le degré auquel le travail était perçu comme étant sécuritaire étaient des facteurs de protection, alors que les demandes psychologiques liées au travail (p. ex. la charge de travail) constituaient un facteur de risque. En outre, les travailleurs qui vivaient davantage de détresse psychologique suivant leur EPT étaient plus à risque d’être (ré-) exposés à des comportements agressifs au travail deux mois plus tard.

Concernant le troisième objectif, les entrevues dans le groupe de Montréal avec IPT ont révélé plusieurs conséquences négatives des EPT sur la santé psychologique, lesquelles peuvent constituer un motif important pour recourir à l’IPT. Néanmoins, pour certains, le recours à l’IPT était davantage d’ordre préventif. Être encouragé à utiliser l’IPT par un collègue (directement ou par l’exemple) ou avoir déjà utilisé l’IPT était d’autres facteurs pouvant motiver le recours à l’IPT. Les participants qui ont eu recours à l’IPT ont rapporté plusieurs bénéfices de leur(s) rencontre(s) avec un pair aidant. Concernant les motifs du non-recours à l’IPT, les participants ont rapporté un manque d’utilité perçue, ou encore l’accès à d’autres sources de soutien (superviseur, collèges, conjoint, psychologue). D’autres participants n’ont pas eu recours à l’IPT, car ce service n’a pas été offert par le superviseur ou encore parce qu’ils manquaient d’information.

En ce qui a trait au quatrième objectif, d’après l’analyse des entrevues dans les trois groupes, les participants ont exprimé le besoin d’être soutenus par leur superviseur et leurs collègues. Dans les semaines et les mois qui ont suivi l’EPT, plusieurs travailleurs ont manifesté leur intérêt à recevoir du soutien émotionnel de la part de leur superviseur et un temps d’échange pour apprendre de l’EPT. En ce qui concerne le soutien des collègues, en plus du besoin de validation et de bienveillance, les participants ont fait mention de besoins de soutien concrets (p. ex. dans la gestion des jeunes agressifs) et informationnels (p. ex. se faire encourager à recourir à de l’aide). Les participants ont nommé que la reconnaissance des difficultés par les collègues était une condition nécessaire afin d’apprécier les efforts de soutien. Malheureusement, plusieurs participants n’ont pas bénéficié du soutien attendu de la part du superviseur ou des collègues en raison d’un manque de temps dus aux conditions de travail.

Conclusion. Cette étude confirme qu’une proportion importante des travailleurs exposés à des EPT présentent des difficultés psychologiques. Bien que le soutien du superviseur et des collègues puisse aider les travailleurs à composer avec les conséquences d’un EPT, des barrières organisationnelles (p. ex. charge de travail élevée) briment ce soutien. Dans un tel contexte, l’IPT dans sa forme actuelle doit être bonifiée afin d’être une mesure de soutien efficace.

Abstract

Issue: Child protection workers are repeatedly exposed to potentially traumatic events (PTE) in the course of their work, including acts of violence. As a result, they are likely to develop mental health problems such as anxiety, insomnia, depression and post-traumatic stress symptoms. The occupational consequences of PTE have high costs for the individual and the organization: reduced job satisfaction, absenteeism, job changes, lower productivity, etc. In this context, the Centre-Sud-de-l’Île de Montréal Child and Youth Protection Centre implemented a post-traumatic intervention protocol (PTI) involving a team of peer helpers trained to provide support to employees affected by a PTE.

Study objectives: This study has four objectives: (1) to compare the effects of a PTI in conjunction with conventional support (i.e., support from coworkers and supervisors, referral to an employee assistance program) to conventional support alone on psychological symptoms and the occupational functioning of workers exposed to a PTE; (2) to identify the psychological status and occupational functioning predictors in workers exposed to a PTE; (3) to explore the reasons that workers exposed to PTEs underwent or did not undergo a PTI; and (4) to explore the support needs of workers exposed to a PTE.

Methodology: The participants were workers from the Centre-Sud-de-l’Île de Montréal and the Monterégie-Est child and youth protection centres who had been recently exposed to PTEs at work. The vast majority of PTEs reported (96%) involved exposure to aggressive behaviours by youth or their parents. The participants completed a set of online questionnaires on four occasions: within one month of the PTE (176 workers), two months after the PTE (168 workers), six months after the PTE (162 workers), and 12 months after the PTE (161 workers). The questionnaires included measurements of gender roles, psychological symptoms, functioning at work and perceived support. Sixty-four participants also took part in individual interviews on their reasons for undergoing or not undergoing a PTI (for the Montréal participants) and on support needs.

Results: For the first objective, the participants were divided into three groups: (1) the participants from Montréal who underwent a PTI; (2) the participants in Montréal who did not undergo a PTI; and (3) the participants in Monterégie-Est where no specialized post-traumatic peer-support program was offered. In Time 1, participants in the Montréal group with PTI and those in Monterégie-Est had more acute stress symptoms and a higher level of absenteeism than participants in the Montréal group without PTI, suggesting that they were more affected by their PTE. Regardless of the measurement time, there were no significant differences between participants in the PTI group and those of the two other groups for other mental health and occupational functioning variables. Overall, these results did not support the superiority of PTI plus conventional support compared to conventional support alone.

With respect to the second objective, some potentially modifiable work variables predicted the severity of psychological symptoms, low work productivity and/or the quality of work life in the year following exposure to a PTE. In particular, confidence in their ability to cope with the aggressivity of clientele and the degree to which the job was perceived to be safe were protective factors, while the psychological work demands (e.g., workload) were a risk factor. In addition, workers who experienced more psychological distress after the PTE were at greater risk of being (re)-exposed to aggressive behaviour at work two months later.

With respect to the third objective, the interviews with the Montréal group who underwent a PTI revealed many negative consequences of PTEs on psychological health, which could be a significant reason for undergoing a PTI. Nevertheless, for some, undergoing a PTI was more preventive. Being encouraged to undergo a PTI by a co-worker (directly or by example) or having previously undergone a PTI were other factors that could motivate making use of a PTI. The participants who underwent a PTI reported a number of benefits in their encounter(s) with a peer helper. Regarding reasons for not undergoing a PTI, participants reported a lack of perceived usefulness, or access to other sources of support (supervisor, co-workers, spouse, psychologist). Other participants did not undergo a PTI because the service was not offered by the supervisor or because they lacked information.

With respect to the fourth objective, according to the analysis of the interviews from the three groups, participants expressed the need to be supported by their supervisor and their co-workers. In the weeks and months following the PTE, many workers expressed interest in receiving emotional support from their supervisor and time for dialogue to learn from the PTE. In terms of support from co-workers, in addition to a need for validation and goodwill, the participants mentioned needing concrete support (e.g., to deal with aggressive youth) and information (e.g., to be encouraged to seek help). The participants identified co-workers’ recognition of difficulties as a necessary condition for them to appreciate supportive efforts. Unfortunately, many participants did not receive the support they counted on from their supervisor or co-workers because of a lack of time due to the working conditions.

Conclusion: This study confirms that a significant proportion of workers exposed to PTEs experience psychological difficulties. Although support from a supervisor and co-workers can help workers cope with the consequences of a PTE, organizational barriers (e.g., high workload) interfere with this support. In such a context, PTI in its current form must be improved in order to become an effective support measure.

ISBN

9782897972493

Mots-clés

Services sociaux, Violence, Santé mentale, Mental health, Programme de prévention, Stress post-traumatique, Anxiété, Dépression, Insomnie, Comportement humain, Évaluation du risque, Hazard evaluation, Milieu du travail, Conditions de travail, Rôle de la direction, Risque d'atteinte à la santé, Effet psychologique, Participation des travailleurs, Facteur de stress, Enquête par questionnaire, Enquête par entrevue

Numéro de projet IRSST

2013-0083

Numéro de publication IRSST

R-1168-fr

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