Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2005
Langue
Français
Résumé
La présente étude avait deux questions de recherche principales sur le processus de prise de décision :
- A) Quel processus de décision est utilisé par l’équipe interdisciplinaire de réadaptation au travail ?
- B) Quels éléments favorisent et nuisent au consensus dans le processus de prise de décision ?
De façon secondaire, trois questions de recherche ont émergé au cours de l’étude :
- C) Sur quelles valeurs partagées par l’équipe reposent les prises de décision ?
- D) Quelles sont l’importance et la nature du partenariat dans la prise de décision ?
- E) Quelles sont les trajectoires types des travailleurs de l’étude ?
L’étude du processus de prise de décision de l’équipe a eu lieu de façon longitudinale sur des cas précis de travailleurs présentant une incapacité prolongée due à un trouble musculo-squelettique. Un devis d’observation à cas unique a été retenu: le cas était représenté par l’observation d’une équipe interdisciplinaire en réadaptation au travail lors de ses discussions hebdomadaires à propos du processus de réadaptation de 22 travailleurs. Pour l’étude des trajectoires des travailleurs, un devis à cas multiples a été retenu dont la principale unité d’analyse était l’évolution du travailleur, du début à la fin de sa participation au programme de réadaptation.
L’analyse inductive et progressive des données a permis de déterminer que le processus de décision se faisait en deux grandes étapes : la collecte d’informations et la proposition d’action. Il est apparu que si les décisions de l’équipe étaient parfois relativement simples (décision de routine), bien souvent l’équipe devait prendre des décisions d’un grand degré de complexité, nécessitant des boucles récursives entre ces étapes. Cette complexité avait plusieurs origines. D’abord, un grand nombre d’informations étaient directement reliées au dossier d’incapacité, avec des provenances très diverses : le travailleur, sa famille, son médecin, le conseiller de l’assureur et les intervenants de l’entreprise. Les informations rapportées par les membres de l’équipe pouvaient être contradictoires ou diversement interprétées. Elles relevaient des multiples décisions prises par les acteurs nommés ci-dessus et que l’équipe cherchait à influencer dans l’objectif de faciliter le retour au travail. Les attitudes de ces acteurs, déterminées par des règles qui leur étaient propres, interagissaient également l’une avec l’autre et l’équipe veillait à ce que les consensus dégagés à l’interne soient partagés par l’ensemble des partenaires.
Le consensus pouvait survenir à l'intérieur de trois groupes différents: 1) entre les membres de l'équipe interdisciplinaire, 2) entre les membres de l'équipe interdisciplinaire et le travailleur, 3) entre les membres de l'équipe interdisciplinaire et les partenaires sociaux. Cinq conditions facilitant le consensus ont été identifiées: a) l'explication claire, b) la rassurance, c) les croyances semblables, d) le partage de faits et e) les arguments concernant l'atteinte de l'objectif. À l’encontre, la confusion, les croyances, les faits et les priorités différents faisaient obstacles au consensus. Par ailleurs, l’analyse des discours a permis de dégager la perception de l’équipe des déterminants favorisant le retour au travail. Au total, onze déterminants ont été identifiés : a) progression, b) dosage, c) collaboration du médecin, d) collaboration de la CSST, e) collaboration de l’employeur, f) collaboration sur les plateaux de travail, g) temps, h) désirs du travailleur, i) capacités du travailleur, j) confiance et k) positivité.
Bien que la diversité disciplinaire des membres de l’équipe et des partenaires sociaux pouvait rendre parfois difficile le consensus, celui-ci était grandement facilité par le système de valeurs partagé par l’équipe et qui sous-tendait le processus de décision. Ces valeurs ont été classées en quatre catégories : 1) les valeurs propres à l’équipe (unité et crédibilité, message unique, rassurance), 2) les valeurs que l’équipe voudrait voir chez ses partenaires (collaboration, message unique, rassurance), 3) les valeurs qu’elle voudrait que le travailleur partage (adhésion, motivation interne, réactivation, rassurance) et 4) les valeurs plus générales qui influencent l’intervention (interventions doivent être graduées, la douleur est un phénomène multidimensionnel et doit être contrôlée activement, le travail est thérapeutique). Plusieurs des valeurs identifiées rejoignaient les données probantes reliées au processus d’incapacité et de retour au travail. Ainsi, l’équipe a transformé les données probantes en un système de valeurs qui semble s’apparenter à une idéologie, mais qui est apparu très puissant pour appliquer les données probantes.
Une des valeurs identifiées par l’équipe, le partenariat, a été sujette à des analyses supplémentaires. Ceci a permis d’identifier divers éléments facilitants et obstacles perçus par les membres de l’équipe au sein de leur collaboration avec le travailleur, l’employeur, l’assureur et le médecin traitant. L’analyse des données a également permis de constater que les relations entre l’équipe et ses partenaires n’étaient pas toujours aisées. Ceci peut être dû au fait que l’équipe essayait davantage de faire partager aux autres ses valeurs et ses décisions, en raison de la conviction qu’elle avait de la justesse de ses propres valeurs. Cette attitude peut avoir indisposé certains de ses partenaires qui pouvaient se sentir peu écoutés dans le processus de réadaptation.
Enfin, l’étude des trajectoires s’est avérée complexe, étant donné la multiplicité des facteurs en cause, leur provenance variée et le nombre d’acteurs impliqués. Cependant, quatre tendances expliquant l’évolution des travailleurs ont émergé des données analysées : 1) les trajectoires de retour au travail sans obstacle, 2) les trajectoires de retour au travail avec obstacles, 3) les trajectoires de non retour au travail avec épisodes de progression et 4) les trajectoires de non retour au travail sans épisode de progression.
Cette étude prospective qualitative, bien qu’exploratoire, a été d’une grande ampleur et a généré un nombre considérable de données dont l’analyse a permis de défricher ce champ émergent de recherche qu’est la réadaptation d’un travailleur présentant un trouble musculo-squelettique par une équipe appliquant un programme basé sur les données probantes les plus récentes. Les résultats obtenus permettent de proposer diverses pistes de recherche futures pour améliorer les données probantes sur les dimensions de la prise de décision d’une équipe interdisciplinaire en réadaptation au travail.
Mots-clés
Maintien en emploi, Job maintenance, Prise de décision, Decision making, Réadaptation, Rehabilitation, Mode de gestion, Management mode, Éthique, Ethics, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Québec
Numéro de projet IRSST
0099-0190
Numéro de publication IRSST
R-393
Citation recommandée
Loisel, P., Durand, M.-J., Baril, R., Langley, A. et Falardeau, M. (2004). Décider pour faciliter le retour au travail : étude exploratoire sur les dimensions de la prise de décision dans une équipe interdisciplinaire de réadaptation au travail (Rapport no R-393). IRSST. https://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/R-393.pdf https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/412
