Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2010

Langue

Français

Résumé

La recherche présentée dans ce rapport s’inscrit dans la lignée de celles qui, en ergonomie, soutiennent que concevoir des installations de production, c’est concevoir des situations de travail. Les opérateurs y travailleront dans de nouvelles conditions matérielles, d’espace, d’organisation du travail et de formation. Ils déploieront donc de nouvelles façons de faire, soit une nouvelle « activité réelle » de travail. De cette activité réelle future dépendra en grande partie l’atteinte des objectifs de production poursuivis par le projet (qualité, quantité, temps de cycle, gaspillages, etc.) mais également, les impacts sur les travailleurs (santé, sécurité, niveau satisfaction, etc.).

Le chapitre 1 avance une série d’arguments pratiques et scientifiques montrant que la pratique des ingénieurs influence fortement les situations de travail générées à l’issue de tels projets. Il apparaît donc pertinent de prendre pour objet d’étude la pratique des ingénieurs intervenant dans les projets de conception d’installations industrielles, en particulier la prise en compte, par eux, des situations de travail des opérateurs de la production et de la maintenance. Celle déployée dans le cadre de projets menés par une firme de génie conseils et un donneur d’ouvrage, sans ergonome, a retenu l’attention. L’objectif est de dégager de l’étude de cette pratique une meilleure connaissance des facteurs favorables et défavorables à la prise en compte, en cours de projets, des situations de travail des opérateurs, sous l’angle de l’efficacité et de la sécurité.

Les dispositifs méthodologiques mis en œuvre (chapitre 2) visent : 1) l’étude du contexte institutionnel québécois de la pratique du génie en lien avec la prise en compte des situations de travail en conception (obligations légales et jurisprudence, formation initiale, initiatives visant les ingénieurs en exercice,) ; 2) l’analyse de la pratique déployée dans le cadre d’un projet concret, examinée sous les angles socio-organisationnel, éthique, cognitif et ergonomique (étude de cas) ; 3) et enfin, la généralisation et la validation des résultats de ces analyses par des comités de suivi et de direction, l’étude de projets de référence chez les partenaires de l’étude de cas, un questionnaire documentant un éventail plus large de projets et de pratiques, l’examen de la littérature.

Les résultats dégagés ont trait à la tâche prescrite et comprise des concepteurs, aux niveaux institutionnel et organisationnel (chapitre 3), à leur activité cognitive (chapitre 4) et enfin, aux effets de leur activité (en termes de contribution des opérations au projet et de situations de travail générées en tant que telles) (chapitre 5).

Il ressort qu’aucune prescription institutionnelle ou organisationnelle n’oblige ni ne contribue à préparer les ingénieurs à prendre rigoureusement en compte les situations de travail en conception (par lui-même ou en interdisciplinarité avec un ergonome). Cependant, les ingénieurs, comme leurs employeurs, sont tenus :

  • légalement, de se soucier des conséquences de leur pratique sur autrui, en termes de sécurité et de qualité, une obligation de résultat qui s’accompagne d’obligations de moyens laissant place au jugement professionnel, dont celles de respecter « les règles de l’art » et d’agir dans les limites de ses compétences;
  • de concilier ces obligations légales avec les contraintes de l’exercice de leur profession en contexte organisationnel (la plupart des ingénieurs sont salariés) et de projets;
  • donc, d’intégrer des objectifs de rentabilité, de qualité, d’échéancier et de sécurité, ce qui l’amène à devoir coopérer avec une multitude d’acteurs de disciplines, de secteurs de l’entreprise et de métiers variés.
  • De fait, les ingénieurs interrogés manifestent « une sensibilité éthique » eu égard à l’impact de leurs choix sur les individus en tant qu’utilisateurs, travailleurs (santé et sécurité) ou « clients » (souci du travail bien fait). Ils vivent des dilemmes éthiques qu’ils parviennent cependant difficilement (sauf exception) à résoudre en faveur de leurs valeurs : les règles organisationnelles, plus que l’identité personnelle et professionnelle, sont priorisées. Or, s’agissant de ces règles organisationnelles, l’analyse sociologique révèle que celles qui déterminent le travail du concepteur, de façon formelle et informelle, découlent tant de la gestion du projet que de la gestion des deux entreprises (firme et donneur d’ouvrage). Certaines supportent le concepteur dans ses efforts d’intégration des objectifs de rentabilité et de sécurité; d’autres le poussent à des compromis, y compris en défaveur des situations de travail des opérateurs.

    L’analyse de l’activité cognitive des ingénieurs, quant à elle, montre comment les situations de travail sont prises en compte, en contexte, suivant que les ingénieurs sont tournés : 1) vers les opérations pour cerner leurs besoins; 2) vers la conception, pour définir le dispositif de production dont ils sont « localement » responsables; 3) vers le projet, pour arrimer leur conception locale au projet dans son ensemble. Il s’avère que les ingénieurs projettent ponctuellement l’usage des installations (production et maintenance) pour évaluer les conséquences de leurs scénarios de conception sur l’efficacité et la sécurité. Cependant, qu’ils le fassent seuls ou en coopération avec les opérations, voire directement avec des opérateurs, cette composante fonctionnelle du besoin des opérations n’est pas appréhendée de manière systématique et rigoureuse. La recherche révèle donc qu’outre la pratique des concepteurs, celle des opérations invitées à contribuer au projet est tout aussi déterminante de l’efficacité de la prise en compte des situations de travail en conception. L’effet combiné de ces pratiques a conduit à la définition de situations de travail non optimales eu égard à l’efficacité et la sécurité, et donc à l’efficience du projet.

    Les facteurs favorables ou non à la prise en compte des situations de travail dans les projets sans ergonome mis en relief (chapitre 6) sont donc relatifs : 1) aux moyens mis à disposition des concepteurs, mais également des opérations impliquées en conception ; 2) à ce qui, en amont, préside à la définition de ces moyens par les gestionnaires des projets et des entreprises. Les pistes d’action identifiées (chapitre 7) visent cette triple clientèle (concepteurs, opérations et gestionnaires) et suggèrent d’agir tant au niveau organisationnel qu’institutionnel. Une priorité devrait être accordée à sensibiliser les gestionnaires au fait qu’il y a convergence entre la prise en compte des situations de travail en conception et leurs préoccupations de concilier rentabilité (des projets et de l’exploitation des installations) et santé et sécurité. La suite de la présente recherche consistera d’ailleurs à développer un tel argumentaire, mais également des outils (guides de pratique, etc.) pour supporter, concrètement, une prise en compte des situations de travail en conception plus répandue dans les milieux organisationnels et plus efficace.

ISBN

9782896314218 (PDF)

9782896314201 (version imprimée)

Mots-clés

Génie, Engineering, Ergonomie, Ergonomics, Aménagement du travail, Work design, Conception du matériel, Design of equipment, Enseignement, Teaching, Réglementation, Regulation, Québec

Numéro de projet IRSST

0099-4450

Numéro de publication IRSST

R-636

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