Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2003

Langue

Français

Résumé

Depuis les dernières décennies, les ergonomes sont appelés à non seulement réaliser des diagnostics, mais aussi à contribuer à l’implantation des recommandations qui en sont issues. Les ergonomes sont également de plus en plus nombreux à accompagner des projets d’entreprise : projets de construction de bâtiments, projets de réaménagement d’atelier, projets d’implantation de nouvelles technologies. Cette évolution de la pratique d’intervention se traduit par des développements théoriques et méthodologiques autour de la question suivante : comment intervenir dès la conception, afin de produire des situations de travail qui, tout en répondant à des critères de production, respectent la santé de ceux qui sont appelés à y œuvrer ?

Au cours des dernières années, nous avons mené des travaux visant à développer des moyens d’intervenir dans les processus de conception. Récemment, une recherche-intervention (Bellemare et coll., 2002) réalisée dans une entreprise de production de métal primaire, nous offrait la possibilité de suivre une variété de projets de transformation de situations de travail. La présente étude approfondit deux de ces projets qui portaient chacun sur la transformation d’équipement mobile : le poste d’opérateur de pont roulant et celui de conducteur de transporteur de creuset.

Dans les deux cas, des risques de troubles musculo-squelettiques ont d’abord été caractérisés par un diagnostic ergonomique. Une première analyse du travail a mis en évidence que ces problèmes découlent d’une part des postures contraignantes reliées à la recherche d’un champ de vision optimal par l’opérateur et d’autre part, à la répétition d’actions sur des commandes. Parmi les déterminants les plus importants de ces facteurs de risque on retrouve les caractéristiques des cabines de conduite. En effet, les possibilités limitées d’ajustement des différentes composantes du poste, la présence de vibrations lors des opérations et l’obstruction du champ visuel par des éléments de structure du véhicule représentent autant de pistes d’action pour l’amélioration des cabines et de là, pour la diminution des facteurs de risque de TMS.

Nous avons utilisé pour intervenir le modèle de l’activité future (Daniellou, 1987) et en particulier, le recours à des simulations de l’activité des opérateurs pour instruire les décisions prises par les responsables des projets. Compte tenu des contextes différents d’intervention, diverses techniques de simulation ont été utilisées : les cartes de visibilité réalisées par ordinateur; les simulations sur ordinateur en deux dimensions; les simulations animées sur ordinateur en trois dimensions; les simulations dynamiques avec une maquette grandeur réelle; les essais en situation de référence ; les essais en cours de fabrication et après implantation. Nous avons tenté de les mettre en perspective, de les discuter au regard de leur contribution aux résultats de ces deux projets. Une analyse ergonomique des nouvelles situations de travail issues de chacun des projets a été réalisée.

La méthodologie utilisée pour analyser chacune des interventions s’appuie sur un recueil des traces écrites produites au cours de chacun des projets : notes de terrain, outils préparés pour les simulations, comptes rendus de réunions. Les principales dimensions qui ont été documentées sont les suivantes : organisation de l’intervention (dispositif, acteurs, mandat des ergonomes); techniques utilisées et résultats produits par chacune d’elles. Chacune des interventions a ainsi été reconstituée dans son déroulement temporel et une première analyse intra-cas a permis de mettre en évidence les apports des différentes techniques utilisées dans le déroulement de chaque projet de transformation. Nous avons considéré aussi bien l’apport au processus technique de définition des situations de travail que l’apport au processus social de conception et à la conduite de projets. Une seconde analyse a été faite en tentant de faire ressortir les similitudes et les différences entre les deux cas. Nous avons ainsi défini six types d’apports au processus technique et cinq types d’apports au processus social.

La typologie des apports au processus technique est liée à la logique de la définition de la situation de travail : faire émerger les contraintes et les exigences du travail ; générer des propositions; mettre au jour les avantages et les inconvénients d’une nouvelle option; définir des spécifications, c’est-à-dire préciser un design/ des critères de conception/ calculer, mettre au jour des inexactitudes sur les plans. Outre cette dimension technique par laquelle se définit progressivement l’objet de la conception, le processus de conception comporte également une dimension sociale où de multiples interactions participent à la construction du futur. Ainsi, les différentes techniques ont pu contribuer à informer, convaincre, aider à la prise de décision, faire participer les acteurs et construire la crédibilité. Le recours aux simulations, s’il peut produire à l’occasion des résultats assez percutants qui amènent les concepteurs à modifier leurs propositions, peut aussi s’avérer utile pour avancer plus sûrement dans le processus de conception en confirmant la pertinence des choix de conception déjà faits.

Le recours à ces techniques ne nous permet pas de faire l’économie de l’analyse ergonomique du travail, bien que l’étude du travail accompli à des postes de conduite de véhicules présente plusieurs défis pour les ergonomes : la complexité et la diversité des tâches, la mobilité du poste de travail, les savoirs intériorisés et difficiles à faire verbaliser figurent parmi les difficultés rencontrées pour réaliser l’analyse du travail. Il peut s’ajouter à cela des difficultés d’observation liées à l’exiguïté des cabines.

Les deux contextes de conception dans lesquels nous sommes intervenus comportaient une différence importante. En effet, la reconception de la cabine du transporteur de creuset a été entreprise dans un objectif de réduction des risques auquel sont venues se greffer des considérations relatives à l’entretien, à la production. Dans le cas du changement du pont roulant, la conception visait avant tout un objectif de production auquel devaient s’arrimer les objectifs de réduction des risques. La principale conséquence pour l’intervention ergonomique est que, dans ce dernier cas, les critères de conception relatifs à l’activité de travail étaient au second plan si on les compare à ceux relevant des objectifs techniques.

La planification de l’intervention ergonomique s’organise autour de l’objet à concevoir. Dans le cas d’un véhicule, il faut avoir à l’esprit que si on attend de l’ergonome qu’il intervienne sur le poste de conduite, d’autres aspects sont également touchés au cours du processus de conception. Ainsi les éléments suivants de la situation de travail peuvent influencer de manière importante le résultat de la conception du poste de conduite : formation donnée aux opérateurs, parcours, vitesse, choix des autres composantes du véhicule (suspension, direction, système de freinage). Par ailleurs, les activités reliées à l’entretien du véhicule devraient également être traitées au cours de la conception.

Nous suggérons que se poursuive la recherche dans le domaine de l’ergonomie de conception et que soient rendus disponibles des outils d’aide à la décision pour aider les concepteurs dans leurs projets de transformation des situations de conduite. Par ailleurs, des travaux devraient être entrepris en interdisciplinarité afin que puissent être mieux prévenus les risques associés aux vibrations dans les véhicules.

Mots-clés

Conception du matériel, Design of equipment, Cabine de conduite, Drivers' cab, Simulation, Québec, Évaluation ergonomique, Ergonomic evaluation, Chariot automoteur, Industrial truck, Pont roulant, Overhead travelling crane, Bridge crane, Industrie de l'aluminium, Aluminium industry, Ergonomie, Ergonomics, Visibilité, Visibility, Vibration, Disposition des commandes, Layout of controls

Numéro de projet IRSST

0098-0450

Numéro de publication IRSST

R-329

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