Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2003

Langue

Français

Résumé

En 1998, le Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ), appuyé par l’Association des producteurs de film et de télévision du Québec (APFTQ) et par la CSST, demandait à l’IRSST de l’aider dans son programme de formation, en particulier pour la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS). Cependant, ni les rares études réalisées dans l’industrie du cinéma, ni les données disponibles alors à la CSST ou auprès de la compagnie d’assurance ne permettaient d’établir un bilan clair des lésions et de leurs coûts, encore moins d’orienter la recherche, la prévention et la formation. Pour répondre adéquatement à la demande de l’industrie, il fallait donc d’abord dénombrer et décrire les TMS et les accidents et énoncer des hypothèses concernant leurs relations avec les tâches à risque dans un contexte où les temps de travail s’avèrent problématiques. D’un point de vue scientifique, l’industrie du cinéma présentait aussi un côté intéressant, puisque l’émergence de TMS dans des professions de travailleurs autonomes comportant une certaine mobilité d’emploi et des horaires saisonniers variables constitue une problématique nouvelle.

Dans cette première phase exploratoire, plusieurs sources de données ont été utilisées. Après une recension d’écrits et des entretiens avec des producteurs et des responsables syndicaux, l’approche descriptive par questionnaire a été retenue. Six-cent cinquante (650) personnes, soit le tiers des techniciens du STCVQ, ont répondu à un questionnaire portant sur les TMS, les accidents, l’emploi, le calendrier de travail et la situation familiale. Des entrevues individuelles avec des techniciens occupant des postes à risque élevé de TMS et un focus-group avec des techniciens expérimentés ont permis d’interpréter les réponses au questionnaire. Des cours de formation professionnelle dans des métiers clés ont aidé les chercheurs à mieux saisir l’organisation du travail.

Les résultats montrent d’abord l’incidence élevée des symptômes de TMS chez les techniciens du cinéma : 88% d’entre eux en ont souffert au moins une fois au cours des douze mois ayant précédé l’enquête. Le nombre moyen de TMS chez une même personne est en outre assez élevé (douleurs à trois endroits du corps différents dans la même année). Les douleurs les plus fréquentes se situent au bas du dos (64%), au cou (55%), dans le haut du dos et les épaules (40%). Les douleurs dans le bas du dos sont perçues par les techniciens comme étant les plus importantes. Ce sont les métiers majoritairement féminins qui rapportent le plus de TMS. Pour certains métiers, la probabilité d’avoir des TMS plutôt que des accidents est élevée; pour d’autres métiers, c’est l’inverse. Il existe deux « familles » de postes à risque élevé de TMS. La première regroupe des métiers qui rapportent à la fois un nombre important de symptômes de TMS et un niveau élevé d’exigences physiques dans leurs tâches. Le deuxième groupe est celui des métiers qui disent souffrir de nombreux symptômes de TMS et d’un niveau très élevé de stress au travail. On observe que les TMS affectent des parties du corps différentes selon le type de risque : le stress occasionne plutôt des douleurs au dos, au cou et aux épaules, alors que les exigences physiques de la tâche se traduisent davantage par des douleurs aux articulations périphériques : coudes, poignets, genoux, chevilles. Quatre-vingt pour cent (80%) des techniciens atteints de TMS consultent un médecin ou, le plus souvent, plusieurs praticiens non-traditionnels, comme des massothérapeutes et des ostéopathes; pour ces soins, ils réclament à l’assurance privée collective des montants annuels de 500$ par personne en moyenne. Même si le lien entre les douleurs et le travail est perçu par près des trois-quarts des techniciens, un sur dix seulement adresse une réclamation d’indemnisation à la CSST. D’après les réponses au questionnaire, les causes principales d’apparition ou d’aggravation d’un TMS seraient le transport de charges lourdes et les postures contraignantes. Les analyses descriptives multivariées indiquent que le stress et le fait d’occuper un poste exigeant de nombreuses heures de travail sont aussi des déterminants importants en ce qui concerne le nombre de TMS par personne. Les entrevues avec les techniciens expérimentés occupant des postes à risque confirment aussi que les TMS se concentrent là où il y a cumul de charge physique, de stress, d’horaires difficiles, de responsabilités, de complexité des tâches et de contraintes de temps.

Le taux de fréquence des accidents de 9% place les techniciens du cinéma au même niveau de risque que les professions dites « mixtes » qui combinent les tâches manuelles et non manuelles. Comme c’est le cas chez de nombreux travailleurs intermittents (« pigistes »), on observe une sous-déclaration importante des accidents : moins de la moitié des techniciens accidentés ont réclamé une compensation à la CSST, à la fois par impossibilité de s’absenter des plateaux de tournage, par manque de temps, manque de confiance dans le système d’indemnisation et crainte d’être étiqueté comme travailleur à problèmes. Les 189 cas d’accidents ont été regroupés en sept scénarios d’accidents-types , qui ne se produisent pas au hasard mais bien dans des lieux particuliers, en exécutant des gestes caractéristiques, et qui atteignent certains métiers plutôt que d’autres. Les contraintes de temps sont un facteur important dans la survenue des accidents, comme il l’est pour les TMS, en accord avec la littérature scientifique sur la question. On note aussi que les accidents surviennent surtout au cours de tâches secondaires, connexes aux tâches spécifiques, comme le transport de charges lourdes, les déplacements sur des terrains accidentés ou encombrés, les interférences avec d’autres métiers. Or, la formation professionnelle ne couvre pas la prévention de ce genre de risque.

Les techniciens en cinéma sont en majorité jeunes et célibataires. La disponibilité nécessaire pour travailler dans ce secteur et les horaires très longs qui y sont la norme ont pour conséquence que dans les périodes de tournage, beaucoup de besoins de la vie courante ne peuvent être satisfaits. Les techniciens sont en dette de sommeil, reportent à plus tard certaines démarches et négligent leur santé. À plus long terme, vouloir créer et maintenir une famille quand on travaille dans cette industrie constitue un défi majeur. La vie de couple est menacée, par manque chronique de temps et par le stress qui se répercute sur tous les aspects de la vie hors travail. Pour les mêmes raisons, la vie sociale et les loisirs sont souvent hypothéqués. Au fil de l’expérience, cependant, plusieurs techniciens décident d’adopter un mode de vie qui leur permet de continuer à travailler tout en préservant leur santé et en prenant le temps d’avoir une vie personnelle moins stressante. Cela nécessite souvent de renoncer aux sorties fatigantes et aux plaisirs coûteux, d’accepter une baisse de revenu (ou de pratiquer l’alternance du travail dans le couple) et de s’imposer une bonne dose d’organisation et de discipline en matière d’hygiène de vie. Il y a très peu de techniciens au-delà de 50 ans. Les exigences physiques, mentales, les pressions, l’usure, les blessures et les accidents opèrent une sélection telle que seuls les plus robustes subsistent. Le vieillissement se vit différemment selon le type de poste, selon qu’on y considère ou non l’avancée en âge comme une amélioration des compétences.

Ce rapport de recherche est destiné en priorité à un public d’utilisateurs sur le terrain. Il est conçu comme un document avec lequel les praticiens et les décideurs du secteur peuvent s’informer et travailler en y puisant leurs références et leurs arguments. Il se termine donc par une trentaine de recommandations techniques et organisationnelles, présentées en fonction des étapes principales de la production cinématographique et comportant aussi des recommandations d’ordre général et des propositions de recherche.

Mots-clés

Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Industrie cinématographique, Film industry, Aménagement du travail, Work design, Accident du travail, Occupational accident, Statistiques, Statistics, Critère de risque, Hazard criteria, Horaire de travail, Work time schedule, Travail temporaire, Temporary employment, Effet sur la famille, Effect on the family, Questionnaire

Numéro de projet IRSST

0099-0090

Numéro de publication IRSST

R-335

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