Type de document

Rapports de recherche scientifique

Année de publication

2020

Langue

Anglais

Résumé

Mise en contexte et objectif

Prenant acte du constat d’échec des formations à la manutention axées sur l’enseignement exclusif de la technique sécuritaire « dos droit – genoux fléchis », une nouvelle approche d’intervention dite « stratégie intégrée de prévention en manutention » (SIPM) a été proposée en 2011. Son originalité repose, entre autres, sur l’utilisation de neuf principes d’action permettant de comprendre et de commenter la richesse des techniques de manutention utilisées naturellement par les manutentionnaires dans leur milieu de travail. L’étude a pour objectif central d’évaluer l’appropriation et le transfert de la SIPM par un groupe d’intervenants formés à cette approche lors d’interventions naturelles en contextes réels.

Méthodologie

L’étude compte quatre volets complémentaires et séquentiels. Une enquête par questionnaire en ligne a d’abord été réalisée pour étudier les pratiques d’intervention en santé et en sécurité de travail (SST) d’une population d’intervenants (n=104) du Québec (volet #1). Par la suite, un échantillon de 28 intervenants issus du domaine de la SST a été formé à la SIPM. Divers indicateurs prédictifs du transfert ont été évalués en contexte postformatif à l’aide d’un questionnaire (volet #2). Une méthodologie mixte et qualitative mobilisant divers outils de cueillette de données a ensuite été utilisée pour évaluer l’appropriation et le transfert par les intervenants de la SIPM lors d’interventions en manutention (n=19) en contextes réels, et ce, sur une période de suivi de deux ans (volets #3). Des indicateurs et des déterminants d’appropriation ont permis d’évaluer et d’expliquer trois niveaux de transfert de la SIPM : exemplaire, adéquat et insuffisant. De plus, l’utilisation faite des principes d’action lors de ces interventions a été approfondie. Fort de ces résultats, des recommandations d’amélioration de la SIPM et de la formation de formateurs visant son utilisation appropriée ont été formulées (volet #4).

Principaux résultats

Volet #1 : L’enquête montre que les intervenants en SST au Québec ont une pratique fortement axée sur la préparation et la prestation de sessions d’information ou de formation. La transmission de connaissances est l’approche pédagogique dominante : plus rarement sollicite-t-on l’engagement actif et contextualisé des apprenants. Avec en moyenne plus de 10 ans d’expérience, ces intervenants peuvent être considérés comme des spécialistes de la formation en SST. Toutefois, comme ils sont appelés à multiplier les formations sur plusieurs thématiques, ils peuvent être perçus comme des généralistes – plutôt que des spécialistes d’un domaine – incluant la manutention. Ces données ont permis d’adapter la formation à la SIPM à cette réalité.

Volet #2 : Les divers indicateurs évalués permettant de prédire le transfert chez les apprenants une fois la formation terminée suggèrent le fort potentiel de cette formation à susciter un transfert des apprentissages du milieu formatif vers le milieu de travail. Entre autres, les formés perçoivent les notions apprises comme utiles, disent avoir le sentiment de bien les maîtriser, d’accomplir des apprentissages et avoir l’intention de transférer leurs acquis lors d’interventions futures. Leur sentiment d’efficacité personnel à l’égard de leur capacité à déployer la SIPM – un fort prédicteur du transfert – est en moyenne très élevé. Ces résultats ont incité l’équipe de recherche à vérifier le niveau de transfert dans les pratiques naturelles d’intervention en manutention de ces intervenants.

Volet #3 : Des 28 intervenants ainsi formés, 16 ont pu être observés lors d’une prestation de formation, certains à plus d’une reprise, pour un total de 19 cas étudiés. Ces interventions se sont déroulées dans divers milieux de travail et pour une grande hétérogénéité de tâches de manutention de complexité variable. Les populations formées étaient soient des travailleurs de production (n=13) – la population cible de la SIPM – soit des travailleurs-formateurs en entreprises (n=3 : p. ex. des superviseurs) ou d’autres populations (n=3 : p. ex. spécialistes en réadaptation). Les indicateurs évalués de façon plus détaillée pour 10 des 13 formations offertes à des travailleurs-manutentionnaires témoignent d’une excellente appropriation de la part des intervenants, et ce, sur plusieurs dimensions. Toutefois, deux cas ont été jugés d’un niveau d’appropriation insuffisant. Les plus grands écarts observés entre la SIPM et les formations dispensées par les intervenants concernent surtout leur durée plus courte, la rareté des actions de transformation des situations de travail ainsi que certains aspects du dispositif de formation mis en place pour susciter des apprentissages. Plusieurs déterminants ont été identifiés qui expliquent une bonne part des écarts constatés entre la SIPM et les pratiques de formation à la manutention en usage. Les intervenants identifient surtout des déterminants d’ordre contextuel liés à leur environnement de travail (p. ex. surcharge de travail) ou à l’environnement du milieu demandeur (p. ex. budget limité) qui les contraignent à adapter la SIPM à ces réalités. L’équipe de recherche a aussi pu pointer des déterminants individuels, ainsi que des facteurs liés aux caractéristiques des tâches de manutention et aux travailleurs formés (mentionnés aussi par quelques intervenants). Les intervenants utilisent les principes d’action de manière conforme aux enseignements reçus, bien que certains d’entre eux soient plus évoqués, alors que d’autres sont sous-utilisés : un assez fort « biais postural » demeure. Finalement, plutôt que d’intégrer les propositions de changement aux résultats – la discussion a été mise en valeur ici et là par des encadrés qui décrivent les améliorations proposées à la SIPM et à sa formation (volet #4).

Éléments de discussion

Les résultats suggèrent une forme d’appropriation « en devenir ». D’une part, les intervenants formés ont montré une grande capacité à s’approprier et à transférer les contenus de formation de la SIPM : l’utilisation qu’ils font des principes d’action et des autres notions enseignées lors des formations est fort appropriée, bien que certains « glissements » soient notés. Les efforts sont évidents pour contextualiser les savoirs abordés, de même que pour choisir des supports pédagogiques adaptés et des stratégies pour susciter des échanges entre participants, de sorte à créer une dynamique participative. D’autre part, les intervenants font face à un dilemme entre deux conceptions ou paradigmes de formation : l’un selon lequel la transmission de savoirs théoriques domine, l’autre selon lequel l’engagement actif des apprenants dans la construction de leurs connaissances est privilégié. Les intervenants doivent ainsi effectuer de difficiles transitions – et les compromis qu’elles requièrent – entre : a. une posture de « formateur-expert » et une autre de médiateur des apprentissages, qui touche leur identité professionnelle; b. le contrôle strict des contenus et du déroulement ainsi qu’une certaine tolérance à l’incertitude, tout en tenant compte des exigences normatives des formations; c. un contenu dominé par les connaissances et un autre pour lequel l’accent est mis sur les savoir-faire moteurs, en lien avec les requis du travail et les thématiques abordées; d. la prise en compte des besoins du « client demandeur » et ceux du « client cible », en lien avec les mandats et les objectifs de formation poursuivis. Ces transitions peuvent être déstabilisantes et nuire à l’utilisation de la SIPM si les intervenants ne se sentent pas accompagnés et soutenus.

Idées clefs à retenir

  • Malgré une complexité élevée et une rupture paradigmatique évidente, une majorité d’intervenants en SST formés à la SIPM a pu se l’approprier et la transférer dans leurs pratiques d’interventions courantes. L’approche est appréciée des parties prenantes;
  • Des écarts entre certains préceptes de la SIPM et les pratiques en usage persistent, dont certains s’expliquent par des déterminants représentant des barrières pour les intervenants et auxquelles ces derniers tentent de s’adapter. Cette régulation est pour l’heure incontournable;
  • Les intervenants formés à la SIPM sont dans une phase de transition entre leurs pratiques antérieures de formation et les nouveaux requis pédagogiques de la SIPM, engendrant des dilemmes pouvant les déstabiliser, voire les décourager s’ils ne sont pas bien soutenus.

Abstract

Background and objective

Given the failure of handler training programs that focus solely on the “straight back, bent knees” safe lifting technique, a new approach called “Integrated Prevention Strategy for Manual Handling” (IPSMH) was proposed in 2011. Part of its originality lies in the use of nine movement principles that make it possible to understand and analyze the many techniques handlers use as a matter of course in their jobs. The main objective of the present study was to observe a group of Occupational Health and Safety (OHS) practitioners trained in the IPSMH and evaluate to what extent they appropriate this approach and transfer it during interventions in actual workplaces.

Methodology

The study was made up of four complementary, sequential parts. First, an online questionnaire was developed in order to survey the occupational health and safety (OHS) intervention practices of a group (n=104) of practitioners in Québec (Part 1). Next, 28 OHS practitioners were trained in the IPSMH. After the training, several indicators predictive of transfer were evaluated by means of a questionnaire (Part 2). A mixed qualitative methodology involving various data-gathering tools was then used to evaluate the subjects’ appropriation and transfer of the IPSMH during actual workplace interventions related to manual material handling (n=19) over a two-year period (Part 3). Appropriation Indicators and determinants made it possible to evaluate and explain three levels of IPSMH transfer: exemplary, satisfactory or poor. In addition, the use made of the action principles during these interventions was further investigated. On the basis of the results obtained, recommendations were formulated to improve the IPSMH and to train trainers in its correct application (Part 4).

Principal results

Part 1: The survey revealed that the work of OHS practitioners in Québec consists largely in the preparation and delivery of information and training sessions. The predominant pedagogical approach is the transmission of knowledge; rarely is the learners’ active, contextualized involvement solicited. These practitioners may be considered as OHS training specialists, with more than ten years of experience on average. However, since their job is to offer training on many different topics, they are actually generalists rather than experts in any particular field, such as manual material handling. This information made it possible to adapt the IPSMH training to the reality of OHS practitioners.

Part 2: The predictive indicators evaluated after the training suggest that the training has a high potential for encouraging the transfer of knowledge to the workplace. The trainees perceived the content as useful and said they felt they mastered it well, would be able to apply the skills they had learned, and intended to teach them to workers during future interventions. Their confidence in their personal ability to apply the IPSMH—a strong predictor of transfer—was very high, on average. These results led the research team to check the actual extent of the subjects’ transfer of the training content to the workplace.

Part 3: Of the 28 subjects trained, 16 were observed during a training session, some of them on more than one occasion, for a total of 19 cases studied. The interventions took place in various workplaces and involved manual handling tasks that were highly varied in nature and complexity. The trainees benefiting from the interventions were either production workers (n=13) (the IPSMH target group), company employees responsible for training (n=3) (e.g., supervisors) or other (n=3) (e.g., rehabilitation specialists). For 10 of the 13 sessions provided to handlers, the indicators were evaluated in greater detail and showed excellent appropriation by the practitioners in several respects. However, two cases showed a poor level of appropriation. The greatest differences observed between the IPSMH and the training provided mainly concerned their shorter duration, the rarity of actions to transform work situations and certain aspects of the training structure put in place to stimulate learning. A number of determinants were identified, which greatly explain the differences noted between the IPSMH and the handling training practices in use. The practitioners mainly cited factors related to their own job conditions (e.g., excessive work load) or to the client organization’s situation (budget constraints, etc.) that forced them to adapt the IPSMH to fit the context. The research team was able to identify individual factors, some linked to individual subjects, as well as factors related to the nature of the handling tasks, and to the workers being trained (also mentioned by some of the practitioners). The practitioners applied the action principles as they were taught to do, although some principles tended to be emphasized while others were underused (a fairly strong “postural bias” was noted). Finally, rather than incorporating the proposed changes into the results, the discussion was highlighted here and there in insets describing recommendations for improvements to the IPSMH approach and training (part 4).

Discussion

The results suggest an “emergent” form of appropriation. On the one hand, the practitioners showed a strong ability to appropriate and transfer the training content: their use of the action principles and other concepts was very much in line with the IPSMH, although a few lapses were noted. They made obvious efforts to contextualize the training content, to choose suitable pedagogical tools and to apply strategies for eliciting exchanges among participants in order to create a good dynamic. On the other hand, they are faced with a contradiction between two teaching paradigms: one emphasizing the transmission of theoretical knowledge, the other emphasizing the learners’ active involvement in constructing their own knowledge. Practitioners must therefore make difficult transitions, along with the corresponding compromises: a. from a role as “expert trainer” to a new role as mediator of learning, which touches on their professional identity; b. from strict control over content and delivery, to a certain tolerance for uncertainty while taking into account the normative requirements of training; c. from knowledge-based content to content focusing on motor skills related to job requirements and training topics; d. between the needs of the “requesting client” and those of the “target client” in terms of the training mandate and objectives. These transitions can be destabilizing and can hinder the application of the IPSMH if the practitioners do not feel guided and supported.

Key points:

  • Despite the complexity of the IPSMH and the obvious paradigm rupture it involves, most of the OHS practitioners trained in the approach were able to appropriate and transfer it to their day-to-day workplace interventions. The IPSMH is appreciated by all stakeholders.
  • There are still divergences between certain IPSMH concepts and conventional practice, some of which are attributable to obstacles that the practitioners try to work around. Such adjustments are unavoidable, for the time being.
  • Practitioners trained in the IPSMH are transitioning from their old training practices to the new pedagogical requirements of the IPSMH; the resulting contradictions can be destabilizing and even discouraging if practitioners are not well supported.

ISBN

9782897971281

Mots-clés

Manutention manuelle, Manual handling, Formation à la prévention, Safety and health training, Programme de formation, Training program, Soulèvement des charges, Manual lifting, Port des charges, Load carriage, Québec

Numéro de projet IRSST

0099-9190

Numéro de publication IRSST

R-1111

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