Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2005
Langue
Anglais
Résumé
Contexte
Au cours des dernières années, plusieurs travailleurs exposés aux fumées de manganèse ont développé des symptômes évoquant un manganisme d’origine professionnelle. La CSST (la Commission de la santé et de la sécurité du travail), qui est l’organisme d’indemnisation de la province de Québec, faisait face à une situation dans laquelle elle ne disposait pas de techniques normalisées pour la prévention primaire, secondaire et tertiaire du manganisme, menant à la possibilité d’un différend médico-légal, de même qu’à la possibilité d’iniquité pour les travailleurs et les employeurs.
Objectif
Grâce à la définition et à la classification du manganisme professionnel, offrir aux médecins, de même qu’à l’organisme d’indemnisation, des techniques normalisées pour le diagnostic, l’examen, le traitement, la surveillance des travailleurs exposés au manganèse (Mn) et des conditions sécuritaires pour la réadaptation.
Méthodologie
Un comité médical a été mis sur pied en vue de fournir des réponses concernant les aspects cliniques de la question ; une synthèse des connaissances scientifiques a été réalisée et un groupe multidisciplinaire d’experts internationaux a été réuni pour en arriver, dans la mesure du possible, à une approche consensuelle à l’égard de la question du diagnostic de manganisme.
Résultats
Le manganisme est défini comme suit : un syndrome clinique spécifique du système nerveux central causé par le manganèse. L’exposition excessive, une élimination réduite, un taux d’absorption accru et la susceptibilité individuelle sont parmi les facteurs qui peuvent conduire au manganisme. Le manganisme d’origine professionnelle pourrait alors être défini comme un syndrome clinique spécifique du système nerveux central causé par l’exposition au manganèse dans le milieu de travail. Trois facteurs de risque augmentent l’effet neurotoxique du manganèse : les maladies hépatiques, la carence en fer et l’alcoolisme.
Selon le degré de certitude diagnostique, le manganisme peut être classifié comme cliniquement possible, cliniquement probable ou cliniquement certain. Indépendamment du degré de certitude diagnostique et en s’appuyant sur l’évaluation clinique des capacités fonctionnelles et sociales, la déficience peut être évaluée comme légère, modérée ou grave.
Des critères ont été proposés afin de classifier les cas de manganisme professionnel. Ainsi, un travailleur est considéré comme porteur d’un manganisme professionnel cliniquement possible s’il répond aux trois conditions suivantes: a) une source identifiable et documentée d’exposition professionnelle au Mn, b) au moins un élément neurologique de parkinsonisme parmi le tremblement, la bradykinésie, la rigidité et l’instabilité posturale et c) des symptômes et signes cliniques de perturbations neuropsychologiques, principalement au niveau de la fonction motrice. Un diagnostic de cas cliniquement probable de manganisme inclut tous les éléments d’un cas possible auxquels s’ajoutent des perturbations neuropsychologiques liées aux noyaux gris centraux, l’absence de réponse pharmacologique ou une réponse pharmacologique non durable à la levodopa (L-dopa) et l’exclusion d’autres maladies neuropsychologiques liées aux noyaux gris centraux, tel que la maladie de Parkinson, les syndromes de parkinsonisme secondaire ou de parkinsonisme atypique.
Finalement, un cas de manganisme professionnel peut être reconnu comme cliniquement certain lorsque des données hispopathologiques renforcent un diagnostic de cas cliniquement probable. Une scintigraphie de tomographie par émission de positons (TEP) à la F-dopa qui est normale permettrait également de confirmer un cas cliniquement certain mais une scintigraphie TEP anormale n’exclurait pas pour autant le manganisme.
Une approche en trois étapes est proposée afin de parvenir à diagnostiquer un manganisme professionnel. Dans une première étape où un travailleur est présumé être atteint de manganisme d’origine professionnelle, le médecin du travail réalise une investigation en profondeur de l’exposition professionnelle au Mn, de même qu’une première évaluation du profil clinique du travailleur. Il devrait en premier lieu réaliser une anamnèse complète qui comportera les éléments suivants : les renseignements sur la symptomatologie clinique actuelle, les renseignements sur les problèmes cliniques antérieurs de même que les antécédents cliniques familiaux. Il peut alors effectuer un examen physique complet en mettant l’accent sur l’examen neurologique en vue d’identifier les signes cliniques de parkinsonisme.
Le médecin consignera en détail l’exposition professionnelle aux contaminants neurotoxiques, en étant très attentif au Mn. En commençant avec les antécédents professionnels, il fera une recherche dans les fiches de travail qui font état d’une exposition au Mn ou des affectations de travail connues pour être associées à l’exposition au Mn. Il réunira aussi des données, passées et actuelles, provenant des enquêtes d’hygiène industrielle, lorsqu’elles existent. Si le médecin du travail le juge à propos, il pourrait alors souhaiter obtenir certaines données neuropsychologiques de base en utilisant un questionnaire normalisé et/ou une courte batterie de tests. Un examen du foie et de la formule sanguine de même que les réserves en fer peuvent également lui être utiles. Selon la relation temporelle entre l’exposition au Mn et ce premier examen, le taux de Mn sanguin et urinaire, ainsi q’une imagerie de résonance magnétique (IRM) pourraient être demandées de même que d’autres tests en fonction des antécédents cliniques. Après cette première collecte de données, le médecin du travail peut référer le travailleur à un neurologue spécialiste des troubles du mouvement si une exploration supplémentaire est pertinente.
Dans une seconde étape, le neurologue spécialiste des troubles du mouvement utilisera son expertise à l’occasion de l’examen neurologique afin d’évaluer en profondeur la question de savoir si le profil clinique présenté constitue vraiment un cas de manganisme. Il possède l’expertise nécessaire pour demander les tests et les examens requis pour compléter son investigation, au besoin.
Lors de la troisième et dernière étape, une investigation complémentaire pourrait inclure une évaluation neuropsychologique plus élaborée, une imagerie de résonance magnétique (IRM) (si ce n’est déjà fait et si elle est pertinente en fonction du temps écoulé), un essai de médication à la L-dopa, une scintigraphie TEP à la fluoro-dopa ou tout autre imagerie permettant de déterminer l’intégrité de système nigro-strié.
Le processus entrepris par le neurologue lui permettra de renforcer son opinion selon laquelle un cas donné est un cas de manganisme. Tel que mentionné plus haut, à mesure que les éléments de preuve sont réunis, un cas considéré comme un cas possible peut devenir un cas probable et enfin un cas certain. Le diagnostic peut être modifié sur la base d’examens subséquents et l’acquisition de nouvelle information.
Les experts ont convenu qu’il n’existait pas de plan de traitement précis. Les médicaments antiparkinsoniens peuvent avoir un effet positif sur les symptômes et les signes parkinsoniens, mais cet effet, s’il survient, est temporaire et habituellement de courte durée dans le cas du manganisme. Les agents antioxydants ont fait l’objet d’études récentes, mais les preuves scientifiques de leur efficacité ne sont pas encore établies. La chélation est toujours considérée comme un traitement expérimental. Des mesures visant le soulagement des symptômes et la réadaptation sont certainement utiles.
Le traitement principal consiste à retirer la personne de l’exposition significative au manganèse de même qu’à tout autre agent neurotoxique reconnu aussitôt que possible, lorsque les symptômes et les signes peuvent encore être réversibles. Les experts se sont également entendus sur un plan de surveillance au cours de la première année et par la suite, si nécessaire. S’il se produit un changement dans l’état du travailleur, il y a alors réévaluation et le diagnostic peut être révisé.
Un travailleur considéré comme un cas certain, probable ou possible de manganisme d’origine professionnelle et physiquement capable de travailler devrait être tenu à l’écart de toute autre exposition significative au manganèse dans le milieu de travail. De plus, il ne devrait pas lui être permis de retourner dans un milieu de travail comportant un risque d’exposition à d’autres agents neurotoxiques connus. Le niveau d’exposition au Mn devrait être le plus faible possible, sans jamais dépasser 0,03 mg Mn/m3 (exprimé en poussières respirables).
Un large éventail de tests neuropsychologiques a été utilisé dans les études visant les groupes de personnes asymptomatiques exposées à de faibles doses de manganèse. Aucun de ces tests de capacité fonctionnelle ne vise de façon spécifique les effets neuropsychologiques du manganèse. Toutefois, un ensemble constant d’anomalies a été lié au manganèse, dont la détérioration de la vitesse de réponse neurosensorielle, de la fonction motrice et les tests de mémoire. Les études épidémiologiques ne présentent pas de données permettant d’apprécier la valeur d’un test ou d’une combinaison de tests en vue de prévoir l’occurrence du manganisme clinique. Sur une base individuelle, il est donc impossible de prédire qui développera un syndrome de manganisme clinique parmi les travailleurs asymptomatiques exposés à de faibles doses de manganèse et dont certains résultats de tests de la capacité fonctionnelle sont anormaux. Compte tenu des connaissances scientifiques actuelles et des critères de l’organisation mondiale de la santé (OMS) à remplir en vue de mettre en œuvre un programme de dépistage et, par conséquent, de bonnes pratiques médicales, il n’est pas possible de recommander un programme de dépistage visant les travailleurs asymptomatiques exposés dans leur milieu de travail. Une étude épidémiologique longitudinale pourrait aider à mieux comprendre la progression du pré-manganisme ou d’effets pré-cliniques non spécifiques reliés au Mn vers le manganisme cliniquement établi.
La seule intervention préventive qui pourrait être proposée pour réduire ou éliminer le risque de développer un manganisme clinique est la réduction de l’exposition.
Conclusion
Ces précieux renseignements sur les aspects cliniques du manganisme professionnel conduiront à des techniques normalisées pour le diagnostic et la prise en charge des travailleurs exposés aux fumées et aux poussières de manganèse. Les paramètres d’indemnisation et les procédures de prise en charge de la CSST pourront être reconsidérés à la lumière de l’information contenue dans le présent rapport.
Abstract
Background
In recent years, many workers exposed to manganese fumes have developed symptoms evoking occupational manganism. CSST (la Commission de la santé et de la sécurité du travail), the compensation body in the province of Québec was confronted with the fact that there were no standardized procedures for the primary, secondary and tertiary prevention of manganism, leading to possible medico-legal disputes and a possible lack of equity for workers or employers.
Objective
To establish the definition and classification of occupational manganism, provide medical specialists, and the compensation body with standardized procedures for the diagnosis, investigation, treatment and, monitoring of workers exposed to manganese (Mn), and with safe conditions for rehabilitation.
Methods
A medical committee was formed to provide answers on the clinical aspects of the problem; a synthesis of scientific knowledge was collected and a multidisciplinary panel of international experts was convened to reach, as much as possible, a consensual approach to the issue of diagnosis of manganism.
Results
Manganism is defined as a specific clinical central nervous system syndrome caused by manganese. Factors that might lead to manganism include excessive exposure, reduced clearance, increased absorption rate, and individual susceptibility to manganese. Then, occupational manganism could be defined as a specific clinical central nervous system syndrome caused by workplace exposure to manganese. Three risk factors were identified that have been shown to increase the accumulation of Mn in the central nervous system (CNS): liver diseases, iron deficiency and alcoholism, whose effects add to the neurotoxic action of Mn.
Based on the level of diagnostic certainty, manganism can be classified as clinically possible, clinically probable or clinically definite. Independent of the level of diagnostic certainty, and based on the clinical assessment of functional and social capacities, impairment can be rated as mild, moderate or severe.
Criteria have been proposed for classifying cases of occupational manganism. A worker is recognized as a clinically possible case of occupational manganism if the following three conditions are present: a documented identifiable source of occupational Mn exposure; at least one neurological element among tremor, bradykinesia, rigidity and postural instability and symptoms and clinical signs of neuropsychological disturbances, mainly motor ones. A diagnosis of a clinically probable case of manganism includes items from a possible case of manganism plus neuropsychological disturbances related to basal ganglia origin, absence or unsustained pharmacological response to levodopa (L-dopa) and exclusion of other neuropsychological diseases related to basal ganglia, such as Parkinson’s disease, secondary parkinsonism or atypical parkinsonism syndromes. Finally, a case of occupational manganism can be recognized as clinically definite if a clinically probable case is reinforced by histopathological data. A normal Fluoro-Dopa positron emission tomography (F-Dopa PET) scan is another approach that would also confirm clinically definite manganism, but an abnormal F-Dopa PET scan would not exclude manganism.
In order to diagnose a case of occupational manganism, a three-step approach is proposed. In the first step, for a worker suspected of having occupational manganism, the occupational physician should perform a thorough evaluation of Mn occupational exposure along with an evaluation of the presenting clinical picture. A clinical case history should also be performed that includes the history of current clinical symptomatology, the history of past clinical problems and the family history. He then performs a complete physical examination with an emphasis on neurological examination to identify clinical signs of parkinsonism. The physician should detail occupational exposure to any neurotoxic contaminants. Starting with an occupational history, he will search work records indicating Mn exposure and specific work assignments known to be associated with Mn exposure. He will also gather data, past or present, from occupational hygiene investigations (whenever these exist). If the occupational physician deems it appropriate, he could gather basic neuropsychological data using a standardized questionnaire and/or a short battery of tests and complementary investigations such as liver testing and complete blood count, and iron stores. Depending on the temporal relationship between the time of the Mn exposure and the examination, blood and urine Mn levels and a magnetic resonance imaging (MRI) could be ordered as well as other pertinent tests depending on the clinical history. After this initial data collection, he could refer the worker to a neurologist specialized in movement disorders if further exploration is deemed to be appropriate.
In a second step, a neurologist knowledgeable in movement disorders should assess the patient to determine if the clinical picture is consistent with a diagnosis of manganism. Tests and procedures required to determine the correct diagnosis should be ordered as appropriate.
In the third and final step, complementary investigations could include formal neuropsychological evaluation, MRI (if not already done and appropriate time-wise), levodopa trial and Fluorodopa PET scan or other imaging study to assess the integrity of the nigrostriatal system. Based on these assessments, the neurologist will determine if in his opinion a given case suffers from clinically possible, probable or definite manganism. The diagnosis may be modified based on subsequent examinations and the acquisition of further information.
The experts agreed that there was no specific treatment plan for manganism. Antiparkinsonian drugs may have a positive effect on parkinsonian symptoms and signs, but this effect is temporary and of short duration, if present at all. Antioxidants have been recently studied but benefits have not been proven. Chelation is still considered investigational. Symptom relief and rehabilitation therapies are all that remain. The main intervention consists of stopping significant exposure to manganese as well as to other recognized neurotoxic agents as soon as possible, when the symptoms and signs may still be reversible. The experts also agreed on a medical monitoring plan in the first year and later as appropriate. If a change is seen in the worker’s condition, then the diagnosis can be reviewed.
A worker considered as a definite, probable or possible case of occupational manganism and who has the physical capacity to work should be kept from any further significant exposure to manganese in the workplace. Furthermore, he should not be returned to a workplace significantly contaminated with any other recognized neurotoxic agent. The level of Mn exposure should be as low as possible but never exceed 0.03 mg Mn/m3 (expressed as respirable dust).
A wide variety of psychoneurological tests have been used in studies of groups of asymptomatic individuals exposed to low doses of manganese. None of these functional tests is specific to the neuropsychological effects of manganese. However, a consistent pattern of abnormalities has been associated with manganese, including deterioration of the rapidity of neurosensorial response, motor function, mood, and memory tests. There is no data from longitudinal studies allowing an assessment of the value of any test or combination of tests for predicting the occurrence of clinical manganism. On an individual basis, it is thus impossible to predict who will develop a syndrome of clinical manganism among asymptomatic workers exposed to low doses of manganese and having some abnormal functional tests.
Based on current scientific knowledge and the World Health Organization (WHO) criteria to be met in order to implement screening program and therefore good medical practice, no recommendation can be made for a screening program targeting asymptomatic workers exposed in the workplace. A prospective longitudinal controlled study could be useful to learn more about the progression from pre-manganism or some preclinical effects of Mn to clinical manganism.
The only preventive intervention that could be proposed to reduce or eliminate the risk of developing clinical manganism is the reduction of exposure.
Conclusion
Valuable information on the clinical aspects of occupational manganism will lead to standardized procedures for the diagnosis and management of workers exposed to manganese fumes and dusts. CSST compensation parameters and management procedures for cases should be reconsidered taking into account the information included in the present report.
Mots-clés
Manganisme, Manganism, Système nerveux central-affections, Disease of central nervous system, Manganèse et ses composés, Manganese and compounds, Diagnostic, Diagnosis, Critère de risque, Hazard criteria, Traitement médical, Medical treatment, Maintien en emploi, Job maintenance, Effet neurologique, Neurological effect, Effet neuropsychique, Neuropsychic effect, Classification, Limitation de l'exposition, Limitation of exposure, Test
Numéro de projet IRSST
0099-2330
Numéro de publication IRSST
R-417
Citation recommandée
Ostiguy, C., Asselin, P., Malo, S., Nadeau, D. et DeWals, P. (2005). Management of occupational manganism: Consensus of an experts' panel (Rapport n° R-417). IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/424
