Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2003

Langue

Français

Résumé

Ce rapport présente la phase 2 d’une étude qui s’est déroulée pendant trois ans dans une usine de fabrication de bottes. Suite à l’implantation par l’entreprise d’un système modulaire en juste-à-temps, la phase 1 avait permis de mettre en évidence une fréquence élevée de troubles musculo-squelettiques (TMS) aux membres supérieurs et aux membres inférieurs en lien avec une grande détresse psychologique. Au cours de cette phase 1, nous avions combiné une approche ergonomique et une approche épidémiologique. Les réponses des travailleuses au questionnaire du volet épidémiologique ont fait ressortir les liens qui existaient entre les TMS et les perceptions de la charge physique et des facteurs psycho-organisationnels. Au cours de l’intervention ergonomique, plusieurs déterminants des facteurs de risque ont été identifiés et des recommandations ont été élaborées avec la participation active d’un groupe de travailleuses et d’un comité de projet. Au moment de la phase 2, l’entreprise procède à l’implantation de plusieurs recommandations et décide de réimplanter le système de « main à main ». Aux volets ergonomique et épidémiologique, s’ajoute alors un volet sociologique. Les objectifs de la phase 2 sont les suivants : - analyser le processus d’implantation des changements découlant des recommandations de la phase 1, - offrir un support technique et pratique favorisant l’implantation des changements et la prise en charge, - évaluer l’impact des changements sur les TMS.

Pendant toute la période couverte par les phases 1 et 2, des transformations s’opèrent dans l’entreprise et toutes les actions de l’équipe de recherche se situent dans cette évolution. De nombreux échanges avec les différents interlocuteurs de l’entreprise ainsi que des observations dans l’usine ont permis de faire un bilan des principaux changements entre 1994 et 1996. De plus, des observations systématiques de l’activité de travail (répartition des tâches, déplacements, etc.) et des entretiens avec les travailleuses de deux modules ciblés apportent un portrait détaillé de l’état de la situation au temps 1 (phase 1) et au temps 2 (phase 2). Un suivi de toutes les recommandations formulées à la fin de la phase 1 est également réalisé. Il a été possible de connaître le devenir de chacune des 78 recommandations et d’analyser quels ont été les principaux obstacles à l’implantation d’une partie de celles-ci.

Le volet épidémiologique s’adresse à toute la population des travailleurs et le questionnaire est répondu à la fin de la saison 1996 (n=192). Il s’agit du même questionnaire qu’en 1994 s’intéressant à la prévalence et à la gravité des symptômes musculo-squelettiques ainsi qu’à la perception des contraintes physiques et psychosociales du travail, la satisfaction de l’emploi et la détresse psychologique. Ces données en 1994 et en 1996 sont comparées pour évaluer l’impact des transformations et des questions ont été ajoutées pour demander directement la perception de l’impact de certaines interventions sur le confort, le rendement et l’entente entre les collègues. Dans ce volet, on s’intéresse aussi aux différences entre les réponses des trois groupes de fonction : les couturières travaillant en module, les couturières du pré-fit (préparation des morceaux) et les autres travailleurs (taillage, entrepôts, bureau, etc.) car certaines interventions n’ont ciblé que les couturières en module.

Le support développé par les sociologues correspond à un système d’information de gestion (SIG) qui synthétise les données recueillies lors de l’administration mensuelle d’un questionnaire répondu par toutes les opératrices, de manière à fournir au comité de gestion, un portrait dépersonnalisé de la situation dans chaque module de l’usine, leur permettre d’identifier les modules en difficulté et de prendre les décisions qu’ils jugent appropriées pour aider les modules ciblés à résoudre les problèmes. Il s’agit donc d’un support en terme d’aide à la décision qui s’adresse à la direction et aux responsables de la production. Chaque passation du questionnaire, au nombre de trois, est aussi l’occasion d’une rencontre de chaque module avec le consultant en développement organisationnel afin de mieux comprendre les difficultés rencontrées et supporter les travailleuses au cours du processus de transformation. L’action de support des ergonomes se fera au niveau du comité de santé-sécurité (CSS) et du comité de gestion. Afin de favoriser la prise en charge, l’accent est mis sur un support en terme de formation et de transfert des connaissances. Ce support s’est organisé autour de trois éléments principaux : 1- le support au développement du rôle du CSS, 2- l’étude d’un dossier majeur avec le CSS, la couture des semelles de feutre, lequel a servi de base à 3- la formation à l’analyse ergonomique du comité de gestion et du CSS.

Le suivi des recommandations a permis de montrer que 50% de celles-ci avaient été implantées. La moitié des recommandations touchant l’amélioration des postes de travail, toutes les recommandations concernant les modules (aménagement, organisation du travail et gestion interne) et 80% de celles concernant la direction et la supervision ont été mises en application. Cependant seulement 24% des améliorations concernant les services ont été réalisées. Il s’agissait de recommandations touchant principalement la diminution des efforts au niveau des mains et des poignets associées aux difficultés d’ajustement des morceaux (claques, cuir, feutre, etc.). Les obstacles à l’implantation des recommandations sont principalement les coûts mais aussi les échanges complexes avec les services en aval de la production. Des changements majeurs découlant des nouvelles orientations de l’entreprise doivent être soulignés : la formation et l’implantation du système de « main à main », les nouvelles pratiques de gestion et de supervision et les modèles de produits fabriqués (augmentation des bottes « haut de gamme »).

Les volets ergonomique et épidémiologique ont montré par des données objectives et de perceptions que plusieurs de ces transformations constituaient des améliorations significatives dans les conditions du travail physiques (moins de postures fixes car augmentation de 7 à 64 déplacements à l’heure de 1994 à 1996, diminution de la charge de travail, meilleur aménagement physique des machines, meilleure répartition des tâches dans le module et alternance des tâches) et psycho-organisationnelles (séquencement des tâches bien défini par le système de « main à main », meilleure utilisation des habiletés, plus d’autorité décisionnelle, plus de support des collègues) et dans la satisfaction au travail perçue par les travailleuses. Par ailleurs, les analyses épidémiologiques ont montré que les couturières en module et les couturières de préfit ont eu une diminution significative de la détresse psychologique et de la gravité des TMS entre la période avant ces transformations (à l’automne de 1994) et la période après l’implantation de ces changements (à l’automne de 1996). Les résultats suggèrent que la diminution de la gravité des TMS entre 1994 et 1996 est associée à la diminution de la détresse psychologique et à l’augmentation du support de la direction perçu par les travailleurs et que les interventions qui ont modifié la charge physique du travail et le support organisationnel, notamment des superviseurs, ont influencé la détresse psychologique. Ces résultats sont cohérents avec la nature des interventions et des modifications qui ont été implantées qui ont eu comme objectif l’amélioration des conditions physiques de travail et la communication entre les acteurs de l’entreprise et le fonctionnement organisationnel. Ces résultats sont également très cohérents avec les observations des ergonomes et leurs entrevues avec les deux sous-groupes de couturières en module. Ces couturières interviewées par les ergonomes décrivent une amélioration importante dans leur satisfaction du travail et une diminution dans leur fatigue, leur détresse psychologique et la gravité des douleurs. Ces résultats sont aussi cohérents avec ceux du volet sociologique. En effet, ceux-ci montrent que les variations dans la charge physique de travail et dans la durée d’exposition au travail sont parmi les variables ayant le plus grand impact direct sur la perception de la gravité des TMS, tandis que d’autres variables liées aux transformations en cours, comme le support accru des superviseures et de la direction, ont un effet indirect notamment en réduisant l’impact de la détresse psychologique.

À un niveau plus spécifique, les résultats épidémiologiques ont montré que la prévalence très élevée de symptômes aux membres inférieurs en 1994 a diminué de façon importante et significative chez les couturières en module en 1996, mais pas chez les couturières préfit. Ce résultat suggère que les modifications organisationnelles ont réussi à permettre plus de déplacements et ont eu un impact positif sur les symptômes aux membres inférieurs des couturières en module. Cependant la prévalence des douleurs aux membres inférieurs demeure élevée (37%) ce qui laisse supposer que même avec des déplacements, la posture debout pourrait être associée aux symptômes aux membres inférieurs. Les résultats des volets épidémiologique et ergonomique montrent aussi que la prévalence de plusieurs TMS aux membres supérieurs n’a pas diminué tel que prévu au départ malgré la diminution de leur gravité. La prévalence des TMS du cou et des épaules n’a pas changé significativement et celle des TMS aux mains et poignets a augmenté. Ces résultats sont cohérents avec les observations des ergonomes concernant plusieurs recommandations qui n’ont pas été implantées par l’entreprise et d’autres changements dans la production qui n’ont pas permis la diminution des efforts des mains et des poignets. Ces résultats portent à penser que les modifications organisationnelles qui ne sont pas accompagnées d’une diminution des contraintes physiques, associées dans ce cas aux difficultés d’ajustement des morceaux de matières premières et de production des modèles haut de gamme, ne sont pas suffisantes pour avoir un impact positif sur les TMS des membres supérieurs.

Ce projet a aussi comporté un important volet d’interventions multidisciplinaires. Les résultats de ces interventions n’ont pas fait l’objet d’une évaluation systématique mais il y a des indices permettant de conclure que ces interventions ont effectivement contribué au développement d’une vision plus systémique et d’une prise en charge plus soutenue de la problématique des TMS et il y a des retombées plus larges qui pourraient résulter de l’expérimentation de ces interventions. Par exemple, le SIG a permis au comité de gestion de mieux intégrer au processus décisionnel les considérations de SST. En outre le SIG a aussi été un moyen additionnel important pour les employées de participer à la prise en charge de la SST dans l’usine. Quant à l’intervention ergonomique, celle-ci a eu dans l’entreprise trois retombées principales : la définition du mandat du Comité de SST et son implication dans des activités de l’entreprise dont la formation à l’analyse ergonomique, un modèle de dossier permettant de documenter une problématique en profondeur et un changement des représentations de différents interlocuteurs qui ont su adopter une approche plus systémique dans l’analyse des situations de travail au cours de la formation. Il va de soi que ces indices de résultats positifs reliés à ces interventions ne peuvent pas être attribués simplement aux interventions elles-mêmes, mais dépendent également des conditions dans lesquelles ces dernières ont été effectuées. Or, à cet égard, il faut convenir que le milieu de travail en question présentait plusieurs conditions très favorables à une prise en charge dynamique de la SST. Toutefois, d’autres conditions inhérentes à cette entreprise et au secteur ont limité l’impact potentiel des interventions.

Mots-clés

Industrie de l'habillement, Clothing industry, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Évaluation ergonomique, Ergonomic evaluation, Étude des postes, Job study, Organisation du travail, Work organisation, Aménagement du travail, Work design, Aménagement des postes, Workplace design, Enquête épidémiologique, Epidemiologic study, Québec

Numéro de projet IRSST

0095-0290

Numéro de publication IRSST

R-345

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