Type de document
Rapports de recherche scientifique
Année de publication
2003
Langue
Français
Résumé
La présente recherche est une réflexion méthodologique sur la démarche d’intervention en ergonomie. Plus spécifiquement, son but est de mieux comprendre l’apport de différentes sources de données utilisées classiquement en ergonomie à la réalisation d’une recherche en intervention visant la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS). En ergonomie, du moins dans le courant centré sur l’analyse de l’activité, les ouvrages méthodologiques sont rares. Ils décrivent les étapes devant mener à un diagnostic, mais l’ensemble demeure d’ordre général. Dans ce contexte, l’ajout d’études de cas concrets, comme celle présentée ici, peut aider à mieux outiller les ergonomes et à enrichir les ouvrages de référence. Cette réflexion méthodologique apparaît particulièrement importante dans le contexte de recherches en intervention visant à générer des transformations dans les milieux de travail. Les recherches terrain en intervention sont soumises à des contraintes temporelles certaines. Les budgets des chercheurs sont limités, ils ont des échéanciers à rencontrer et, généralement, les milieux de travail sont très pressés d’en arriver aux solutions et se montrent souvent gênés par la somme de libérations requises pour réaliser l’étude. Or, si l’utilisation de différentes sources de données inhérente à la démarche ergonomique présente des avantages certains, il y a en contrepartie un prix à payer : la lourdeur de la démarche autant en durée qu’en nombre de ressources requises. C’est dans ce contexte qu’a été amorcée notre réflexion méthodologique.
L’équipe d’ergonomes en charge de la présente étude (équipe recherche) a effectué un suivi, a posteriori, d’une recherche terrain en intervention visant à réduire les TMS dans un magasin entrepôt du secteur du commerce de détail. Plus spécifiquement, l’étude a porté sur une étape de l’intervention visant à analyser le poste de placeur dans le but de proposer un modèle explicatif des activités de manutention dans les magasins entrepôt. Pour chaque source de données utilisée dans l’intervention, les ergonomes en charge de cette intervention (équipe d’intervention) produisaient un rapport présentant les informations recueillies. À partir de ces rapports, l’équipe recherche a procédé à une analyse systématique de l’apport en informations de chaque source de données. Neuf sources de données classiquement utilisées en ergonomie ont fait l’objet d’une analyse : un questionnaire de symptômes de TMS, des observations et entretiens préliminaires, des entretiens individuels auprès des travailleurs du poste étudié, des entretiens auprès d’autres acteurs de l’entreprise, deux modalités d’observations systématiques (jugement d’experts et critériées), des entretiens de type autoconfrontation, une rencontre collective et des rencontres de recherche de solutions. Ces méthodes ont été utilisées de façon chronologique tout au long de l’intervention.
Pour analyser l’apport en informations de chaque source de données, un cadre méthodologique original a été développé qui s’avère être une des contributions intéressantes de la présente recherche. En premier lieu, les informations générées par chaque source de données ont été codées à l’aide d’une grille d’analyse adaptée au contexte de l’intervention suivie, mais conçue également pour s’appliquer à la démarche ergonomique en général. Cette grille englobe 11 thèmes qui visent à caractériser : l’exécution du travail, les facteurs de risque physiques et psychosociaux, les symptômes de TMS, les informations sur les déterminants techniques et organisationnels du travail, de même que les informations touchant aux avenues de solutions. Chaque thème est ensuite éclaté en différents sous-thèmes (60 au total). Chaque information codée a été dénommée « unité d’information ». Dans une deuxième étape, une mise à niveau des unités d’information a été réalisée dans le but de rendre comparable les données de type qualitatif aux données de type quantitatif. Dans une troisième étape, dans le but de rendre compte de l’évolution de l’information tout au long de l’application des méthodes de recueil de données, nous avons statué sur la nature de l’information apportée à savoir s’il s’agissait d’une nouvelle information, d’une précision (ajout de détails) ou d’une confirmation (information déjà obtenue). Finalement, en s’inspirant du modèle de Leplat et Cuny (1977), nous avons cherché à évaluer la richesse de l’information apportée par chaque unité d’information. Cette richesse se définit entre autres par les liens que l’information permet entre les différentes composantes de la situation de travail.
Pour compléter cette analyse systématique de contenu, les ergonomes en charge de l’intervention ont été interrogés sur leur perception quant à l’apport des différentes sources de données utilisées. Un journal de bord a également été complété par les ergonomes menant l’intervention afin de permettre de comptabiliser les coûts inhérents à chaque méthode de recueil de données : coûts pour l’équipe d’intervention (en nombre d’heures requis) et coûts pour l’entreprise (en nombre d’heures de libération).
Pour orienter le choix des ergonomes dans de futures études terrain, les résultats obtenus pour chaque source de données ont été résumés à l’intérieur d’une courte fiche synthèse. Cette fiche décrit : la méthode de recueil de données tel qu’utilisée dans l’intervention, ses coûts d’application, les informations qu’elle a permis de recueillir, i.e. sa contribution à l’intervention, ce qu’en pensent les ergonomes experts de l’intervention, de même que ses principaux avantages et limites tels que dégagés par l’ensemble des analyses.
Les résultats montrent que, de façon générale, les données d’entretien apportent de l’information sur la plupart des thèmes, alors que les données quantitatives sont beaucoup plus spécifiques; elles couvrent moins de thèmes, mais apportent une information beaucoup plus précise. De plus, on constate que les données d’entretien sont plus riches et ont un pouvoir explicatif plus important que les données quantitatives.
Bien que les sources de données appliquées en début d’intervention apportent bien sûr une proportion plus importante de nouvelles informations, on constate que tout au long de l’intervention, les sources de données continuent de générer de nouvelles informations, mais avec une proportion plus importante de précisions. Au total, seulement 11% des informations sont des confirmations.
L’étude permet de préciser les caractéristiques des principales sources de données qui ont été synthétisées dans un tableau récapitulatif. Ainsi, il apparaît que les observations et entretiens préliminaires permettent dès le départ d’ouvrir les grands thèmes du diagnostic, les informations recueillies étant toutefois sommaires. Les entretiens individuels permettent de mettre les informations recueillies à l’étape précédente dans une perspective systémique et de faire un premier tri en identifiant les difficultés importantes à documenter. Dès cette étape, l’ensemble des thèmes et sous-thèmes sont abordés. Les deux types d’observations systématiques apportent de l’information nouvelle et des précisions détaillées sur les tâches réalisées, les modes opératoires, les facteurs de risque physiques et les déterminants techniques. On précise alors les contraintes liées aux aménagements, aux contenants et aux équipements. Les entretiens de type autoconfrontation apportent encore de la nouvelle information sur la plupart des thèmes incluant les facteurs de risque physiques et psychosociaux. Ils permettent de mieux comprendre les modes opératoires et apportent des informations nouvelles sur tout ce qui touche à la planification des manutentions et à ses conséquences sur la charge de travail physique, des aspects complexes à saisir. Les auteurs concluent que les autoconfrontations, placées en fin d’intervention, ont un grand pouvoir intégrateur. Les réunions de recherche de solutions permettent quant à elles d’affiner les informations manquantes pour en arriver à des spécifications précises d’avenues de solutions.
La discussion expose les apports et les limites du cadre méthodologique développé et discute des principales caractéristiques des méthodes utilisées. Les auteurs font alors ressortir les aspects généralisables de l’étude de cas présentée. Les auteurs dégagent ensuite les liens entre les sources de données analysées. On explique alors la complémentarité entre les sources de données qualitatives et les sources de données quantitatives. On voit comment les résultats font ressortir la dynamique du diagnostic ergonomique qui se préciserait graduellement au travers des différentes sources de données par une construction progressive de l’information tout au long de l’intervention. On discute également de l’impact de la séquence des sources de données utilisées en précisant que la séquence générale entretiens – observations – autoconfrontations s’avère très efficace. On précise aussi que les données d’entretien, en plus de leur pouvoir informatif, ont un rôle à jouer dans la construction sociale de l’intervention en permettant d’établir un lien de confiance avec les travailleurs, ce qui s’avère nécessaire pour garantir la qualité des données.
La conclusion fait le point sur l’apport de cette étude. Très humblement, les auteurs admettent ne pas avoir de conclusions fracassantes en faisant le constat que toutes les sources de données ont leur utilité. Des recommandations sont cependant faites pour rationaliser les observations systématiques. Les auteurs estiment toutefois que l’étude amène une réflexion en profondeur qui permet de préciser les principales caractéristiques, avantages et limites des différentes sources de données dans le contexte étudié. Dans cette perspective, l’étude peut apporter beaucoup aux ergonomes, praticiens et chercheurs.
Finalement, les auteurs soulignent l’importance de poursuivre des recherches à caractère méthodologique et proposent des avenues pour explorer des façons de faire qui seraient mieux adaptées aux contraintes temporelles des interventions terrain.
Mots-clés
Ergonomie, Ergonomics, Méthodologie, Methodology, Rassemblement des données, Data collection, Troubles musculosquelettiques, Musculoskeletal disease, Évaluation ergonomique, Ergonomic evaluation, Évaluation du risque, Hazard evaluation, Commerce de détail, Retail trade, Entrepôt, Warehouse, Manutention, Materials handling, Organisation du travail, Work organisation, Analyse des données, Data analysis, Analyse coût-avantage, Cost benefit analysis, Liste de contrôle, Check list
Numéro de projet IRSST
0099-0960
Numéro de publication IRSST
R-328
Citation recommandée
St-Vincent, M., Denis, D., Ouellet, F., Beaugrand, S. et Imbeau, D. (2003). Étude de cas : apport de différentes sources de données à la réalisation d'une intervention ergonomique visant la prévention des troubles musculo-squelettiques (Rapport n° R-328). IRSST. https://pharesst.irsst.qc.ca/rapports-scientifique/630
