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Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2002

Langue

Français

Résumé

Introduction

La question de la révision de la valeur d'exposition moyenne pondérée sur 8 h (VEMP) pour les sujets professionnellement exposés au styrène est en ce moment l’objet d’une attention particulière de la part des organismes réglementaires. La valeur de la VEMP au Québec est actuellement de 213 mg/m3 (50 ppm). Les effets neurotoxiques sont considérés comme les effets critiques. Certains auteurs proposent d’abaisser la VEMP suite à la mise en évidence d’effets neurotoxiques à l’occasion d’études effectuées chez des travailleurs de l'industrie du plastique renforcé de fibre de verre (IPRFV) où l’on a pris en considération que les concentrations moyennes pondérées (CMP). Nous avons constaté que des pics de concentration de styrène surviennent régulièrement dans cette industrie, qu'ils atteignent de 3 à 6 fois les CMP sur 8 h et que leur durée se situe souvent entre 15 et 30 minutes. Il nous apparaît évident qu'il n'est pas justifié d'établir un lien entre l’exposition et les effets observés en se basant uniquement sur les CMP sur 8 h. Ceci pourrait conduire à une mauvaise estimation de la concentration seuil de styrène engendrant des manifestations toxiques.

Le but de ce projet était de vérifier l’impact des pics de concentrations de styrène sur la toxicité du solvant chez des travailleurs exposés. Cela pourrait conduire à formuler une recommandation quant à l’utilisation de la valeur d’exposition moyenne pondérée sur 8 h ou de la valeur d’exposition de courte durée pour les sujets professionnellement exposés au styrène.

Nous effectuons le projet en deux phases. I. Durant la première phase - laquelle fait l’objet du présent projet - nous avons évalué les effets aigus chez des volontaires en utilisant une batterie des tests de neurotoxicité (Volet A). Parallèlement, nous avons effectué des mesures visant à caractériser le type d’exposition au styrène (concentrations moyennes et pics) dans diverses usines au Québec afin de sélectionner les travailleurs qui seront invités à participer à la deuxième phase du projet (Volet B). Durant la deuxième phase – laquelle fera l’objet d’une proposition subséquente – nous allons évaluer chez des travailleurs exposés en usine, si les effets chroniques peuvent être associés à des pics de concentrations.

Objectifs de la recherche

Objectif général :

Contribuer à l’analyse du risque toxicologique pour la santé découlant de l’exposition au styrène.

Objectifs spécifiques :

  1. vérifier si les effets neurotoxiques aigus sont liés à des pics de concentration de styrène chez des volontaires exposés à des CMP de styrène respectant les concentrations limites réglementaires actuelles;
  2. estimer la concentration de styrène dans certains compartiments de l’organisme liée à des effets observés en utilisant la modélisation toxicocinétique des concentrations du styrène dans l'organisme humain en relation avec des changements des concentrations du styrène dans l'air;
  3. formuler une recommandation quant à l’utilisation de la VEMP ou de la valeur d'exposition de courte durée (VECD) pour les sujets professionnellement exposés au styrène.
  4. caractériser le type d’exposition au styrène (c’est à dire les concentrations moyennes et pics) dans diverses usines au Québec afin de sélectionner les travailleurs qui seront invités à participer à la deuxième phase du projet, laquelle fera l’objet d’une proposition subséquente et où nous allons évaluer chez des travailleurs exposés en usine, si les effets chroniques peuvent être associés à des pics de concentrations.

Volet A : Exposition de volontaires en situation d’exposition contrôlée et modélisation

Évaluation des effets neurotoxiques

Méthodes

Nous avons recruté 42 volontaires (hommes en bonne santé, âgés entre 20 et 50 ans, fumeurs et non-fumeurs) provenant de milieux industriels sans exposition professionnelle ou extra-professionnelle à des neurotoxiques.

Les volontaires ont été soumis à cinq scénarios d’exposition au styrène. Chaque volontaire a été exposé à 6 occasions pendant 6 heures (3 concentrations stables + 2 concentrations variables; les concentrations moyennes pondérées [CMP] étaient identiques dans les deux situations). En tout temps, les concentrations sont demeurées à l’intérieur des valeurs admissibles d’exposition en vigueur au Québec (valeur d’exposition moyenne pondérée de 213 mg/m3, valeur d’exposition de courte durée de 426 mg/m3).

Scénario A. Exposition durant 6 heures à une concentration stable de styrène égale à 106 mg/m3.

Scénario B. Exposition durant 6 heures à une concentration moyenne égale à 106 mg/m3, avec des pics atteignant 213 mg/m3.

Scénario C. Exposition durant 6 heures à une concentration stable égale à 5 mg/m3 (1 ppm), à deux occasions différentes, soit les séances 1 et 6. Cette concentration correspond à une exposition « nulle ». Afin d’éviter que les volontaires ne sachent qu’ils ne sont pas soumis à une exposition au styrène, ce qui pourrait affecter les résultats des tests, nous avons choisi cette concentration qui génère une odeur détectable. Nous croyons que cette concentration ne produit aucun effet neurotoxique.

Scénario D. Exposition durant 6 heures à une concentration stable de styrène égale à 213 mg/m3.

Scénario E. Exposition durant 6 heures à une concentration moyenne de styrène égale à 213 mg/m3, avec des pics atteignant 426 mg/m3.

Le nombre de volontaires exposés à chaque séance a été de 5. Durant les expositions, les volontaires demeuraient assis et pouvaient s’adonner à des activités légères (p.ex., lecture). Au total, les volontaires ont été soumis à 6 séances d’exposition dans l’ordre suivant des scénarios : C, A, B, C, D, E. Cette étude a donc nécessité 42 séances d’exposition de 6 heures.

Les expositions ont été réalisées dans une chambre d’inhalation possédant un volume de 18 m3. La concentration de styrène dans la chambre a été vérifiée par deux méthodes distinctes. La première consiste à injecter, à des intervalles de 2 à 5 minutes, un volume précis d’air de la chambre (1ml) dans un chromatographe en phase gazeuse. La deuxième méthode permet de mesurer la concentration en continu à l’aide d’un spectrophotomètre à infrarouge de type Miran 1-A.

Les effets du styrène ont été évalués par le biais d'une comparaison intra-sujets; ainsi les performances obtenues aux tests passés avant l'exposition ont été comparées aux performances obtenues aux tests passés après les expositions aux différentes concentrations (moyennes et pics).

Les tests permettant d'évaluer les performances des sujets avant exposition ont été administrés le matin avant l'entrée dans la chambre. Pour chaque volontaire, il y a eu au moins 14 jours entre chaque journée d’exposition.

La batterie de tests contient les tests proposés par l’Organisation mondiale de la santé ainsi que des tests qui se sont montrés sensibles aux effets neurotoxiques.

Trois catégories d'épreuves ont été utilisées : des tests sensoriels, des tests neuropsychologiques et des questionnaires subjectifs d'évaluation. Les tests suivants (présentés par catégories) ont été utilisés:

Tests sensoriels

  1. vision des couleurs : capacité de discrimination chromatique - test de vision des couleurs désaturées Lanthony D-15
  2. vision des contrastes : seuils de sensibilité des contrastes mesurés par le test Vistech VCTS 6000
  3. perception olfactive : seuil de perception olfactif (Olfactory Threshold test no11TM, Olfactolabs, Berkeley, CA.)

Tests neuropsychologiques

Tous les tests neuropsychologiques ont été présentés par ordinateur, ce qui permet de garantir une standardisation stricte des conditions de passation. Les tests sont issus de la batterie SPES de Iregren et al., mise au point à l'Institut national de santé au travail de Suède. Les épreuves suivantes ont été proposées à chaque sujet :

  1. temps de réaction simple
  2. temps de réaction aux stimuli congruents
  3. vitesse perceptivo-motrice (test de substitution de symboles)
  4. empan de chiffres
  5. poursuite visuo-motrice

Questionnaires d'auto-évaluation

  1. Auto-évaluation de l'humeur: 12 adjectifs décrivant l'humeur sont proposés et le sujet doit dire, pour chaque descripteur, où il se situe par rapport à une échelle en 7 catégories allant de pas du tout à tout à fait.
  2. Auto-évaluation des symptômes: l’échelle d’évaluation des symptômes comprend 17 symptômes.

Résultats

Les analyses sont faites sur l’ensemble des sujets pour les scénarios 1 à 5. Les données de la première exposition au scénario 5 (première journée dans la cabine d’exposition) n’ont pas été retenues. Elles sont considérées comme le reflet de l’adaptation à la situation et de la familiarisation avec les différents tests. En ce sens, elles ne constituent pas des données valides.

En tout, 42 sujets ont participé à l’expérience. Cependant, seuls les sujets ayant participé à tous les scénarios d’exposition ont été retenus pour les analyses puisque ces dernières comparent entre elles les mesures provenant de chaque scénario. Les données manquantes sont dues soit à l’absence des sujets lors d’une séance, soit à des problèmes factuels d’enregistrement des mesures. Les données complètes sont disponibles pour 24 sujets.

Tests sensoriels

a) Vision des couleurs

Pour les mesures à l’œil droit, les données de 23 sujets sont disponibles alors que pour l’œil gauche les données de 24 sujets sont disponibles. Ni pour l’œil droit, ni pour l’œil gauche, on n’observe d’effet du moment de la mesure, du type d'exposition ou du niveau de concentration.

b) Mesure de la sensibilité visuelle aux contrastes

Les données de 27 sujets sont disponibles pour l’œil gauche et pour l’œil droit.

Les analyses n’indiquent aucun résultat significatif: la sensibilité aux contrastes ne varie ni avec le moment de la mesure, ni avec le type d'exposition, ni avec le niveau de concentration.

c) Mesure du seuil olfactif

On ne remarque aucun effet du moment de la mesure, du type d’exposition, ou du niveau de concentration.

Tests neurocognitifs

a) Temps de réaction simple

Les sujets (n=23) ne manifestent pas d’allongement des temps de réaction moyen (en millisecondes) calculé sur 5 minutes, quel que soit le moment de la mesure, le type d’exposition ou le niveau de concentration. Si l’on regarde de façon descriptive les résultats bruts, il semble y avoir une tendance à l’amélioration des temps de réaction. Cependant, cette différence est loin d’être statistiquement significative (p=0.5986). Une analyse a également été effectuée sur le temps de réaction de la dernière minute mais les résultats sont semblables. Les temps de réaction n’augmentent pas avec la fatigue. Le temps de réaction des sujets apparaît donc très stable.

b) Temps de réaction aux stimuli congruents: épreuve de vigilance

Deux mesures ont été prises pour vérifier l’état de vigilance : le temps de réaction et l’exactitude des réponses. En ce qui concerne le temps de réaction moyen pour les bonnes réponses, les sujets (n=23) ont une tendance significative (p < 0.0001) à réagir plus rapidement en fin de journée quel que soit le type d’exposition et le niveau de concentration. Il n’y a pas d’effet de ces deux dernières conditions.

Aucun effet significatif n’est observé dans l’analyse du nombre de bonnes réponses.

c) Vitesse perceptivo-motrice (test de substitution de symboles)

Il y a un effet significatif du type d’exposition (p < 0.0001) et du moment de la mesure (p < 0.05). Les sujets ont un temps de réponse plus rapide d’une séance à l’autre et plus rapide le soir que le matin. Ce résultat pourrait correspondre à un effet d’apprentissage de la tâche. Il n’y a pas d’effet significatif sur le nombre d’erreurs.

d) Empan de chiffres (test de mémoire de chiffres)

Les sujets (n=24) manifestent une tendance significative à augmenter le nombre rappelé avec les séances successives (p< 0.05). Il n’y a pas d’effet significatif du moment de la mesure ni du niveau de concentration.

e) Poursuite visuo-motrice

Aucun effet n’est observé chez les sujets (n=23).

Réponse des sujets aux questionnaires

a) Mesure de l’humeur

Les données de 23 sujets ont été analysées. Aucun effet n’est significatif, ni le mode, ni la dose, ni le traitement ne modifie l’humeur des sujets, que ce soit sur les aspects stress ou les aspects attention-vigilance.

b) Présence de symptômes

Les questionnaires sur les symptômes rapportés sont disponibles pour 23 sujets. Plusieurs sujets (de 14 à 17 sur 23 selon les journées) rapportent des symptômes lors de l’évaluation pré-exposition, le matin avant d’entrer dans la chambre d’inhalation. Étant donné ce fait, une analyse descriptive des changements du nombre de symptômes rapportés a été faite. Le nombre de sujets qui rapportent une augmentation des symptômes est équivalent (scénario 1 et 3) ou inférieur (scénario 2, 5 et 4) au nombre de sujets dont les symptômes n’augmentent pas ou diminuent. On ne peut donc pas conclure à un effet du styrène sur la présence de ces symptômes.

Discussion

Les résultats montrent que l’exposition à des concentrations moyennes de 25 ppm et de 50 ppm, diffusées de manière stable ou avec des pics, n’influence pas les performances neurosensorielles des sujets. Ni l’olfaction, ni la vision des couleurs, ni la discrimination des contrastes ne sont altérées par l’absorption à ces concentrations de styrène.

Ces résultats sont inattendus, étant donné que d’autres recherches ont montré que le styrène a des effets néfastes sur l’olfaction et la vision. Ces recherches comparaient des travailleurs en usine exposés à des travailleurs non exposés. La durée de l’exposition des travailleurs (plusieurs mois ou années) peut influencer les résultats. Dans ces recherches, les mesures sont le reflet d’une exposition à long terme.

Les sujets ayant participé à notre étude sont des travailleurs peu ou pas exposés à des solvants. Aucun n’est exposé au styrène. Les mesures prises reflètent donc l’effet d’une exposition limitée (6 h) se produisant de façon sporadique et non consécutive (minimum 14 jours entre les expositions). Les doses d’exposition sont conformes aux normes en vigueur. En ce sens, nos résultats montrent qu’une exposition faible aiguë et limitée au styrène, peu importe le scénario d’exposition (notamment avec ou sans pics), n’affecte pas les capacités sensorielles olfactives et visuelles.

Les résultats montrent également que les modes d’exposition au styrène tels que réalisés dans notre protocole n’affectent pas négativement au terme de 6 heures d’exposition les capacités cognitives des sujets, que ce soit la mémoire, les temps de réaction, l’attention et la concentration. Cependant restent à étudier les effets immédiats d’une exposition forte et limitée dans le temps au styrène sur les capacités cognitives des sujets. Les recherches utilisant des travailleurs en usine ne rapportent généralement pas de différence dans le fonctionnement cognitif entre les travailleurs exposés et les travailleurs non exposés au styrène. Cette partie de nos résultats n’est donc pas en contradiction avec les observations rapportées à propos des travailleurs exposés en usine.

Les résultats montrent que l’exposition au styrène telle que réalisée dans notre protocole n’a pas d’influence sur les variations de l’humeur. Ni l’état de stress ni l’état de l’attention ne sont modifiés par les types d’exposition et les modes de diffusion. De même, les différents scénarios d’expositions n’ont pas d’effet distinctif sur l’apparition des symptômes.

Pour les capacités cognitives comme pour les variations de l’humeur et des symptômes, une différence importante entre notre recherche en chambre d’inhalation et les recherches sur les travailleurs en usine tient vraisemblablement au fait que nos sujets n’ont exercé aucune activité physique durant la période d’exposition, avec une ventilation alvéolaire, un débit cardiaque, un débit sanguin et un état de fatigue différents des travailleurs. Ce facteur peut certainement influencer l’absorption du styrène de même que le niveau de fatigue. En ce sens, nos résultats ne sont pas comparables aux résultats obtenus avec des travailleurs en usine. Par contre, un des avantages majeurs de notre étude est l’excellent contrôle que nous avons exercé à tout moment sur les concentrations de styrène dans la chambre d’inhalation.

En résumé, plusieurs facteurs ont pu influencer les résultats de notre étude : le fait que les sujets n’aient jamais été exposés au styrène, le fait que la durée d’exposition n’ait que de 6 heures, et le fait que les sujets aient été au repos lors de l’exposition. Afin de corroborer nos résultats, une étude avec des travailleurs exposés en usine semble indispensable.

Conclusion

Les résultats de l’exposition au styrène en chambre d’inhalation montrent que dans les conditions d’exposition selon les quantités et les modalités prévues par notre protocole, les volontaires ne subissent pas d’effets neurotoxiques apparents. Des contrôles avec les mêmes conditions d’exposition devraient être effectués en respectant les autres conditions auxquelles les travailleurs sont soumises dans la réalité des usines.

Surveillance biologique d’exposition et la modélisation

Méthodes

Les expositions au styrène ont été réalisées suivant les scénarios décrits précédemment. L’exposition des sujets volontaires a été évaluée à partir de la mesure des métabolites urinaires du styrène [acide mandélique (AM) et acide phénylglyoxylique (AP)] de même que sur la détermination du styrène inchangé dans l’air alvéolaire. Des échantillons d’urine et d’air expiré (1 à 2 litres) ont été prélevés à divers moments durant chacune des séances d’exposition. Les métabolites du styrène ont été mesurés à l’aide de la méthode développée par les laboratoires de l’IRSST (Méthode # 106-1, 108-1) laquelle est basée sur la chromatographie liquide à haute performance (HPLC). Une fois le prélèvement d’air expiré complété, nous avons procédé à la mesure du styrène par chromatographie en phase gazeuse.

La cinétique du styrène chez les volontaires humains a été décrite à l'aide d'un modèle toxicocinétique à base physiologique (TCBP) que nous avons adapté à partir de celui proposé par Perbellini et coll. et Ramsey and Andersen, auquel nous avons ajouté un compartiment identifié au cerveau. Les équations différentielles utilisées ont été résolues à l'aide du logiciel ACSL (Pharsight Co. CA).

Conclusions

Les résultats de la surveillance biologique de l'exposition basée sur la mesure des métabolites urinaires montrent 1) que les valeurs varient considérablement (CV ≥ 30%) entre les individus et que, 2) les doses internes de styrène découlant de l'exposition aux deux concentrations stables sont pratiquement similaires à celles après exposition aux mêmes concentrations moyennes pondérées avec des pics de concentration.

La mesure de la concentration de styrène dans l'air alvéolaire bien que reflétant l'exposition interne au styrène, est difficilement interprétable; le modèle TCBP utilisé dans cette étude n'a pas permis de décrire adéquatement la cinétique du styrène dans ce compartiment.

Le modèle montre clairement que les concentrations de styrène dans le cerveau varient en fonction des divers scénarios testés dans cette étude, notamment en ce qui concerne l'impact rapide des pics d'exposition sur les niveaux de styrène inchangé estimés dans cet organe cible.

Finalement l'excrétion des deux principaux métabolites urinaires du styrène est décrite de façon relativement acceptable malgré une légère surestimation des valeurs prédites comparativement aux valeurs expérimentales.

VOLET B : Mesurage de l’exposition en milieu de travail

Méthodes

Nous avions prévu étudier l’exposition au styrène dans une dizaine d’usines. En plus de l’exposition chronique, il a été nécessaire d’établir le profil d’exposition au styrène de quelques travailleurs représentatifs de chacun des postes de travail à l’intérieur des usines étudiées afin d’établir avec précision, dans le temps, le nombre et le niveau des divers pics de concentration.

L’estimation de l’exposition au cours des dernières années des travailleurs de chaque usine a été effectuée à partir des données des mesurages effectués par les équipes du secteur public dans le passé et à partir de notre mesurage de la concentration moyenne sur 20 jours en poste fixe dans chacune des entreprises. Les concentrations de styrène à long terme ont été établies en échantillonnant l’air des locaux de travail pendant un mois dans au moins deux postes fixes dans chacune des dix usines à raison de huit heures par jour et cinq jours par semaine (ou selon l’horaire précis des entreprises en question). L’échantillonnage a été effectué en utilisant des canettes SUMMA selon une méthode élaborée par le United States Environmental Protection Agency telle que modifiée par Simon et Farant. Les canettes ont été placées le plus près possible des postes de travail des pulvérisateurs, des mouilleurs ou des lamineurs (2 mètres et plus du poste de travail). L’analyse du styrène a été faite par chromatographie en phase gazeuse.

La détermination de l’exposition des travailleurs aux pics de concentration de styrène a été faite lors d’une ou de deux journées de travail dans chacune des usines. Un chromatographe en phase gazeuse portatif a été utilisé à cette fin. L’appareil était couplé à un micro-ordinateur portable. Un technicien maintenait la sonde d’échantillonnage à tout moment le plus près possible de la zone respiratoire du travailleur. Tout au long de l’échantillonnage les diverses tâches effectuées par le travailleur visé ont été systématiquement notées en fonction du temps. Le chromatographe a été déplacé durant la journée pour permettre de suivre l’exposition de quelques travailleurs (notamment lamineur, peintre, débulleur, pulvérisareur). L’évaluation de l’exposition n’a été effectuée que chez des travailleurs ne portant pas de protection respiratoire contre le styrène.

Dans notre évaluation, nous avons comparé les concentrations moyennes mesurées pendant la durée des cycles avec la VECD de 426 mg/m3. Nous sommes conscient que la comparaison est approximative car la VECD est réglementée pour la durée de 15 minutes. Dans notre étude, la durée des cycles variait entre 3 et 67 minutes avec 66 % des cycles d’une durée de < 15 min, 26 % entre 15 et 30 min et seulement 8 % de > 30 min. Donc, dans la majorité de cas la concentration moyenne de 15 minutes devrait être plus basse car ce n’est que pendant ces cycles de travail où les travailleurs sont exposés à des plus hautes concentrations de styrène.

Également des expositions moyennes (mesurées avec les dosimètres passifs) durant la demi-journée de travail (à l'exception de l'entreprise E où la durée était de 8 heures) étaient comparées avec la VEMP de 8 heures (213 mg/m3) en supposant que ces concentrations sont représentatives de l'exposition pendant toute la journée de travail.

Les concentrations de courte durée (mesurées avec la micro-GC) qui ont dépassé 2 fois et plus la concentration moyenne de la journée, mesurée chez des travailleurs directement exposés dans l’entreprise (dernière mesure parmi des données historiques), étaient considérées comme des « pics de concentration ». Cette décision est justifiée par le ratio entre la VECD et la VEMP qui égale aussi 2.

Suite à l’évaluation de l’exposition, les travailleurs ont été classés dans un des 4 groupes qui seront formés pour la deuxième partie de notre étude : groupe faiblement exposé (½ VEMP) sans les pics, groupe faiblement exposé (½ VEMP) avec les pics, groupe fortement exposé (VEMP) sans les pics et groupe fortement exposé (VEMP) avec les pics.

Conclusion

L’exposition des travailleurs a été évaluée dans 10 entreprises québécoises. Parmi ces entreprises, une est la grande taille (45 travailleurs directement exposés), quatre sont de taille moyenne (14 à 19 travailleurs directement exposés) et cinq de petite taille (1 à 7 travailleurs directement exposés). Les entreprises produisent des pièces d’autobus et de camions, des bains et des douches, des bateaux, des balcons, des glissades et des escaliers. Le procédé de laminage utilisé consiste à déverser la résine manuellement ou avec un dispositif hydraulique. On peut aussi projeter la résine à l’aide d’un pistolet guidé manuellement ou robotisé. Toutes les entreprises utilisent une résine avec une concentration de styrène variant entre 20 et 80 %. Cinq entreprises utilisent un système de ventilation locale et générale assurant les mêmes conditions d’exposition des travailleurs en été et en hiver.

Les données historiques sur l’exposition des travailleurs ont démontré que dans une entreprise l’exposition moyenne des travailleurs est à la moitié de la VEMP, dans 3 entreprises, elle est au niveau de la VEMP et dans six entreprises, elle dépasse la VEMP. Dans deux entreprises, l’exposition moyenne est le double de la VEMP et dans une entreprise elle dépasse 2,6 fois la VEMP.

Notre mesurage des expositions de courte durée (mesurages pendant les différents cycles de travail d’une durée variant entre 3 et 88 minutes) a démontré que dans 7 entreprises les concentrations moyennes pendant certains cycles ont dépassé la VECD, dont dans quatre entreprises, plus de deux fois cette valeur.

Des pics de concentration importants (plus du double de la concentration moyenne de 8 heures) ont été mesurés dans 8 entreprises. Les pics ont atteint jusqu’à 16 fois la VEMP. La durée de pics variait entre 2 et 17 minutes, dont la majorité entre 2 et 5 minutes.

Dans une entreprise avec une concentration moyenne de la moitié de la VEMP, les concentrations de pics ont atteint 1781 mg/m3 (4 fois la VECD) indiquant que la mesure des concentrations moyennes de 8 heures avec les dosimètres passifs n’est pas toujours suffisante pour évaluer l’exposition des travailleurs. Dans certains cas, l’exposition de courte durée peut largement dépasser la VECD même dans les entreprises où la concentration moyennes de 8 heures et bien au-dessous de la VEMP.

Nos mesures des expositions moyennes sur 12 à 21 jours, en utilisant les canettes SUMMA en poste fixe (distance de 2 mètres et plus du poste de travail), ont montré que les concentrations moyennes de styrène dans les aires de travail des travailleurs directement exposés sont 2 à 10 fois plus basses que les concentrations moyennes mesurées avec les dosimètres passifs dès qu’on s’éloigne de 2 à 5 mètres du poste de pulvérisation, de laminage ou de mouillage. On ne peut donc pas utiliser cette méthode (SUMMA) pour l’évaluation de l’exposition des travailleurs directement exposés.

À partir des données recueillies sur l’exposition des travailleurs, nous pourrons inclure dans la deuxième phase de notre étude approximativement 50 sujets dans le groupe fortement exposé (VEMP) sans pics, une vingtaine de sujets dans le groupe fortement exposés avec des pics et une quinzaine de sujets dans le groupe faiblement exposé (½VEMP) sans pics. Il faudra poursuivre la recherche dans d’autres usines pour trouver des sujets faiblement exposés sans et avec des pics.

Compte tenu des résultats, les efforts de prévention visant la réduction à la source des émanations de styrène doivent se poursuivre.

Mots-clés

Plastique renforcé aux fibres de verre, Glass fibre reinforced plastic, Styrène, CAS 100425, Effet neurotoxique, Neurotoxic effect, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Détermination de la concentration, Determination of concentration, Test d'exposition, Exposure test, Analyse par comparaison, Comparative analysis, Québec

Numéro de projet IRSST

0098-0150

Numéro de publication IRSST

R-309

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