Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2016
Langue
Français
Résumé
Les questions de recrutement et d’intégration d’une nouvelle main-d’oeuvre sont au coeur des préoccupations des entreprises minières qui font face au départ à la retraite de la génération des bébé-boumeurs, à la mobilité de la main-d’oeuvre et à des périodes de croissances liées à l’effervescence du marché dans le secteur. C’est dans ce contexte qu’une demande a été formulée par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur minier (APSM) à un groupe de chercheurs pour documenter les conditions favorisant une intégration sécuritaire et compétente des nouveaux mineurs notamment celles aidant à la transmission des savoirs entre travailleurs expérimentés et nouveaux travailleurs.
Le projet a été réalisé dans cinq mines, deux à ciel ouvert et trois souterraines, qui ont accepté sur une base volontaire de participer à cette étude. Le processus d’intégration a été étudié pour les postes d’entrée d’opérateur d’équipement minier affecté à la conduite de camion à benne, de préposé au camion de service et de mineur d’entretien. Des situations de formation à la tâche lors d’ascension vers les postes plus spécialisés tels que boulonneur et opérateur de chargeuse assigné à la production ont aussi été objets de l’étude.
Une approche par étude de cas (Yin, 1994) a été retenue. Les cas ont été documentés principalement au moyen d’entretiens (n=115) et par des observations d’activités de travail et de compagnonnage (durée équivalant à 29 jours). Le dispositif mis en place pour soutenir l’intégration est décrit à travers un examen de l’organisation, du fonctionnement des sites et de l’analyse ergonomique de l’activité de travail des personnes qui participent au processus. Par cette approche, nous avons tenté de dégager les conditions pouvant avoir une influence sur ce processus.
Les expériences vécues dans les sites miniers montrent que peu de temps sépare l’annonce de décisions importantes concernant la production et le déploiement des actions nécessaires pour la mise en opération. C’est souvent dans ce contexte que les gestionnaires doivent procéder à l’embauche et à l’intégration de travailleurs bien que les mines doivent aussi combler les besoins courants de personnel. Chaque mine possède un dispositif d’intégration des nouveaux travailleurs qu’elles bonifient et structurent à travers le temps. L’étape de l’accueil du nouvel employé, souvent jugée beaucoup trop chargée, vise à faire connaître en peu de temps l’entreprise, mais aussi nombre de règles et de procédures. Après diverses formations notamment sur les équipements utilisés, le nouveau travailleur est formé à la tâche par un collègue plus expérimenté; le contexte de mouvement de la main-d’oeuvre fait en sorte que ce dernier a parfois à peine quelques mois d’expérience. Selon la mine concernée, cet apprentissage du métier peut prendre plusieurs formes : de compagnonnage structuré réalisé dans un contexte facilitant (ex. contenu défini à couvrir, durée minimale, compagnon reconnu par l’organisation, pas d’attente particulière de production, compensation monétaire au compagnon pour le boni non cumulé, etc.) à un jumelage déterminé le matin même dans un contexte pouvant limiter les possibilités de transmission (ex. : le travailleur expérimenté n’a pas de statut reconnu, le nouveau travailleur prend la place d’un travailleur expérimenté pour des tâches effectuées normalement en équipe de deux, les objectifs de production ne sont pas révisés, pas de compensation pour la rémunération perdue, etc.). Ce sont en général des formateurs-cadres ayant une grande expérience des activités de la mine qui assurent la responsabilité d’accréditer les nouveaux travailleurs; une tendance émerge toutefois, en raison du manque de personnel : avoir recours à des formateurs hors mineset donc moins familiers avec le contexte. Quant au suivi formel après la formation, il constitue une préoccupation pour les mines, mais demeure actuellement peu développé.
Dès son entrée à la mine, le nouveau travailleur est plongé dans une culture d’entreprise où la SST constitue une préoccupation majeure notamment par le souci de faire preuve de diligence raisonnable (réf. loi C-21). Cependant, les attentes de production, la rémunération au rendement, la valorisation de la débrouillardise, la précarité d’emploi, les nombreuses procédures, dont certaines ne sont pas à jour, figurent au nombre des facteurs pouvant compromettre les actions de prévention souhaitées, nommément durant l’intégration. Les nouveaux travailleurs éprouvent des difficultés communes lors de leur intégration, par exemple : le cumul des nouveautés à apprendre en peu de temps, la connaissance des lieux, du matériel, des modes de communication, la planification du travail, la lecture du terrain, l’analyse et la résolution de problème. Or, les éléments explicitement mentionnés sur les feuilles de route de formation sont souvent en lien avec le développement des habiletés pour contrôler les équipements et l’assimilation des procédures sécuritaires, mais touchent plus rarement les aspects telles la planification et la résolution de problème. Les situations vues durant la formation à la tâche sont donc déterminantes pour développer ces habiletés; le compagnon joue un rôle important en ce sens notamment en cherchant des « places payantes » pour le nouveau, et le personnel-cadre y contribue en soutenant ces démarches. Seul à son poste après la formation, le nouveau est confronté à des situations inédites et désire montrer qu’il est maintenant capable de les maîtriser; préoccupé par la production il mentionne le stress vécu. La communication joue un rôle important dans cette transition où le nouveau poursuit ses apprentissages; elle s’avère plus naturelle et facile dans les mines à ciel ouvert puisque les membres du collectif travaillent à proximité les uns des autres.
Les conditions influençant le processus d’intégration des nouveaux travailleurs se situent donc à différents niveaux organisationnels, soit ceux du collectif de travail, de l’organisation du département mine, de l’organisation de l’entreprise et même de l’organisation du secteur minier lui-même. Cinq constats tirés des études de cas ont guidé la formulation des pistes d’intervention présentées à la fin du rapport et dont une part fait partie des pratiques actuelles de certains sites miniers. Compte tenu de l’importante mobilité interne de la main-d’oeuvre, des exigences de polyvalence, des impératifs de la production et de la variabilité des situations de travail :
- La formation des nouveaux travailleurs n’est pas qu’une activité ponctuelle ciblée dans le temps, elle représente une activité courante qui fait partie intégrante des opérations minières quotidiennes;
- Un nouveau travailleur n’est pas seulement un employé nouvellement embauché, mais il caractérise aussi les employés qui débutent à un autre poste; les personnes qui reprennent le travail après une longue absence; les employés qui assurent la relève sur des postes et ceux qui n’y ont pas travaillé depuis un certain temps;
- Les postes d’entrée sont plus complexes à apprendre qu’il n’y paraît et les conditions d’organisation de la production influencent les conditions d’apprentissage;
- Une part très importante de la formation au métier et du soutien à l’intégration est assumée par des travailleurs expérimentés auxquels on demande de transmettre leurs savoirs d’expérience. Cette activité de compagnonnage se poursuit de façon informelle après la formation prévue par le dispositif d’accueil et d’intégration. Ce complément essentiel est toutefois plus ou moins reconnu dans les sites miniers;
- La conduite des projets d’investissement peut créer des conditions qui fragilisent les dispositifs d’accueil et de formation des nouveaux travailleurs mis en place par les entreprises, et génèrent des impacts possibles à la fois sur la santé et la sécurité des travailleurs et sur la productivité.
Les résultats de cette étude montrent que les dispositifs élaborés pour soutenir l’intégration des nouveaux ne peuvent se limiter à mieux structurer la formation. Ils concernent l’ensemble de l’organisation des opérations minières et des conditions mises en place pour opérer. L’intégration et la transmission des savoirs sont un processus qui se construit progressivement dans le temps et dans l’action. Ce processus varie beaucoup en fonction des conditions d’exercice du travail rencontrées par les nouveaux travailleurs, mais aussi par les travailleurs expérimentés et les collectifs de travail.
Abstract
The recruitment and integration of new workers are key concerns for mining companies faced with baby boomer retirements, labour mobility, and growth surges driven by a booming metals market. As a result, a group of researchers was asked by the Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur minier (APSM, a joint association for occupational health and safety in the mining industry) to document conditions that promote safe integration of new mine workers, particularly conditions facilitating the transfer of knowledge from experienced workers to new workers.
Five mines, two open-pit and three underground, participated in the project on a voluntary basis. The integration process was studied for the entry-level positions of mining equipment operator (specifically, dump truck operator), service truck attendant and maintenance miner. Task-related training situations for promotion to more specialized jobs, such as roof bolter or loader operator (production), were also studied.
A case study approach (Yin, 1994) was used. Cases were documented mainly through interviews (n=115) and the observation of work and mentoring activities (for a period equal to 29 days). The system in place to support integration was described by examining the organization and site operations and by doing an ergonomic analysis of the work activities carried out by people involved in the integration process. We used this approach to try to identify conditions that could affect the process.
Mining site experiences show that there is little time between the announcement of major production decisions and the rollout of measures to implement them. Often in these situations, managers have to hire and integrate new workers while the mines continue having to meet routine staffing needs. Each mine has its own worker integration system that is fine-tuned and structured over time. New worker orientation, often regarded as overly demanding, is designed to acquaint new workers with the company and with numerous rules and procedures, all within a very short time. After a variety of training sessions, mainly on equipment used, new workers are given task-related training by more experienced co-workers. Given the workforce turnover, the more experienced workers sometimes have only a few months of experience. Depending on the mine, this learning of the trade takes various forms, ranging from structured mentoring in a facilitating context (e.g., specific content to be covered, minimum duration, organizational recognition of mentor, no specific production expectations, monetary compensation for the mentor for the loss of bonus earning, etc.) to pairing assignments on the morning of the training in contexts not conducive to knowledge transfer (e.g., experienced worker has no recognized status, new worker replaces an experienced worker in tasks normally performed in teams of two, production targets are not revised, no compensation for lost remuneration). Generally, manager-trainers with extensive experience in the mine’s operations are responsible for certifying new workers. However, with staff shortages, a new trend is emerging: external trainers less familiar with the mines are being employed. In addition, though formal post-training follow-up is a concern for the mines, it currently remains poorly developed.
As soon as a new worker enters the mine, he/she is plunged into a corporate culture where OHS is a major concern, especially given the federally legislated requirement to demonstrate due diligence (R.S.C., 1985, c. C-46, art. 219). However, various factors can undermine the desired preventive behaviours, particularly during integration: production expectations, performance pay, value placed on resourcefulness, job insecurity, and numerous procedures (some of them out-dated).
All new workers experience some common difficulties during integration, such as the many new things they have to learn in a short time, including knowledge of the site and equipment, methods of communicating, work planning, ground reading and analyzing and solving problems. However, the elements explicitly mentioned in training roadmaps often concern the development of skills for controlling equipment and the assimilation of safe procedures, while aspects such as work planning and problem solving are rarely broached. The situations studied during task-related training are therefore crucial for developing such skills. Trainers or mentors play a key role here in picking out locations where new workers will learn the most, and management staff contribute by offering their support. Ultimately alone on the job after training, new workers face situations they have never seen before and want to demonstrate their ability to handle them. They experience stress due to their preoccupation with meeting production targets. Communication plays an important role in the new workers’ transition as they continue to learn, and takes place more easily and naturally in open-pit mines, where work group members work close to one another.
The conditions affecting new worker integration are thus found at different organizational levels: the work group, the mining department, the mining company, and even the mining industry itself. Five findings derived from case studies served as the basis for the approaches recommended at the end of the research report, some of which are current practice at certain mining sites. Given the substantial workforce turnover, multi-skilling requirements, production imperatives, and varying work situations:
- the training of new workers is not a targeted one-time activity, but rather an on-going process that is an integral part of day-to-day mining operations;
- new workers include not only newly hired employees, but also workers starting a different job, returning to work after a long absence, or replacing others who are absent or who have not worked at a particular job for some time;
- entry-level jobs are more complex to learn than it may seem, and production conditions affect learning conditions;
- experienced workers who are asked to pass on their experiential knowledge play a very big role in trade-related training and supporting integration. Their mentoring role continues on an informal basis after the orientation and integration program is completed. However, this essential component (mentoring) is not always given the full recognition it deserves at mining sites;
- the implementation of investment projects can create conditions that undermine the new worker orientation and training systems put in place by companies and that impact not only worker health and safety but also productivity.
The results of this study show that the systems developed to support new worker integration cannot be limited to better structuring of training. The systems involve the overall organization of the mining operations and the conditions implemented to operate the mine. Worker integration and knowledge transfer constitute a process that takes place over time and by performing the work? The process varies considerably, depending on the working conditions encountered by new workers but also by experienced workers and work collectives as a whole.
ISBN
9782896318957
Mots-clés
Mine, Mining industry, Nouvel embauché, Newly hired employee, Apprenti, Apprentice, Formation à la prévention dans l'industrie, Safety training in industry, Information du personnel, Information of personnel, Esprit de sécurité, Safety consciousness, Enquête par entrevue, Interview survey, Observation de courte durée, Short-term study, Québec
Numéro de projet IRSST
0099-8660
Numéro de publication IRSST
R-898
Citation recommandée
Ledoux, É., Beaugrand, S., Jolly, C., Ouellet, S. et Fournier, P.-S. (2016). Les conditions pour une intégration sécuritaire au métier : un regard sur le secteur minier québécois (Rapport n° R-898). IRSST.