Incapacité due à un trouble musculosquelettique : les inquiétudes liées à l'environnement de travail
Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2020
Langue
Français
Résumé
Environ une personne sur trois dans le monde vivrait avec un trouble musculosquelettique (TMS) persistant. Plusieurs auteurs soulignent l’influence significative des facteurs psychosociaux, dont l’anxiété, sur le développement de l’incapacité prolongée. Associées à l’anxiété, des inquiétudes excessives ont été documentées chez des travailleurs ayant une douleur persistante d’origine musculosquelettique. Les inquiétudes ne favorisent pas l’adaptation en contexte d’une situation problématique. Cependant, aucune étude n’a jusqu’à présent tenté de comprendre ces inquiétudes, en lien avec l’environnement de travail. Une meilleure compréhension de ce phénomène semble un incontournable pour offrir une action mieux ciblée aux travailleurs ayant une incapacité au travail prolongée.
Dans une perspective plus globale de favoriser un retour au travail rapide et durable, l’objectif général de cette étude consistait à identifier des pistes d’action pour l’intervention en réadaptation au travail, en étudiant les inquiétudes comme source d’information pour déterminer des facteurs pertinents à considérer lors du retour au travail (RT). Pour ce faire, deux objectifs spécifiques ont été poursuivis, soit 1) approfondir, en interaction avec l’environnement de travail, les inquiétudes des travailleurs, l’intensité et l’interférence de celles-ci avec le RT, 2) élaborer des pistes d’action pour guider l’intervention en réadaptation au travail pour un trouble musculosquelettique (TMS).
Une étude exploratoire avec un devis mixte a été retenue, selon une perspective pragmatique (Creswell, 2003). Principalement, pour l’objectif 1, un devis observationnel et prospectif à mesures répétées avec questionnaires autoadministrés auprès de travailleurs aux prises avec une incapacité prolongée due à un TMS a été utilisé. Aussi, des données qualitatives visaient à approfondir la compréhension du phénomène à l’étude. Les critères d’inclusion étaient : 1) avoir un TMS ayant causé une absence du travail de plus de 3 mois du poste de travail régulier et recevoir des indemnités de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST); 2) être âgé de 18 à 64 ans; 3) parler le français ou l’anglais; 4) avoir dans son plan de traitement un retour thérapeutique au travail (RTT) ou avoir comme objectif dans son programme de réadaptation un RT. Les facteurs d’exclusion étaient : 1) avoir un TMS relié à une pathologie spécifique (ex. : fracture récente, maladie métabolique, néoplasie inflammatoire ou infectieuse de la colonne vertébrale); 2) présence de troubles mentaux sévères (ex. : trouble de personnalité dans le regroupement A du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) (American Psychiatric Association, 2000), soit personnalité de type paranoïde, schizoïde ou schizotypique, épisode psychotique présent ou passé) inscrit au dossier médical.
Pour l’objectif 2, un sondage auprès de cliniciens en réadaptation au travail a permis d’approfondir la perception de clarté, de pertinence, d’exhaustivité et de faisabilité des pistes d’action découlant des résultats de l’objectif 1. Ceux-ci devaient avoir une expérience de travail de plus de deux ans auprès d’une organisation qui offre un programme de réadaptation au travail à une clientèle indemnisée en raison d’un TMS lié au travail.
Pour l’objectif 1, un total de 80 travailleurs a accepté de participer à l’étude dont 56 d’entre eux ont complété le dernier temps de mesures à la fin de leur programme de réadaptation au travail, pour les principaux facteurs à l’étude. Le modèle final prédictif du non-RT à la fin du programme de réadaptation au travail est hautement significatif. Il explique 54 % de la variance du non-RT (Pseudo R2 = 0,54; p <.0001). Les deux principaux facteurs significativement associés au non-RT à la fin de la prise en charge sont la marge de manœuvre au travail (MMT) et la présence d’inquiétudes intenses rapportées par les travailleurs. En l’absence de MMT durant le suivi, les travailleurs ont 8,52 fois moins de chance de retourner au travail. En présence d’inquiétudes intenses, les travailleurs seraient deux fois plus à risque de ne pas retourner au travail. Les autres facteurs également associés au non-RT sont l’intolérance à l’incertitude, la perception qu’il est utile de s’inquiéter et finalement l’intensité de l’anxiété généralisée. Des analyses subséquentes ont permis d’observer qu’un manque de MMT est associé aux inquiétudes du travailleur par rapport à son épisode d’incapacité ou de son RT. En effet, celui-ci considère que son inquiétude provient d’une situation actuellement liée au travail et pour laquelle il estime vivre un niveau d’incertitude élevé.
L’entrevue ayant servi à dépister les troubles psychologiques au premier temps de mesure permet d’observer que 71 % des travailleurs éprouvent, à un niveau clinique ou sous-clinique, des difficultés psychologiques. De ce nombre, la majorité des participants rapporte des difficultés, principalement en lien avec leur épisode d’incapacité.
En ce qui a trait à l’objectif 2, il a été possible de dégager six pistes d’action pour la pratique de la réadaptation au travail à partir des résultats obtenus à l’objectif précédent. Celles-ci portaient, entre autres, sur le besoin d’évaluer les inquiétudes des travailleurs ou de favoriser une marge de manœuvre au travail. Les pistes d’action ont été soumises à 10 cliniciens. Globalement, les cliniciens ont indiqué des niveaux d’accord acceptables en ce qui concerne la clarté, la pertinence et la faisabilité. La faisabilité a obtenu des résultats plus faibles, mais toujours acceptables. Cela a particulièrement été observé pour trois pistes d’action avec des résultats inférieurs à 3 sur 4. Pour l’exhaustivité, quelques cliniciens ont fourni des commentaires ou des suggestions. Essentiellement, ces commentaires font ressortir le besoin d’opérationnaliser certaines pistes qui leur semblaient plus difficiles à circonscrire. Il a aussi été suggéré d’inclure les autres acteurs, comme l’employeur ou l’assureur afin de tenir compte des contraintes légales inhérentes à certaines actions. Le besoin de formation a aussi été soulevé.
Très peu d’études ont porté sur les difficultés psychologiques des travailleurs en tenant compte de leur incapacité au travail prolongée due à un TMS. La présente étude apporte une compréhension plus précise des inquiétudes vécues par les travailleurs. Une contribution importante est d’avoir mis en lumière que les inquiétudes rapportées par les travailleurs sont actuelles et liées au travail. De plus, ces observations sont corroborées par les ergothérapeutes qui ont identifié les mêmes enjeux en plus d’une faible MMT. Des pistes ont été formulées et, de façon exploratoire, elles ont été jugées pertinentes, claires et acceptables.
Abstract
Approximately one person in three worldwide appears to live with a persistent musculoskeletal disorder (MSD). A number of authors point out the significant influence of psychosocial factors, including anxiety, on the development of long-term disability. Excessive worries, which are associated with anxiety, have been documented in workers with persistent musculoskeletal pain. Such worries do not promote adaptation in problematic situations. To date, no study has attempted to understand these worries in relation to the work environment. Yet a better understanding of this phenomenon appears essential if we are to offer more effectively targeted actions for workers with long-term work disabilities.
From a broader perspective of facilitating a prompt and sustainable return to work, the general objective of this study was to develop courses of action for work rehabilitation interventions by studying worries as a source of information for determining the pertinent factors to consider during the return to work (RTW). Two specific objectives were pursued to this end: (1) to examine workers’ worries in greater depth and in relation to the work environment, as well as the intensity of these worries and their interference in the RTW process, and (2) to develop courses of action to guide work rehabilitation interventions for workers with MSDs.
An exploratory study with a mixed-methods design was conducted, using a pragmatic approach (Creswell, 2003). An observational and prospective repeated-measures design, with questionnaires self-administered by workers with a long-term disability resulting from an MSD, was used for objective 1. Qualitative data were also collected to acquire a deeper understanding of the phenomenon under study. Participant inclusion criteria were (1) having an MSD that resulted in a sick leave of more than three months from a regular job and receiving compensation from Québec’s workers’ compensation board (the Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, or CNESST); (2) aged 18 to 64 years; (3) able to speak French or English; and (4) having a therapeutic return to work (TRTW) included in the treatment plan, or RTW included as an objective of the rehabilitation program. Exclusion criteria were (1) having an MSD related to a specific pathology (e.g. recent fracture, metabolic disease, inflammatory or infectious neoplasia of the spinal column) and (2) the presence of a severe mental disorder (e.g. personality disorder in Cluster A of the Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-IV) (American Psychiatric Association, 2000), i.e. paranoid, schizoid or schizotypal personality disorder or a past or present psychotic episode) in their medical record.
For objective 2, a survey of work rehabilitation clinicians shed more light on their perception of the clarity, pertinence, exhaustiveness and feasibility of the courses of action derived from the results of objective 1. These clinicians had to have more than two years of work experience in an organization offering a work rehabilitation program to clients compensated for a work-related MSD.
For objective 1, a total of 80 workers agreed to participate in the study. Fifty-six of them completed the last measure at the end of their work rehabilitation program, for the main factors under study. The final predictive model of non-RTW at the end of the work rehabilitation program was highly significant. It explained 54% of the variance in non-RTW (Pseudo R2 = 0.54; p <.0001). The two main factors significantly associated with non-RTW at the end of case management were the margin of manoeuver at work (MMW) and the presence of worker-reported intense worries. When MMW was absent during follow-up, the workers were 8.52 times less likely to return to work. When intense worries were present, the workers were twice as likely not to return to work. The other factors also associated with non-RTW were intolerance of uncertainty, the perception that it was useful to worry, and lastly, the intensity of the generalized anxiety. Subsequent analyses revealed that a lack of MMW was associated with the workers’ worries about their disability episode or RTW. In fact, they considered that their worry stemmed from a situation currently related to work and saw themselves as experiencing a high level of uncertainty in this regard.
The screening interviews conducted for psychological disorders at the time of the first measure revealed that 71% of the workers experienced psychological difficulties at clinical or sub-clinical levels. The majority of these participants reported difficulties related mainly to their disability episode.
Regarding objective 2 and based on the results obtained in the previous objective, six courses of action were developed for the practice of work rehabilitation. They concerned among other things, the need to evaluate workers’ worries and to promote a margin of manoeuver at work. These courses of action were submitted to 10 clinicians. Overall, the clinicians indicated acceptable levels of agreement with their clarity, pertinence and feasibility. While the feasibility results were lower, they were still acceptable. This was particularly true for three courses of action with levels of agreement lower than 3 out of 4. Regarding exhaustiveness, a few clinicians made comments or suggestions. Essentially, they highlighted the need to operationalize certain courses of action that they saw as difficult to define with precision. They also suggested including other actors, such as employers or insurers, to factor in the legal constraints inherent in certain actions, and raised the need for training.
Very few studies have examined workers’ psychological difficulties in light of their long-term work disability resulting from an MSD. This study provides a more nuanced understanding of the worries experienced by such workers. One of its major contributions is that it highlighted the fact that the worker-reported worries were current and work-related. These observations were also corroborated by the participating occupational therapists, who identified the same issues, as well as low MMW. Several courses of action were formulated, and on an exploratory basis, were deemed pertinent, clear and acceptable.
ISBN
9782897970918
Mots-clés
Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Réadaptation professionnelle, Vocational rehabilitation, Aspect psychosocial, Psychosocial aspect, Absentéisme maladie, Sickness absenteeism, Esprit de sécurité, Safety consciousness, Comportement humain, Human behaviour, Maintien en emploi, Job maintenance, Milieu du travail, Work environment, Enquête par questionnaire, Questionnaire survey, Organisation de la prévention dans l'entreprise, Plant safety and health organisation
Numéro de projet IRSST
2013-0041
Numéro de publication IRSST
R-1058
Citation recommandée
Coutu, M.-F., Durand, M.-J., Nastasia, I., O'Hagan, F., Gosselin, P., Labrecque, M.-É., . . . Berbiche, D. (2020). Incapacité due à un trouble musculosquelettiques : les inquiétudes liées à l'environnement de travail (Rapport n° R-1058). IRSST.