Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2008

Langue

Français

Résumé

Introduction : Les troubles musculosquelettiques (TMS) qui entraînent des absences prolongées du travail sont un problème de santé publique préoccupant, coûteux et en constante augmentation tant au Québec que dans l’ensemble des pays industrialisés. Dans les programmes de réadaptation au travail, les évaluations de capacités fonctionnelles, associées souvent à une visite au poste de travail, sont couramment utilisées comme moyen de détermination de la reprise du travail. Or, la validité de cette pratique est fortement questionnée. Parallèlement à cette pratique, des cliniciens experts, ergonomes et ergothérapeutes, adoptant une approche qui inclut un retour progressif au travail, évoquent d’autres concepts lorsqu’ils doivent porter un jugement sur les capacités des individus à reprendre partiellement ou totalement leur travail. Ils sont préoccupés par : la nécessité de créer un « coussin » pour que l’individu puisse faire son travail sans trop de douleur, la présence d’un potentiel de récupération ou encore par la présence nécessaire d’un écart entre les capacités individuelles et les exigences du travail. Les différents termes évoqués s’apparentent au concept de marge de manœuvre (MM) largement utilisé en ergonomie. La marge de manœuvre se définit comme la possibilité ou liberté dont dispose un travailleur pour élaborer différentes façons de travailler afin de rencontrer les exigences de production, et ce, sans effet défavorable sur sa santé. Ce concept n’a jamais été transposé lors d’un processus de retour progressif et supervisé au travail pour des personnes en absence prolongée. Cette étude exploratoire tentera justement d’arrimer les différentes dimensions du concept de MM à la reprise d’une activité de travail. Pour ce faire, trois objectifs seront poursuivis.

Objectifs : 1. Identifier le concept de MM pris en compte lors d’un programme de retour progressif au travail de personnes en situation d’incapacité au travail 2. Identifier les éléments qui influencent la MM au travail après un programme de retour progressif au travail de personnes en situation d’incapacité 3. Documenter la relation entre la présence d’une MM au travail et la reprise du travail après une absence prolongée consécutive à un TMS et un programme de retour progressif au travail.

Méthodes : Le cadre conceptuel retenu pour l’étude est celui du modèle de l’activité de travail de Vézina [1]. Pour le premier objectif de l’étude, une analyse secondaire d’une base de données sur les perspectives d’une équipe interdisciplinaire suivant la progression de travailleurs admis à un programme de réadaptation a été réalisée [2]. Parmi les cas documentés dans l’étude initiale, cinq trajectoires de travailleurs ont été retenues, illustrant l’éventail des progressions possibles lors de la réadaptation. Des analyses de contenu ont été réalisées selon les balises recommandées par Miles et Huberman [3]. Pour les objectifs 2 et 3, un devis d’étude de cas multiples a été utilisé [4]. Les cas sont formés ici d’un travailleur admis au programme de réadaptation au travail et du clinicien en charge de ce dernier. Les résultats ont été validés lors d’une entrevue de groupe avec chercheurs et ergonomes experts. Pour chaque cas, il s’agissait de réaliser une entrevue individuelle avec le clinicien et avec le travailleur un mois après la fin de son programme de réadaptation. Toutes les entrevues étaient d’abord enregistrées en format audionumérique et transcrites. Lors de cette entrevue, le clinicien et le travailleur devaient principalement se prononcer sur : la présence de MM au travail de l’individu, les éléments de la MM ayant influencé celle-ci, favorablement ou non. De plus, les cliniciens étaient appelés à formuler un jugement clinique sur le lien entre la MM observée lorsque présente et la durabilité projetée du retour au travail. Des analyses de contenu ont été réalisées. Une analyse intracas a été effectuée suivie d’une analyse intercas pour l’objectif 1. Pour l’objectif 2, une matrice de cas des indicateurs de la marge de manœuvre retenus a été composée.

Résultats : Dans un premier temps, l’analyse des perspectives des cliniciens a permis de dégager quatre types de MM au travail pendant le processus de réadaptation, et ce, en fonction des activités du programme (objectif 1). Il s’agit d’abord de la MM initiale, qui est celle présente avant l’arrêt de travail d’un travailleur dans son activité régulière de travail (pré-lésionnelle). La MM potentielle est celle évaluée durant la première semaine du programme par les membres de l’équipe de réadaptation, influencée, entre autres, par les résultats pré-admission de l’évaluation du diagnostic de la situation de handicap au travail, l’évaluation initiale de chaque discipline, les capacités du travailleur observées en milieu clinique et les exigences du travail telles que décrites par le travailleur à l’ergonome. La MM thérapeutique est celle qui devra être maintenue tout au long du retour progressif au travail afin de s’assurer de l’évolution favorable du travailleur. La MM finale est celle déterminée par les cliniciens au terme du programme de réadaptation en lien avec l’activité de travail réelle. Ainsi, le concept de MM évolue tout au long du programme et sert à la fois de guide pour les cliniciens sur le dosage capacités-exigences au travail (MM thérapeutique) et de jugement final sur la reprise et la durabilité du maintien au travail en santé (MM finale).

Dans un deuxième temps, l’analyse des données a permis de dégager les indicateurs de la MM (objectif 2). Participants : Les cas (n=11) étaient des travailleurs âgés entre 23 et 52 ans, présentaient tous un TMS et provenaient de divers secteurs d’activité de travail. Le délai entre l’arrêt de travail et le début du programme de retour progressif au travail était de 10 mois (médiane) et la durée moyenne du programme était de 13 semaines. Au terme de celui-ci : sept travailleurs (7/11) étaient de retour au travail régulier à temps complet, et quatre (4/11) en étaient toujours absents. Les cliniciens, un ergonome et quatre ergothérapeutes chargés de ces travailleurs, étaient âgés entre 26 et 43 ans, exerçaient en moyenne depuis 9 (± 5,9) années et comptaient entre 2 et 18 années d’expérience en réadaptation au travail. Au total, vingt entrevues ont été réalisées pour documenter les onze cas. Indicateurs de la MM : L’analyse intercas a permis de dégager une cinquantaine d’indicateurs qui s’insèrent dans le cadre conceptuel retenu. Outre les indicateurs déjà connus en ergonomie tels ceux reliés à la production (délais, quantité, qualité), le contexte général de travail ou encore les déterminants du travail (p. ex : aménagement des postes, outils, matière première, horaire, organisation du travail), d’autres plus spécifiques ont été identifiés relatifs aux paramètres personnels des individus. En effet, les diverses représentations des individus de leur problème de santé, leur traitement et leur travail ainsi que de leur situation familiale semblent s’ajouter à la conception classique de la MM au travail. Cette liste d’indicateurs permet de guider l’observation par les cliniciens pendant un processus de construction et d’évaluation de la MM. MM et Retour au travail : Nos résultats, bien qu’exploratoires, soutiennent que la présence de la MM semble liée à la reprise du travail pour des travailleurs présentant une absence reliée à un TMS et participant à un programme de réadaptation utilisant l’entraînement progressif en milieu naturel (objectif 3). Ces résultats convergent avec différents écrits en ergonomie qui reconnaissent le lien entre la MM, la santé et la production. Les résultats nous permettent de formuler certains constats : le premier est que la présence en milieu de travail de moyens disponibles pour réguler l’activité de travail est essentielle pour avoir une MM. La MM réelle est la résultante de la disponibilité des moyens et des outils nécessaires et de la décision du travailleur de les utiliser. Or, ces moyens et outils dépendent notamment des contraintes liées aux secteurs d’activité et aux contextes particuliers de travail. Par conséquent, cette première balise, la disponibilité de moyens et d’outils pour réguler l’activité de travail, devrait toujours être analysée en priorité lors de processus de réadaptation et de retour au travail. L’autre constat principal est relié à l’utilisation des moyens disponibles. En effet, lors du processus de retour au travail, des moyens et outils peuvent être identifiés par le travailleur et le clinicien mais pas nécessairement utilisés par le travailleur, ce qui fait disparaître la MM. Dans ces situations particulières, l’absence de MM pourrait créer une situation de fragilité de l’individu face à sa santé et à son maintien au travail à moyen terme.

Conclusion : La présente étude compte parmi les rares recherches en santé et en sécurité du travail ayant tenté de transposer le concept de MM utilisé en ergonomie à un processus de retour progressif au travail. Les résultats fournissent un cadre plus explicite pour l’évaluation d’un individu en interaction avec son activité de travail et ce, en tenant compte des particularités des personnes présentant des incapacités d’origine musculosquelettique. Les prochaines étapes devraient s’attarder à arrimer à chaque indicateur décrit dans le modèle une méthode d’observation précise. Cette approche dépasse largement la simple évaluation de capacités fonctionnelles et propose un nouveau regard sur l’évaluation d’un travailleur en situation d’incapacité, en lien direct avec les modèles récents de l’incapacité au travail.

ISBN

9782896312764 (PDF)

9782896312757 (version imprimée)

Mots-clés

Maintien en emploi, Job maintenance, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Réadaptation professionnelle, Vocational rehabilitation, Évaluation de la capacité de travail, Assessment of working capacity, Ergonomie, Ergonomics, Enquête par entrevue, Interview survey

Numéro de projet IRSST

0099-4770

Numéro de publication IRSST

R-566

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