Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2003
Langue
Français
Résumé
La rotation des postes est une forme d’organisation du travail qui suscite beaucoup d’intérêt autant chez les gestionnaires que chez les travailleurs, toutefois les connaissances actuelles ne permettent pas de bien comprendre toutes les conséquences liées à ce mode d’organisation du travail. Parmi les avantages souvent cités mentionnons : la réduction de la monotonie et des troubles musculo-squelettiques, l’amélioration de la gestion de l’absentéisme et du roulement du personnel. Quant aux désavantages, on rapporte les difficultés d’apprentissage, le déséquilibre des contraintes d’un poste à l’autre et la personnalisation des postes.
Dans une importante usine d’assemblage automobile on se questionnait sur l’intérêt de la rotation des postes, l’entreprise y était favorable alors que le syndicat était réticent. On voulait donc mieux connaître les avantages et les inconvénients de la rotation. Pour répondre à cette demande, une étude exploratoire a été menée. La recherche comporte deux volets : une enquête par questionnaire et grille d’évaluation ainsi qu’une analyse plus fine du travail dans une unité où l’on fait la rotation.
Au moment de l’étude, l’usine comptait environ 1 200 travailleurs. Suite à plusieurs séries de mises à pied, la population est avancée en âge : l’âge moyen est de 49,8 ans; 76 % de la population est âgée de 45 et plus et 24 % de 55 et plus. L’enquête par questionnaire a porté sur les quatre départements d’assemblage, composés majoritairement de lignes de production. Deux ergonomes ont visité 48 des 80 unités des quatre départements d’assemblage. Au total 250 assembleurs ont été interrogés et observés.
Aussi bien les résultats d’entretiens que les observations montrent que le travail est source de plusieurs contraintes. Plus de la moitié des travailleurs rapportent des douleurs qu’ils attribuent à leur travail. Les travailleurs mentionnent, dans une très large proportion, qu’ils éprouvent des difficultés à leur poste, liées principalement à la posture de travail mais aussi aux contraintes temporelles, aux déplacements, à la précision, etc. Près de la moitié des travailleurs estiment que leur poste est trop « loadé ».
Les résultats de l’enquête montrent que seulement 10,8 % des travailleurs pratiquent la rotation, une tendance se dégage à l’effet que ce sont le plus souvent les moins anciens et les plus jeunes qui la pratiquent. Ce résultat n’est pas surprenant quand on sait que ce sont eux qui ont sans doute les postes les plus difficiles. Les assembleurs voient trois grands types d’avantage à la rotation : réduire la monotonie, réduire les contraintes physiques ou avoir accès à un meilleur poste, et améliorer sa santé. Les inconvénients mentionnés par les travailleurs sont beaucoup plus nombreux (462), mais en regroupant les réponses on constate que l’inconvénient principal émis par 57 % des travailleurs concerne les caractéristiques des postes : on a peur de changer pour un poste plus dur, certains estiment que les postes sont trop loadés alors que d’autres croient qu’ils sont trop semblables. L’autre désavantage le plus fréquent est lié aux difficultés d’apprentissage (30 %). Certaines réponses touchent aux caractéristiques des personnes; on croit que la rotation brime l’ancienneté, on souligne que les postes sont personnalisés et on craint l’intégration des travailleurs qui ont des restrictions médicales. Alors que plus de la moitié des assembleurs croient que la rotation pourrait être avantageuse pour leur santé, près de 20 % des assembleurs hésitent à la pratiquer de crainte de détériorer leur santé. On a peur par exemple d’ajouter un mal d’épaule à un mal de dos déjà existant. Quand on demande aux travailleurs à quelles conditions ils accepteraient de faire la rotation, plus de la moitié parle des conditions d’implantation de la rotation; par exemple, si on avait le temps pour apprendre, si on pouvait choisir les travailleurs, si la rotation était instaurée sur un mode volontaire.
L’analyse plus fine dans l’unité où l’on pratiquait la rotation a permis d’aller plus en profondeur dans notre compréhension de la rotation. Une analyse des perceptions des travailleurs quant à chacun des postes occupés en rotation fait ressortir l’importance du poste dont ils sont titulaires. Ainsi, trois travailleurs aiment le poste sur lequel ils sont le plus habitués même s’il s’agit de celui qui reproduit le plus leurs douleurs. Ainsi, même s’ils occupent plusieurs postes, les travailleurs conservent un sentiment d’appartenance très marqué à leur propre poste. Plusieurs raisons exposées dans la discussion expliquent ce phénomène. On constate également que les travailleurs perçoivent des différences entre les postes en ce qui concerne la sollicitation musculo-squelettique et qu’ils ne développent pas les mêmes problèmes sur les différents postes.
Les ergonomes ont procédé à une analyse détaillée des modes opératoires de chaque travailleur aux différents postes occupés. Il ressort des variations importantes dans les modes opératoires dont certaines résultent de l’aménagement des postes et des caractéristiques personnelles, alors que d’autres s’expliquent par des stratégies développées par les travailleurs pour mieux contrôler les contraintes de temps, les incidents et les oublis. L’existence de ces stratégies, qui mettent du temps à se développer, fait ressortir l’importance de l’apprentissage dans l’implantation de la rotation.
Finalement, l’analyse du discours des travailleurs permet d’enrichir l’enquête de perception. Les travailleurs soulignent l’importance de la durée passée à chacun des postes pour réguler la fatigue et parlent du moment crucial des changements de poste. Encore une fois, les questions liées à l’apprentissage ressortent : quand un travailleur commence la rotation, le coût de l’apprentissage sur de nouveaux postes semble très élevé. L’impact de la rotation sur les douleurs est difficile à évaluer : on rapporte des effets positifs mais limités à cause de l’âge ou de la présence de lésions. Certains sont plus sensibles au bénéfice sur la santé mentale, associé à la réduction de la monotonie. Les facteurs liés aux collectifs de travail ressortent fortement : importance de l’esprit d’entraide et de la qualité du travail des coéquipiers. Finalement, tous mentionnent que la rotation devrait seulement être pratiquée sur un mode volontaire.
En conclusion, si cette étude préliminaire n’apporte pas de réponse définitive sur les impacts de la rotation, elle permet de cibler les questions qui sont centrales dans l’implantation de la rotation. La première est liée aux caractéristiques des postes, car il y a toujours le risque d’aggraver ses maux lorsqu’on doit tout à coup occuper des postes plus contraignants. Ainsi, il vaudrait mieux comprendre les variations requises au niveau des sollicitations pour que la rotation soit vraiment bénéfique. L’enquête de perception, la description des stratégies des travailleurs de même que le discours de ceux pratiquant la rotation font ressortir la question de l’apprentissage comme centrale dans l’implantation de la rotation. Les caractéristiques des personnes sont aussi à considérer comme la personnalisation des postes et les acquis associés à l’ancienneté; une problématique d’actualité émerge : comment intégrer les travailleurs présentant une incapacité ? Finalement l’importance du collectif de travail ressort fortement de même que la gestion de la rotation, quelle marge de manœuvre faut-il laisser aux employés dans l’exercice de la rotation? Plusieurs de ces questions nécessiteront des efforts de recherche avant d’être éclaircies.
Mots-clés
Industrie automobile, Motor vehicle industry, Mutation de poste, Transfer to otherwork, Organisation du travail, Work organisation, Appréciation subjective, Subjective assessment, Évaluation ergonomique, Ergonomic evaluation, Analyse des tâches, Job analysis, Québec
Numéro de projet IRSST
0098-0050
Numéro de publication IRSST
R-343
Citation recommandée
Vézina, N., St-Vincent, M., Dufour, B., St-Jacques, Y. et Cloutier, E. (2003). La pratique de la rotation des postes dans une usine d'assemblage automobile : étude exploratoire (Rapport n° R-343). IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/620
