Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
1993
Langue
Français
Résumé
Les valeurs limites tolérables d'exposition à des contaminants présents dans l'air (TLV) ont été établies pour des périodes travail d'une durée de 8 heures par jour et ce, pour des semaines comptant 5 journées consécutives de travail. Compte tenu de popularité croissante des horaires de travail non conventionnels, particulier de ceux résultant en un prolongement de la durée d'exposition à des contaminants, il est important de développer des stratégies visant à adapter les valeurs limites tolérables à cette nouvelle réalité.
L'objectif du présent travail est de présenter une analyse critique des principales approches de conversion des valeurs limites tolérables des contaminants dans l'air (TLV) pour ajuster celles-ci des horaires de travail non conventionnels; 1'analyse critique couvrira également l'opportunité d'ajuster, pour les mêmes raisons, le pendant biologique des TLV, soit les valeurs limites tolérables d'exposition à des contaminants dans les milieux biologiques (ELV).
Durant la dernière décennie, un certain nombre de méthodes permettant d'effectuer un ajustement des TLV ont été développées. Deux de ces méthodes sont de type mathématique et elles sont relativement simples: l'une est basée sur la loi de Haber, l'autre est identifiée du nom de ses auteurs, Brief et Scala. D'autres méthodes, plus élaborées, font appel à des approches pharmacocinétiques: modèles cinétiques à compartiments, pour les unes, et modèles cinétiques à base physiologique, pour les autres. Une comparaison des avantages et des inconvénients de chacune de ces méthodes révèle que:
- la méthode basée sur la loi de Haber est très simple d'utilisation, puisqu'elle corrige de façon directe, proportionnellement à l'allongement de la période de travail. Cependant elle ne tient nullement compte de la réalité biologique, c'est-à-dire du raccourcissement de la période de récupération entre les quarts de travail, lequel raccourcissement est susceptible de conduire à une augmentation de la charge corporelle due au contaminant;
- la méthode de Brief et Scala, quant à elle, prend en considération le raccourcissement de la période de récupération, mais non la demi-vie biologique des contaminants. De toutes les méthodes, c'est la plus exigeante, c'est-à-dire c'est elle qui résulte en l'abaissement le plus considérable de la TLV, une fois l'ajustement effectué;
- la méthode pharmacocinétique à compartiments repose sur un principe toxicologique voulant que la charge corporelle maximale due à un contaminant soit, de quelque façon, reliée à la demi-vie biologique d'un contaminant, à la durée de l'exposition et à celle de la période de récupération entre les quarts de travail. L'ajustement qui en résulte est moins conservateur et plus précis que ce n'est le cas avec les méthodes précédentes. De plus, sur la seule base de la durée de la demi-vie biologique, cette méthode permet d'identifier les situations où un ajustement de la TLV ne sera pas nécessaire. Par ailleurs, elle comporte certaines lacunes: 1) ce n'est pas chose facile, en effet, de déterminer la demi-vie biologique réelle d'un contaminant chez l'humain; 2) la méthode simplifie parfois à l'extrême la complexité des mécanismes assurant l'absorption, la distribution et l'élimination des contaminants; 3) l'assujettissement de la méthode à une donnée telle la charge corporelle maximale, en tant qu'indicateur de risque toxique, met l'accent de façon trop considérable sur un paramètre à dimension ponctuelle, alors que l'idéal serait de prendre en considération un paramètre reflétant mieux l'ensemble de la cinétique d'un contaminant;
- la méthode pharmacocinétique à base physiologique est celle qui se rapproche le plus de la réalité biologique. Elle s'appuie en effet sur un ensemble de données reflétant les caractéristiques physico-chimiques des contaminants, les particularités physiologiques des organes perfusés par le sang et la capacité des systèmes de transformation métabolique et d'excrétion des contaminants. La base d'ajustement de la TLV n'est plus la demi-vie biologique, mais la concentration tissulaire (dose interne) intégrée pour toute la durée d'exposition, que l'on conçoit être un indicateur fiable du risque toxique. A l'aide d'un logiciel approprié, et en faisant appel à des données de la littérature, nous avons fait l'exercice de simuler, par modélisation pharmacocinétique à base physiologique, des expositions de durée variable à quelques solvants: nous présentons les résultats de la simulation sous la forme de valeurs TLV ajustées à des horaires de travail de 12 heures.
La principale lacune à l'exploitation élargie de cette méthode réside dans l'absence relative de données toxicologiques permettant de relier la dose interne à un niveau donnée d'atteinte toxique dans les tissus-cibles. Cette lacune n'est toutefois pas propre à cette méthode, mais elle n'est que plus évidente dans le cas de celle-ci du fait de la nature même des composantes du modèle pharmacocinétique à base physiologique.
Dans le contexte du mandat institutionnel de 1'IRSST, la méthode pharmacocinétique à base physiologique est définitivement celle qui doit retenir l'attention: elle est celle dont l'assise scientifique est la plus poussée, et le mieux adaptée à la réalité biologique de l'organisme humain; c'est aussi celle qui offre le champ de recherche avec le potentiel de fécondité le plus élevé.
La toxicologie moderne offre donc des outils fort utiles pour l'ajustement des TLV dans les cas d'horaires de travail non conventionnels. Par ailleurs, il ne s'avère pas nécessaire de procéder à pareils ajustements pour les valeurs limites tolérables d'exposition dans les milieux biologiques (BLV). La BLV est assimilable, en effet, à une valeur seuil en rapport avec un effet toxique, et cette valeur ne peut être modifiée par les circonstances entourant l'exposition, pour autant que la valeur BLV possède la dimension d'une concentration et soit déterminée à partir d'un milieu biologique tel le sang et l'air expiré. Par contre, si la valeur BLV possède la dimension d'une quantité, ce qui est le cas pour une mesure d'excrétion urinaire, il importe alors de réévaluer systématiquement ces valeurs limites.
En guise de conclusion, il est suggéré à l'IRSST:
- d'encourager l'utilisation de la méthode pharmacocinétique à base physiologique pour procéder à l'ajustement des TLV dans les cas d'horaires non conventionnels;
- de faire connaître qu'il existe ici même au Québec une expertise scientifique permettant d'effectuer de tels ajustements;
- de faire effectuer des recherches sur différents aspects de la méthode pharmacocinétique à base physiologique: aspects portant sur le développement d'outils méthodologiques ou analytiques plus efficaces, et aspects portant sur l'application de la méthode la solution et à l'interprétation de cas complexes d'exposition à des contaminants. Des suggestions spécifiques quant aux sujets de recherche à privilégier sont formulées au chapitre 6 du présent document.
Mots-clés
Détermination des limites d'exposition, Determination of exposure limits, Valeur-seuil, Threshold limit value, Durée du travail, Hours of work, Limite tolérable, Permissible level, Horaire de travail, Work time schedule, Prédiction mathématique, Prediction formulae, Pharmacocinétique, Pharmacokinetics, Valeur-seuil biologique, Biological threshold limit
Numéro de projet IRSST
0088-0150
Numéro de publication IRSST
R-070
Citation recommandée
Brodeur, J., Krishnan, K. et Goyal, R. (1993). Analyse critique portant sur la conversion des valeurs limites tolérables dans l'air (TLV) et des valeurs limites tolérables dans les milieux biologiques (BLV) en vue de les adapter à des horaires de travail non conventionnels (Rapport n° R-070). IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/945
