Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2021

Langue

Français

Résumé

Plusieurs des changements physiologiques associés à la thermorégulation peuvent influencer la cinétique des substances chimiques dans le corps humain, comme la ventilation alvéolaire et la redistribution du débit sanguin aux organes. Si certaines mesures préventives peuvent permettre de protéger les travailleurs contre les effets directs de la chaleur, elles ne permettent toutefois pas d’empêcher les processus de thermorégulation de prendre place. Une exposition concomitante à la chaleur et aux substances chimiques volatiles peut donc entraîner des variations dans l’absorption par inhalation et dans la cinétique de ces substances, biaisant ainsi l’évaluation des données de biosurveillance.

Dans cette étude, l’influence de la température sur différents paramètres physiologiques et sur la cinétique de trois solvants industriels volatils (toluène, acétone et dichlorométhane) a été évaluée chez des volontaires masculins exposés en salle d’inhalation à différentes températures, avec ou sans solvant. Dans un premier temps, les températures corporelles (TEMP) et plus d’une vingtaine de paramètres cardiopulmonaires (CARDP) ont été mesurés chez des sujets lors de séances d’exposition à 21, 25 et 30 °C du thermomètre du globe à boule humide (WBGT), pendant quatre heures. Dans le cadre d’une deuxième étape, des duplicatas de ces séances d’exposition ont été effectués en présence de chacun des solvants d’intérêt. Les sujets mâles étaient alors exposés conjointement à la chaleur et à des concentrations de solvants égales aux valeurs d’exposition moyenne pondérée (VEMP) en vigueur au Québec (45, 50 et 500 ppm respectivement pour le toluène, le dichlorométhane et l’acétone). Des échantillons d’air alvéolaire, de sang et d’urine ont alors été prélevés pour déterminer les concentrations de solvants ou de leurs métabolites. Les TEMP et les CARDP mesurés dans le cadre de la première étape et les taux de perfusion aux organes ont été utilisés pour développer un modèle toxicocinétique à base physiologique (TCBP) permettant de prédire les concentrations biologiques de solvant en fonction de la concentration d’exposition sous un stress thermique.

La température interne moyenne a très peu varié entre les différentes températures d’exposition (moins de 0,2 °C). Les taux de consommation d’oxygène (0,370 ± 0,084, 0,393 ± 0,098, 0,396 ± 0,131 L/min), les taux de dépense d’énergie (1,80 ± 0,41, 1,91 ± 0,48, 1,92 ± 0,64 kcal/min), la fréquence cardiaque (70,75 ± 5,90, 77,22 ± 5,70, 82,56 ± 4,13 battements/min) et les débits cardiaques (Qc; 5,89 ± 0,60, 6,05 ± 0,69, 6,07 ± 0,91 L/min) ont augmenté en fonction des températures d’exposition respectives de 21, 25 et 30 °C du WBGT. Le taux de ventilation alvéolaire le plus élevé (VA; 6,75 ± 1,75 L/min) et celui le plus faible (5,75 ± 5,75 L/min) ont été respectivement observés à 25 et à 30 °C du WBGT, par rapport au taux de 6,24 ± 1,64 L/min à 21 °C du WBGT. Il en est de même pour les taux de ventilation minute classés dans le même ordre (9,98 ± 2,23 et 8,44 ± 2,67 L/min par rapport à 9,28 ± 2,23 L/min). Les ratios VA/Qc individuels (de 0,91 à 1,16, de 0,98 à 1,20 et de 0,76 à 1,15) et moyens (1,05, 1,10 et 0,93) respectivement pour les températures d’exposition de 21, 25 et 30 °C du WBGT étaient normaux. La polypnée caractérisée par une augmentation des fréquences respiratoires avec des respirations superficielles (donc une réduction des volumes courants) a été observée chez la majorité des sujets (7 sujets sur 9) à 30 °C du WBGT.

Dans l’urine, une diminution des concentrations d’acétone a été observée à la fin de l’exposition, mais pas dans les échantillons prélevés 2 h plus tard. Les concentrations sanguines des 3 solvants inhalés ont augmenté de 4 à 85 % à la fin de la période d’exposition à 30 °C du WBGT comparativement aux concentrations mesurées à la fin de la période d’exposition à 21 °C du WBGT. Ces augmentations semblent être non seulement en lien avec la diminution du taux de perfusion au foie, mais aussi être directement influencées par les caractéristiques corporelles des participants. Selon nos observations, les individus obèses pourraient être plus à risque de présenter des élévations marquées des concentrations sanguines de substances mères en présence d’un stress thermique. De plus, les concentrations sanguines mesurées à la fin des expositions sont fortement corrélées à la température d’exposition. La diminution des valeurs de ventilation alvéolaire en présence de chaleur est en opposition avec l’augmentation des concentrations sanguines. Ces valeurs ont donc été réévaluées en ajustant les VA à l’aide du modèle TCBP sur les concentrations sanguines de l’acétone.

De manière générale, le modèle TCBP développé prédit bien les concentrations moyennes expérimentales mesurées dans les différentes matrices biologiques. Selon ce modèle, une exposition de 8 h à la VEMP à 30 °C WBGT pour le toluène, le dichlorométhane et l’acétone entraînerait des augmentations des concentrations sanguines entre 20 et 28 % comparativement à une exposition à 21 °C WBGT. Dans l’urine, une faible augmentation (5,09 %) de l’excrétion de l’o-crésol est attendue, ainsi qu’une augmentation de l’acétone (environ 20 %). Cependant, aucune augmentation n’a été observée expérimentalement pour l’acétone urinaire. Ces valeurs demeurent cependant largement inférieures aux valeurs de référence. Des simulations ont montré que la répartition du travail dans un cycle travail/repos de 75 %, comme recommandé par l’American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) pour un individu acclimaté et effectuant un travail léger à 31 °C du WBGT, permet de contrer l’effet d’une coexposition à la chaleur et aux COV pour des substances faiblement accumulées dans l’organisme.

En résumé, l’interprétation des valeurs d’indices biologiques de l’exposition devrait tenir compte de la température d’exposition, plus particulièrement pour l’interprétation des concentrations sanguines. De futures études sont recommandées pour continuer d’approfondir l’impact du stress thermique chez des travailleurs, avec des cohortes de plus de trente volontaires, pour différentes catégories d’indice de masse corporelle, et ceci, afin d’obtenir des données statistiquement comparables. Ces études devraient être réalisées avec des COV faiblement solubles dans le sang afin de mieux apprécier l’impact d’un changement du débit cardiaque lors de stress thermique.

Abstract

Many of the physiological changes associated with thermoregulation, such as alveolar ventilation and the redistribution of blood flow to organs, can influence the kinetics of chemical compounds in the human body. Although some preventive measures may protect workers against the direct effects of heat, they cannot prevent thermoregulatory processes from occurring. Concomitant exposure to heat and volatile chemicals can result in variations in absorption through inhalation and the kinetics of these compounds, thus skewing the evaluation of biomonitoring data.

In this study, the influence of temperature on various physiological parameters and on the kinetics of three volatile industrial solvents (toluene, acetone and dichloromethane) were evaluated in male volunteers exposed to different temperatures, with or without solvents, in an inhalation chamber. First, body temperatures (TEMP) and more than 20 cardiopulmonary parameters (CARDP) were measured in the subjects during four-hour exposure sessions at wet-bulb globe temperature (WBGT) values of 21, 25 and 30°C. In the second step, these exposure sessions were replicated, this time in the presence of each of the solvents being studied. The male subjects were then exposed at the same time to heat and solvent concentrations equal to time-weighted average exposure values (TWAEV) in force in Québec (45, 50 and 500 ppm for the toluene, dichloromethane and acetone, respectively). Samples of alveolar air, blood and urine were taken to determine the concentrations of solvents or their metabolites. The TEMP and the CARDP measured during the first step and the rate of perfusion to the organs were used to develop a physiologically-based toxicokinetic model (PBPK) in order to predict the biological concentrations of solvent according to exposure concentration under thermal stress.

The average internal temperature varied little between the different exposure temperatures (less than 0.2°C). Oxygen consumption rates (0.370 ± 0.084, 0.393 ± 0.098, 0.396 ± 0.131 L/min), energy expenditure rates (1.80 ± 0.41, 1.91 ± 0.48, 1.92 ± 0.64 kcal/min), heart rate 70.75 ± 5.90, 77.22 ± 5.70, 82.56 ± 4.13 beats/min), and cardiac output (Qc; 5.89 ± 0.60, 6.05 ± 0.69, 6.07 ± 0.91 L/min) increased according to exposure to WBGT of 21, 25 and 30°C, respectively. The highest (VA; 6.75 ± 1.75 L/min) and lowest (5.75 ± 5.75 L/min) alveolar ventilation rates were observed at WBGT of 25 and 30°C, respectively, compared to a rate of 6.24 ± 1.64 L/min at a WBGT of 21°C. The same was found for ventilation per minute rates ranked in the same order (9.98 ± 2.23 and 8.44 ± 2.67 L/min compared to 9.28 ± 2.23 L/min). The individual (from 0.91 to 1.16, from 0.98 to 1.20, and from 0.76 to 1.15) and average (1.05, 1.10 and 0.93), VA/Qc ratios for WBGT exposure of 21, 25 and 30°C, respectively, were normal. Polypnea, characterized by rapid, shallow breathing (thus, reduced tidal volumes), was observed in most of the subjects (seven out of nine subjects) at a WBGT of 30°C.

In urine, a decrease in acetone concentrations was observed at the end of exposure, but not in samples taken two hours later. Blood concentrations of the three solvents inhaled increased from 4 to 85% at the end of the exposure period at a WBGT of 30°C compared to concentrations measured at the end of the exposure period at a WBGT of 21°C. These increases appear not only to be in line with the decreased liver perfusion rate, but are also directly influenced by the body characteristics of the participants. Based on our observations, obese individuals may be at greater risk of presenting substantial elevations in blood concentrations of parent substances in the presence of thermal stress. In addition, the blood concentrations measured at the end of exposures are strongly correlated with exposure temperature. The decrease of alveolar ventilation values in the presence of heat is in contrast with the increase of blood concentrations. These values were therefore re-evaluated by adjusting the VA using the PBPK model on blood concentrations of acetone.

In general, the PBPK model developed is good at predicting the experimental average concentrations measured in various biological matrices. According to that model, an eight-hour exposure to TWAEV at a WBGT of 30°C for toluene, dichloromethane and acetone would result in blood concentration increases of between 20 and 28% compared to an exposure at a WBGT of 21°C. In urine, a slight increase (5.09%) in excretion of o-Cresol is expected, as well as an increase in acetone (approximately 20%). Yet, no increase was observed experimentally for urinary acetone. However, these values remain well below the reference values. Simulations have shown that the allocation of work in a work/rest cycle of 75%, as recommended by the American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGIH) for an acclimatized individual performing light tasks at a WBGT of 31°C counteracts the effect of co-exposure to heat and VOC for the substances that have marginally accumulated in the organism.

In short, the interpretation of the biological exposure index values should take into account the exposure temperature, especially for the interpretation of blood concentrations. Future studies are recommended to further investigate the impact of thermal stress in workers, with cohorts of over 30 volunteers, for different BMI categories, in order to obtain statistically comparable data. These studies should be carried out with low blood soluble VOC in order to better assess the impact of a change in cardiac output during thermal stress.

ISBN

9782897971298

Mots-clés

Toxicocinétique, Toxicokinetics, Lieu de travail chaud, Hot workplace, Thermorégulation, Regulation of body temperature, Solvant, Solvent, Toluène, Toluene, CAS 108883, Chlorure de méthylène, Dichloromethane, Methylene chloride, CAS 75092, Acétone, Acetone, CAS 67641, Évaluation de l'exposition, Exposure evaluation, Détermination expérimentale, Experimental determination, Test d'exposition, Exposure test

Numéro de projet IRSST

2013-0012

Numéro de publication IRSST

R-1105

Partager

COinS